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Au bidonville de Cronenbourg : « On ne demande pas de logement, juste qu’on nous laisse vivre »

Quelques dizaines de Roms vivent dans un bidonville qui borde l’autoroute, à l’entrée de Cronenbourg, depuis leur expulsion de la rue du Rempart en 2018. Stigmatisés en Roumanie, ils sont habitués à vivre dehors, de la mendicité et de missions rémunérées éparses. Après des passages de la police début septembre, ils craignent que leurs baraques soient à nouveau détruites. Reportage.

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Au bidonville de Cronenbourg : « On ne demande pas de logement, juste qu’on nous laisse vivre »

Le camp, coincé dans le creux d’une bretelle d’accès de l’autoroute A35, est bien visible depuis la voie rapide. Des Roms s’y sont établis, près du dépôt de tram et de bus de la Compagnie des Transports Strasbourgeois (CTS), quartier Cronenbourg. Leur nombre varie selon la période de l’année, entre 10 et 70 selon Pablo, fondateur de la maraude des vélos du cœur : « Ils font des allers-retours entre la France et la Roumanie. »

La police et la peur de devoir quitter la zone

Lorsqu’il arrive, en cette soirée de mi-septembre, les habitants du bidonville sont environ 40. Plusieurs lui rendent compte d’un passage de la police nationale, « un après-midi, il y a quelques jours ». En roumain, ils témoignent de leur peur d’être, une fois de plus, contraints de quitter la zone. Selon eux, fin juin, des personnes « de la mairie ou de la préfecture », accompagnées de forces de l’ordre, leur avaient déjà demandé de quitter les lieux avant début octobre.

Simplan, âgée d’une soixantaine d’années, explique : « On ne demande pas de logement, juste qu’on nous laisse tranquille. On vit comme ça et on est bien. » Derrière elle s’érige sa cabane de taule, de bois et de placo. « On appelle ça des baraques », dit-elle, un grand sourire aux lèvres. Des débris d’environs 5 autres maisons de fortunes jonchent le sol. « La mairie nous a demandé de les détruire », dit un homme. Floriane Varieras, adjointe à la maire en charge des solidarités, indique que les services de la Ville ont bien demandé que des baraques inoccupées soient démontées… sans donner d’explication. « Mais leurs propriétaires reviendront bientôt », s’insurge Pablo, qui connait celles et ceux qui les ont construites.

Simplan fait des allers-retours entre la France et la Roumanie, pays dans lequel il est quasiment impossible de trouver du travail pour des personnes des communautés Roms, dont elle fait partie. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Non loin de là, une femme touille un ragout de poulet dans une grande marmite. Elle a glané de la nourriture toute la journée devant un supermarché. Des sacs de pommes de terre sont suspendus à des branches d’arbres, pour éviter que les rats ne les atteignent. Un four surplombé d’une grande cheminée, bricolée avec des matériaux trouvés dehors, laisse échapper une fumée odorante. Dominica vient à la rencontre de Pablo. Elle évoque aussi, spontanément, l’épisode des policiers. « On dérange qui ? », se demande t-elle.

La Ville ne prévoit pas d’expulsion, la préfecture ne souhaite pas communiquer

Contactée par Rue89 Strasbourg, la préfecture a décidé de ne pas répondre sur une potentielle expulsion. La Ville de Strasbourg, de son côté, n’a aucun projet d’évacuation, selon Floriane Varieras. Mais il y a un passif. Depuis dix ans, les Roms sont régulièrement évacués des lieux où ils s’établissent sans cadre légal dans la capitale alsacienne. Simplan craint de subir, une nouvelle fois, la destruction de sa baraque. Elle passe le balais devant pour dégager quelques feuilles mortes.

Sous l’ancienne municipalité socialiste, c’est bien la Ville qui avait décidé de plusieurs démantèlements de bidonvilles de Roms. La dernière expulsion date de 2018 : des Roms avaient dû quitter la rue du Rempart, à côté de la gare centrale. Depuis, ils sont là, à l’entrée de Cronenbourg. Marie-Dominique Dreyssé était adjointe à la solidarité pendant le dernier mandat. Elle est aujourd’hui élue référente du quartier gare :

« Ils étaient juste à côté de la piste cyclable, ça ne convenait plus. Nous voulions trouver un compromis digne, pour qu’il n’y ait pas de nuisances pour les riverains. Et on ne les chassait pas évidemment, on proposait des solutions. On a alors convenu qu’ils s’installent sur ce nouveau site, à l’entrée de l’autoroute. »

La Ville a installé des grillages pour éviter que les Roms se réinstallent rue du Rempart. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

« Ils se sont accommodés de cette vie, parce que rien d’autre n’a jamais été possible »

Entre 2013 et 2019, la Ville a créé deux sites temporaires d’intégration sociale destinés aux Roms : des camps de caravanes légaux et d’accompagnement vers le logement et l’emploi. Selon Marie-Dominique Dreyssé, 1120 personnes ont trouvé des solutions d’hébergement. Parmi eux, entre 300 et 400 étaient en âge de travailler et ont trouvé un emploi. Les autres étaient des enfants ou des personnes âgées.

Elvis, jeune adulte, est assis sur une chaise devant sa baraque. Il se souvient : « Ce n’était pas adapté à tous ». Il raconte que beaucoup de personnes sont trop âgées et en mauvaise santé pour commencer une vie de travail. Selon lui, de nombreux Roms ont refusé les dispositifs d’intégration. Aujourd’hui, certains sont ici, à Cronenbourg. Pablo commente :

« Les habitants de ce camp viennent essentiellement de Roumanie, où leur communauté est gravement stigmatisée depuis des décennies. À Strasbourg comme ailleurs, la plupart d’entre eux se sont accommodés de cette vie, parce que rien d’autre n’a jamais été possible. Ils sont organisés pour ça. L’intégration sociale telle qu’on l’imagine en France n’est donc pas toujours adaptée pour ces personnes. En tout cas, c’est une réalité très différente des camps de demandeurs d’asile, où les personnes cherchent à être hébergées et à obtenir des papiers. »

Pablo (à gauche), de la maraude des vélos du cœur, connait bien Elvis (à droite), qui vit au bidonville de Cronenbourg. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Une organisation rodée dans le camp

C’est l’heure de l’apéro, l’ambiance est conviviale. Plusieurs familles se parlent en roumain. Des éclats de rire couvrent le bruit des voitures. Elvis parle français, « comme presque tous les jeunes ». Il regrette que sa communauté ait mauvaise réputation :

« On nous voit comme des voleurs. Moi je ne connais personne ici qui vit dans la délinquance. On travaille dans les champs, dans le bâtiment, parfois au noir, et on fait la manche. On se débrouille comme ça. »

En soirée, les habitants du bidonville de Cronenbourg se retrouvent et partagent souvent des repas. Photo : remise

L’organisation semble rôdée : certains bricolent, d’autres font à manger, d’autres encore, profitent des derniers rayons du soleil. C’est une ambiance de routine, paisible. Pablo vient régulièrement, dans le cadre de distributions de denrées alimentaires. Il est ami avec plusieurs habitants du camp. Comme il parle italien, il comprend le roumain. Elvis fait remarquer : « Avec les vélos du cœur, vous êtes les seuls qui viennent en ce moment. »

Samir, la quarantaine, s’incruste dans la conversation. Lui travaille à Haguenau, dans une ferme, et vit dans un appartement depuis 8 ans. Avant, il dormait aussi dehors. Aujourd’hui, il passe au camp pour voir ses amis :

« J’ai une vie plus normale maintenant. Comme moi, certains jeunes n’ont pas la même mentalité que les autres Roms. Ils veulent un logement et tout. Ceux-là, il faut leur donner une chance. »

« Des enfants pourraient être scolarisés et accompagnés »

D’après Pablo, les Roms du camp de Cronenbourg sont catégorisés comme une population qui n’a pas besoin d’aide. Simplan, Samir, Elvis, Dominica, et deux autres personnes qui souhaitent rester anonymes ne se rappellent que d’un seul passage d’une équipe de travailleurs sociaux. Ils ne savent pas de qui il s’agissait. Le service communication de la Ville de Strasbourg assure qu’une équipe de la Ville est passée : « Nous avons mis en place une collecte des déchets. Aucune personne n’a demandé un hébergement, et aucun enfant n’a été répertorié. »

Pablo rétorque :

« Mais ça bouge beaucoup. Il faut tout de même que la Ville organise des maraudes régulières pour savoir quelle est la situation sur le camp. Moi je vois souvent des jeunes ou des enfants qui pourraient être aidés. C’est dommage s’ils passent à travers les mailles du filet. Et ils peuvent manquer de nourriture ou d’eau lorsque celle-ci est coupée à cause du gel en hiver. »

Floriane Varieras concède que « le dialogue avec ce campement est distendu » :

« Il n’y avait plus personne durant le premier confinement. Le bidonville est à nouveau occupé depuis début 2021. Nous travaillons en ce moment à recréer une relation avec les habitants, notamment pour trouver des solutions d’insertion sociale. Si nous constatons la présence d’enfants, nous leur proposerons une scolarisation. »

« Pourquoi ne pas leur donner une aire d’accueil légale ? »

Un homme, sexagénaire, passe en saluant de la main. Il porte péniblement un bidon qu’il s’apprête à remplir au point d’eau, à 150 mètres de là, devant les Restos du Cœur. Elvis et Simplan conviennent que la vie est pénible. Après un long silence, ils haussent les épaules. Pablo glisse :

« Ils sont poussés à s’installer au pied d’une autoroute, où ils construisent leur bidonville, et même là, ils ne savent pas du tout s’ils peuvent se faire expulser du jour au lendemain. Pourquoi ne pas être transparent avec eux ? C’est indigne. Et pourquoi on ne leur met pas à disposition une aire légale ? Si là on les expulse, c’est quoi la suite ? Ils s’installeront juste plus loin. »

La mère d’Elvis pose une polenta et un plat de poulet en sauce sur une table installée dehors. Naturellement, elle invite Pablo à manger. Il accepte, sans hésiter. La vie continue pour les Roms du bidonville de Cronenbourg, dans l’incertitude. Tous disent qu’ils y resteront, aussi longtemps que possible.

Les Roms vivent en communauté, dans des baraques auxquelles ils tiennent. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

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