Chaque jour, à travers la région, un Alsacien déménage et vide un appartement ou un grenier. Et comme dans tout déménagement qui se respecte, les vielles affaires et les breloques d’antan n’ont bien souvent qu’une seule destination : la benne à ordures. C’est ainsi que des films de famille des années 60 ou des images uniques de la Libération finissent par tomber dans un oubli éternel.
Heureusement, il y a Christiane et Odile. En 2006, ces deux passionnées ont décidé qu’il était temps de remédier au problème. Elles voulaient sauver le maximum des petits bijoux cinématographiques amateurs dispersés à travers la région et ont créé le MIRA : la Mémoire des Images Réanimées d’Alsace. Une véritable caverne d’Ali Baba historique, en ligne et accessible, donnant une vision originale de la vie quotidienne dans la région.
Les chasseuses de trésors
Dans un bureau un brin exigu, rempli à ras bord d’affiches de films et de bobines jaunies, Odile Gozillon-Fronsacq organise sa chasse au trésor quotidienne des vieux films de particuliers. Avant de lancer son association, elle a travaillé durant plusieurs années à la création d’organes institutionnels de sauvegarde des films locaux :
« Notre volonté de créer le MIRA faisait suite à mes six années passées à travailler au Conseil départemental sur une mission de création d’un pôle image et audiovisuel. C’est aussi une histoire d’amitié avec Christiane Sibidieu. En 2006, nous organisions un colloque intitulé « Conformisme, impertinence et provocation dans l’image de l’Alsace. » Nous avons demandé des subventions pour l’organiser et on nous a expliqué qu’il fallait faire une association pour obtenir un financement public. C’est parti de là. »
Elle est aussi l’auteure d’une thèse sur les « stratégies cinématographiques en Alsace (1896 – 1939) » et d’un livre sur l’histoire du cinéma en Alsace. Sa comparse, Christiane Sibieude, est cinéphile et ancienne responsable de communication à la CCI de Strasbourg. Les compétences conjuguées des deux amies leur apportent une certaine expertise et permettent de lancer rapidement leur projet de cinémathèque à Strasbourg. Ou plutôt, de banque d’images animées, comme l’explique Odile Gozillon-Fronsacq :
« Nous définissons plus cela comme une banque d’images numérisées, parce que le mot cinémathèque fait un peu peur. Il renvoie à l’ancienne formule, c’est-à-dire un lieu où l’on projette des films, où les gens se rencontrent et débattent. Nous, ce que nous voudrions, en plus, c’est avoir quelque chose de pérenne autour de la conservation des images. »
Une étrange valise pleine de films
Quelles images ? Des films amateurs, principalement. Elles les récupèrent, les entretiennent, les numérisent puis les renvoi aux familles ou au magasin de films du Conseil départemental, que Odile Gozillon-Fronsacq a donc participé à créer :
« La vision que vous trouvez dans ces films, vous ne la trouverez dans aucun film officiel. Ce sont des documents historiques considérables et extrêmement menacés. On essaie de se faire connaître au maximum, pour que les gens pensent à nous contacter lorsqu’ils vident leurs bricoles. On est là pour repérer et recueillir ces films fragiles et précieux. »
Dans l’arrière salle du MIRA, pleine à craquer de cartons remplis de films, elle nous montre d’ailleurs sa dernière dernière acquisition : une vieille valise en cuir, remplie de bobines de 16 mm, de 35 mm et de 9,5 mm. « Impossible de savoir ce qu’il y a là-dedans pour le moment », s’amuse-t-elle.
Des films de propagande américains aux scènes de ménage
Concrètement, que trouve-t-on dans les films récupérés par le MIRA ? Le village de Marlenheim est, par exemple, très bien fourni en images amateurs. La période de la guerre et de sa sortie ont été largement couverts par des cinéastes en herbe, souvent anonymes. Dans une de ces vidéos, on voit les premières heures de la Libération du village de l’occupant nazi. Pour Odile Gozillon-Fronsacq, l’ambiance semble être à l’allégresse mais une forme d’hésitation éphémère, de tension encore palpable subsiste :
« On a tellement l’habitude de voir des images officielles de la Libération, où tout est organisé, tout le monde sait ce qu’il faut faire. Là, les gens attendent, ne savent pas trop ce qu’il va se passer. Ils sont là, ils regardent, certains font encore un truc genre vague salut nazi, c’est très étrange. C’est une véritable saisie, un moment où les gens voient arriver une nouvelle ère, en ont conscience mais ne captent exactement ce qu’il se passe sous leurs yeux. »
Parmi les images, on trouve aussi des scènes de la vie quotidienne de l’Alsace d’antan, comme cette courte vidéo où des femmes font la lessive dans la rue, dans le village de Châtenois près de Sélestat, en 1928.
Peu d’images de la villes de Strasbourg en elle-même sur le site, si ce n’est quelques images de construction de bâtiments. On trouve aussi des vidéos du bombardement de la ville durant la seconde guerre mondiale.
Et, inévitablement, des films de propagande. Le plus savoureux d’entre-eux est sans aucun doute l’extrait du film « In Happy Alsace », réalisé par l’armée américaine à destination de ses soldats, histoire de prouver aux hommes le bien fondé de leur assauts contre l’ennemi.
Un cinéma alsacien
Comme pour ce film de propagande, il arrive que le MIRA mette la main sur des images de professionnels : dans ce cas, suivant l’obligation de dépôt légal, elles les remettent aux archives du film français. Odile Gozillon-Fronsacq s’est ainsi mise en tête de retrouver une partie des films de la famille de Charles Han :
« C’était un pionnier du cinéma dans la région. Une partie de ses films a complètement disparue à cause des nazis. J’espérais les récupérer au Bundesarchiv [Les archives de Berlin, ndlr], mais visiblement ils n’y sont pas. J’ai pensé que les Russes, après être entrés dans Berlin, les avaient récupérés. Mais je ne les ai pas trouvés pour le moment. »
Au début du siècle, la famille Han n’était heureusement pas la seule à être passionnée de cinéma. Dans la liste des collectionneurs acharnés, on trouve également Albert Khan :
« C’était un Alsacien, fils de marchands de bestiaux du coin. C’est devenu un richissime banquier à Paris et il a fondé les Archives de la planète, à Boulogne. Là-bas, vous trouvez des centaines de kilomètres de films tournés dans le monde entier au début du siècle. »
D’autres exemples parsèment l’histoire du cinéma en Alsace. Difficile d’être exhaustif. Mais pour Odile Gozillon-Fonsacq, ce qui caractérise le cinéma régional, c’est une volonté d’ouverture. Notamment dans les types de fictions proposées :
« Vous avez ″L’Ami Fritz″, où l’on est dans l’exemple typique des codes du pittoresque. Depuis Charles Han, il y a toujours eu cette ouverture. Il y a aussi, par exemple, une parodie façon molière d’un maire alsacien plein de vanité et qui voulait, à l’époque du Reichsland, que ses filles épouses deux gars bien dotés pour qu’il puisse se faire sa place au soleil »
Un panel à faire rougir Hollywood, donc. Le site du MIRA est ouvert et gratuit tous les jours et à toute heure de l’année. In Happy Alsace.
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