Le dimanche 8 avril, au soir du premier tour des élections municipales anticipées de Schiltigheim, les états-majors des formations politiques s’étonnent : pourquoi les habitants de la cité des Écrivains se sont mobilisés à 77,8% pour le candidat de droite, Christian Ball ? Au second tour, l’écart est encore plus frappant : 82,6% pour Christian Ball et avec dans les deux cas une participation supérieure à la moyenne.
Aux dernières élections présidentielles, le même bureau 17 avait voté à 36,58% en faveur de La France Insoumise, suivi par 21,09% pour le Front National. Du coup, l’équipe de Danielle Dambach, conseillère municipale sortante élue maire au cours de ces élections, a consigné le résultat « anormal » du premier tour des municipales anticipées. Ce qui a conduit la préfecture du Bas-Rhin à dépêcher un agent de contrôle pour vérifier la conformité du déroulement du vote au second tour. Résultat : aucune anomalie.
Recruté par Jean-Marie Kutner
En fait, ce résultat est à mettre au crédit de l’activisme d’un homme, Ahmed Fares. Ce fonctionnaire de 43 ans est devenu adjoint au maire à la tranquillité publique de Jean-Marie Kutner, lorsque ce dernier a emporté la mairie en mars 2014. Natif du quartier des Écrivains, ancien président du centre socio-culturel Victor Hugo, il a été recruté par Jean-Marie Kutner dès les élections municipales de 2008. En 2014, le bureau 14 (ancien bureau 17) avait apporté plus de 50% de ses voix à l’ancien maire au premier tour.
En mars 2017, Ahmed Fares est pourtant le 15e conseiller municipal à démissionner, suite au départ fracassant de Christian Ball et des autres élus de sa liste. Ahmed Fares l’a suivi quand il a appris que Jean-Marie Kutner avait rencontré Raphaël Nisand, l’ancien maire (PS) de Schiltigheim. C’est son départ qui a provoqué des élections municipales anticipées.
Mickaël, 25 ans, a grandi et travaille dans le quartier comme animateur. Il n’a pas été surpris par les résultats du bureau 17 :
« Mis à part Ahmed Fares, les politiciens ne viennent pas nous voir dans le quartier. On les voit juste avant les élections. C’est comme Jean-Marie Kutner, il semblait sympa pendant les élections, aussitôt élu, on ne l’a plus vu. »
Selon lui, le quartier est abandonné par les pouvoirs publics :
« On a un local jeune, mais il n’ouvre que de 18h à 21h. Ici à part faire du foot, il nous est difficile de faire autre chose, comme simplement se retrouver et jouer aux cartes. Sur ce quartier, on devrait être 4 animateurs, on n’est que 2 et encore, mon second n’a été nommé que depuis quelques mois. »
« Ahmed Fares est venu vers nous comme un bonhomme »
Au milieu des tours de ce quartier populaire, près du terrain de foot synthétique, une demi-douzaine de jeunes passaient le temps mercredi soir. Ils expliquent pourquoi ils ont voté pour Christian Ball les deux dimanches précédents.
Kader détaille :
« Ahmed Fares a tout fait pour nous, quand on avait besoin de lui pour trouver du boulot… Donc en retour, je suis allé voter pour son boss, Christian Ball. Jean-Marie Kutner on l’a jamais vu alors qu’Ahmed Fares, il nous a emmené manger en centre-ville ou à Caracalla… »
Au fur et à mesure, d’autres jeunes apportent de nouveaux témoignages :
« Quand on doit faire un match de foot, et qu’on n’a pas assez de voitures, Ahmed nous emmène… Pendant le nouvel an, il était là de 8 heures du matin à 5 heures du matin pour qu’il n’y ait pas de problème dans le quartier. Si on a un problème de logement ou autre, on sait qu’il nous écoute et nous aide. Il n’a pas fait ça par intérêt, il aime les gens. »
À écouter ces jeunes, la tête de liste était Ahmed Fares. Une aura encore renforcée par l’absence d’autres élus, perçue comme un abandon par de nombreux habitants :
« Danielle Dambach, on ne la connaissait pas, on l’a vue rapidement et on a parlé avec son collègue vendredi, deux jours avant les élections. Il nous a promis qu’il reviendrait… et puis on ne l’a pas revu. On n’allait pas voter pour des gens qu’on ne connaissait même pas. »
« Ahmed Fares on n’a vu que lui dans le quartier »
Sabrina, habitante du quartier, détaille le lien entre Ahmed Fares et les habitants du quartier :
« Moi quand j’ai besoin de lui, je vais voir sa mère. Elle l’appelle et Ahmed répond tout de suite. Une fois j’ai appelé à 23h, il m’a rappelé à 23h15, vous imaginez ? Quel que soit le candidat qu’il soutient, on aurait voté pour lui… Et d’ailleurs, Ball il est d’extrême-droite non ? Bon donc ici les gens ils sont pas racistes, on n’aurait pas dû voter pour lui… mais on l’a fait pour Ahmed. »
« Moi je suis de ces gens là »
Pour Ahmed Fares, il n’y a pas 36 solutions pour le quartier :
« On nous explique qu’il faut faire quelque chose pour le quartier et quand quelqu’un le fait on le lui reproche ! Moi j’ai creusé cette question et je crois savoir pourquoi ces gens ont voté, parce que moi je suis de ces gens là, je suis né dans le quartier. J’ai mené une politique différente, je ne suis pas le stéréotype du politique. J’étais leur porte d’entrée à la mairie parce qu’ils me connaissaient. »
Selon lui, cette proximité aurait même permis de faire reculer le Front national :
« Le Front national fait son beurre sur des politiques qui ne sont jamais là… Et aujourd’hui, je suis sûr qu’il y a des électeurs du FN, ils en arrivent à voter pour quelqu’un qui s’appelle Ahmed Fares. Si on en arrive à faire ça, il y a un espoir. »
« Je les aime ces jeunes, et je pense que eux aussi m’aiment »
Pour Ahmed Fares, sa manière de faire de la politique est différente :
« Il y a un lien qui se crée, quand j’emmène des jeunes qui ne sont jamais allés au centre-ville de Strasbourg, que je les emmène dans les meilleurs restaurants, ce sont des jeunes qui sont reconnaissants… Moi j’ai pas honte de le dire, je les aime ces jeunes, et je pense que eux aussi m’aiment. »
Très bien mais cette manière de faire de la politique ne s’apparente-t-elle pas à du clientélisme ? En dépensant de l’argent pour s’attacher les faveurs des habitants du quartier, Ahmed Fares risque d’être poursuivi pour achats de vote. L’intéressé s’en défend :
« Ce sont des jeunes qui sont contents de voir autre chose, parce qu’il n’y a peut-être personne d’autre qui peut leur proposer ce que je leur propose. »
En attendant, l’intéressé donne rendez-vous en mars 2020, en refusant soigneusement de préciser vers quelle tête de liste pourrait aller sa préférence… Et si c’était la sienne ? Il y a au moins un quartier où ça ne déplairait pas…
Chargement des commentaires…