Considérée par certains comme l’aliment du futur, la spiruline a vu sa consommation exploser. Le produit est aujourd’hui en bonne partie importé, de Chine ou d’ailleurs, sans que ses conditions de production soient forcément bien contrôlées.
En novembre 2017, l‘Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) mettait ainsi en garde contre les effets indésirables de la poudre verte, dus à la présence, dans certains des produits testés, de bactéries ou de métaux lourds. Une solution à ce problème consiste à développer une technologie permettant une production locale de spiruline parfaitement maîtrisée. C’est le pari de la jeune entreprise alsacienne Algae Natural Food.
Les effluents de la malterie pour produire l’aliment de demain
Mais l’originalité du projet ne tient pas à la qualité du produit. Elle vient surtout du fait que pour produire sa spiruline, ce sont des déchets que va utiliser la start-up. Pour cela, Algae Natural Food est entrain de s’installer à côté de la malterie Cargill, située au port du Rhin. Les eaux servant à la germination des grains d’orge, chargées en matières organiques, sont idéales pour y cultiver les micro-algues. La chaleur utilisée pour la germination et le CO2 issu de ce processus sont également indispensables au développement de la spiruline. La boue verte ainsi obtenue est ensuite séchée à basse température puis transformée en poudre, en comprimés ou encore en huile.
Contrairement aux bassins ouverts qui sont la plupart du temps utilisés pour produire les micro-algues, notamment chez les agriculteurs, la cuve utilisée par Algae Natural Food permet de produire de la spiruline en continu. La technologie a été développée par Suez, qui a passé un partenariat avec la start-up en juillet 2017.
Après les essais en laboratoire et une première mise en œuvre à échelle réduite, la production industrielle devrait démarrer à la mi-mars sur 300 m2, pour une première « récolte » mi-mai. Dans deux ans, les installations occuperont 4 hectares et permettront l’utilisation de l’ensemble des eaux utilisées par la malterie. Pendant la même période, la société basée à Riquewihr et Illkirch-Graffenstaden prévoit de passer de 16 à plus de 40 employés.
Une aventure économique… et humaine
Développer une production de micro-algues à grande échelle, en symbiose avec une usine agroalimentaire, n’aura pas été un long fleuve tranquille. Plusieurs technologies ont dû être testées, puis abandonnées parce que non-rentables. De nombreux industriels ont été contactés, mais c’est finalement l’enseigne américaine qui s’est révélée être la plus ouverte. Une aventure entrepreneuriale mais aussi citoyenne pour le président directeur général d’Algae Natural Food, Francis Kurz.
Ce belge a débuté sa carrière comme contrôleur de gestion dans l’industrie pharmaceutique, au sein de l’allemand Hoechst, avant de rejoindre les laboratoires Roche en Suisse. Avec le sentiment de travailler dans un secteur lourd de sens, celui de la santé et du bien-être. Mais ses fonctions l’éloignent peu à peu du terrain :
« Après plusieurs années passées à développer la stratégie financière du groupe, j’avais besoin de prendre mon indépendance. »
Francis Kurz se lance alors dans l’entrepreneuriat et accompagne différents projets. C’est dans ce cadre qu’il croise Detlef Weber, un ingénieur en chimie qui travaille sur l’industrialisation de la production de spiruline, pour développer son utilisation en substitution des protéines animales. Avec Philippe Granvillain, un spécialiste des micro-algues, ils créent Algae Natural Food en 2014.
Premier essai raté
Idée Alsace pour amener les entreprises à sortir la tête du guidon
Idée Alsace est une association d’entreprises créée il y a 14 ans pour encourager le développement de politiques de responsabilité sociétale au sein des entreprises (RSE). Les questions d’économie circulaire prennent de plus en plus de place au sein de ces réflexions. L’accompagnement de démarches d’écologie industrielle a ainsi pris de l’ampleur au sein des actions de l’association, qui joue un rôle d’animation de plusieurs d’entre-elles.
Ce rôle est indispensable pour mobiliser des entreprises bien souvent accaparées par leur propre business. « L’objectif de ces démarches est de forcer les entreprises à sortir la tête du guidon. Une fois les choses lancées, il est important de rapidement fédérer ces dernières et de trouver une structure pour porter tout le processus et assurer sa pérennité » explique Simon Pingeon, en charge de ces dossiers.
La première expérience de production se base sur la méthanisation de déchets agricoles. Mais cette technologie ne se révèle pas concluante. La start-up a aussi du mal à trouver des financements. C’est finalement en 2015 que le contact avec Cargill se fait. Simon Pingeon, chargé de projets « économie circulaire » à l’association Idées Alsace, revient sur cette étape :
« Dans le cadre du projet d’écologie industrielle lancé par le Port de Strasbourg, nous avons réalisé un audit des installations de la malterie pour identifier les matières secondaires (produites par la fabrication de malt) pouvant être réutilisées par d’autres industriels. L’enjeu pour Cargill était avant tout de valoriser le dioxyde de carbone (CO2)produit pendant la germination du grain et qui partait dans l’atmosphère. C’est finalement le pôle de compétitivité Fibres Energivie qui nous a donné le contact d’Algae Natural Food, qui avait besoin de CO2 pour produire ses algues ».
Réduire l’impact environnemental de l’industrie
Au fur et à mesure des réunions entre les deux sociétés, le projet s’élargit pour finalement prendre sa dimension actuelle, celle d’une véritable symbiose entre deux activités industrielles. C’est cette dernière qui permet de réduire les impacts de chacune d’entre elles sur l’environnement.
Algae Natural Food oriente aujourd’hui ses recherches vers d’autres algues pouvant être cultivées selon le même principe, et cherche à développer ce type de partenariat sur d’autres installations industrielles. À une condition : que ces sites ne rejettent pas de produits chimiques, mais des eaux propres.
Chargement des commentaires…