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Au collège : « moi je suis un Arabe, alors j’ai pas le droit de bien travailler »

Enseignante dans un collège d’un quartier de Strasbourg, habituée aux zones de friction de la République, elle a pourtant été choquée de constater qu’un de ses élèves déploie des trésors d’imagination pour éviter d’apparaître comme trop bon élève. Parce qu’il est « arabe ».

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Une note près du collège de la Robertsau (Photo François Schnell / FlickR / cc)

« – Vous comprenez Madame, pour les élèves du collège, il y a deux groupes : les « Arabes » et les « Français ». Et moi là, bah c’est compliqué.

– Vous êtes tous nés en France pour la plupart. Tu sais que ça n’a aucun sens, ces deux groupes… De qui me parles-tu là ?

– Mais non Madame, vous comprenez pas. Disons que pour vous, ce serait équivalent aux « racailles » et à ceux qui « veulent travailler ».

– Mais toi, tu veux travailler.

– Oui mais moi, je suis considéré comme un Arabe. Alors j’ai pas le droit de trop bien travailler, sinon je risque de me faire frapper. »

Cette conversation, elle me met un coup au cœur.

Quand un très bon élève m’expose par le menu toutes les stratégies incroyables qu’il met en place au quotidien pour se soustraire à la violence de ses camarades qui, eux, ne se sentent pas assez français pour s’investir dans leur scolarité, j’en reste sans voix.

Il lui faut trouver une excuse plausible pour s’asseoir à côté d’une élève au niveau correct (« j’ai oublié mes lunettes, c’est la seule place qu’il reste à l’avant »). Il doit perturber le cours pour s’assurer que le prof le placera ensuite au bon endroit, pensant le punir, tout en maintenant son image auprès des autres. Il se bat une fois de temps en temps dans la cour de récré, mais va s’excuser rapidement quand les regards sont tournés ailleurs. Il avoue rater volontairement un devoir pour ne pas avoir une trop bonne note, mais prend soin d’en choisir un dont le coefficient ne sera pas trop important, parce qu’il faut tout de même qu’il fasse attention à ses parents et à son orientation…

Une note près du collège de la Robertsau (Photo François Schnell / FlickR / cc)
Une note près du collège de la Robertsau (Photo François Schnell / FlickR / cc)

« Ne vous inquiétez pas Madame, je gère »

Ses parents, d’ailleurs, tiennent à ce que lui et son frère aient une scolarité exemplaire. Compliqué de jouer sur les deux tableaux. Être dans la dissimulation et le calcul permanents, c’est fatigant. Je n’ose imaginer les ressources qu’il emploie à ce calcul, alors qu’il pourrait les utiliser à tellement meilleur escient.

Quand il me dit avoir peur, mais « ne vous inquiétez pas Madame, je gère », et termine en m’avouant avoir hâte d’arriver au lycée général, « parce que ce sera différent », ça me rend folle. De colère, de tristesse, d’indignation. Comment imaginer que dans un collège où tout le monde est tellement vigilant, où tout est fait pour que les élèves se découvrent, se respectent et se dépassent, on puisse passer à côté de ce genre de choses ?

Mes amis ne comprennent pas. Pour eux, c’était déjà comme ça avant, ce n’est pas étonnant. Oui, effectivement, c’était déjà mal vu d’être le bon élève de service. Mais la distinction se faisait-elle déjà tellement sur les origines ? Le mal-être de ces élèves tyrans était-il déjà à mettre sur le dos des communautés mises à l’écart par la France ?

Rares sont les profs encore révoltés

Mes collègues, eux, sont partagés. Certains jouent les autruches. Peut-on leur en vouloir de ne plus avoir l’énergie de s’indigner ? D’autres sont résignés depuis bien longtemps, et préfèrent donner la priorité à leur vie personnelle. Quelques rares continuent à se révolter, à lutter, à tenter de faire bouger les lignes. Mais ils sont en minorité. Ce ne sont pas eux qu’on écoute, ce ne sont pas eux les représentants du métier. Ils sont trop occupés à tenter de gérer ce qu’il se passe dans une classe, sur le terrain. Avec si peu de moyens…

Cet élève-là, qui lutte si dur, est sous le joug d’un autre élève « arabe ». Qui lui aussi, pourrait être un bon élève, si tant était qu’il se mettait à travailler un peu. Qu’est-ce qui, aujourd’hui, l’a amené, lui, un « arabe » à se dire « je ne dois pas être bon élève, je dois agir comme une « racaille » » ? Qu’est-ce qui le pousse à intimider tous ses autres camarades pour qu’ils fassent de même, au point d’user de violence verbale et physique ? Qu’est-ce qui, en 2017, empêche l’école de protéger tous ces enfants-là ?

J’ai grandi dans une ZEP de l’agglomération de Strasbourg. J’ai toujours enseigné en APV, RAR ou REP, que ce soit en Alsace ou dans le fameux 9-3. J’ai été prof en lycée général, technologique, professionnel, en post-bac aussi et maintenant dans un collège de quartier. Alors l’éducation prioritaire et la mixité des publics qui vont avec, je pensais connaître un peu. Mais malgré ça, l’étonnement toujours. L’indignation, et la désillusion, de plus en plus. Celle de ne pas trouver de réponse à toutes ses questions. Ou plutôt celle d’avoir les réponses, mais de savoir qu’elles ne seront pas mises en œuvre.

Les ZEP, un miroir grossissant de la société

Parce que j’ai toujours vu les élèves d’éducation prioritaire comme un miroir grossissant de la société, je m’inquiète aujourd’hui plus que jamais. En tant que prof, la carte mentale est plutôt à la mode. On écrit le sujet d’étude au milieu d’une feuille et on y accroche tous les mots clés associés. Et si je devais faire la carte mentale de ce problème, je vois déjà une bonne liste de mots à raccrocher : parents, cités, chômage, racisme, déterminisme social, pauvreté, injustice… Démission. Abandon.

Vivre ensemble. Tiens, celui-là aussi, je le mettrais. En rouge, barré, avec un gros sigle attention à côté. Parce qu’on n’y arrive pas. Parce que même les plus jeunes n’y arrivent pas. Ils ne vivent pas ensemble, ne croient pas en la réussite, n’espèrent rien, ni de l’école, ni des adultes.

Vivre ensemble… Une expression utilisée si souvent dans un pays qui n’est même plus capable d’en assurer la réalité pour ses jeunes générations, au sein même de ses institutions publiques. L’éducation, la police… Et après ?


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