Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

« Quand j’y pense je pleure, la suite va être difficile »

Rue89 Strasbourg a recueilli le témoignage d’une personne présente mardi soir rue des Grandes Arcades, confinée avec une partie des victimes des attaques de Strasbourg. Il raconte.

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Des fleurs et des mots ont été déposés au pied des sapins de la place Kléber (Photo Abdesslam Mirdass)

Mardi soir, il est 19h50, en plein cœur de Strasbourg. Le marché de Noël est sur le point de fermer lorsqu’un homme, Cherif Chekatt, 29 ans, fiché S, tire sur des passants rue des Orfèvres, marquant le point de départ de son trajet morbide dans les rues de la capitale alsacienne, faisant trois morts et treize blessés. Il prend ensuite le chemin de la place Kléber et son mythique sapin et se dirige vers la rue des Grandes Arcades. Il tire à nouveau.

Denis, la vingtaine, est au même endroit. Il rentre d’un match de football. Denis n’est pas son vrai prénom, car il souhaite ne pas être identifié pour, dit-il, « ne pas se mettre en avant, rester à sa place ». Il se souvient avoir entendu une, puis deux détonations. « À la deuxième détonation, il y a eu un gros mouvement de foule vers la gauche, les gens ont cherché à se réfugier sous les arcades », raconte-t-il.

Lui avait d’abord cru à des pétards, lancé au hasard dans la foule, pour une mauvaise blague, « pour faire peur aux gens ». Mais devant la boutique Adidas, il voit un homme allongé sur le sol. Ses trois enfants sont à côté, et sa femme, hurle. Trois ou quatre autres détonations retentissent encore.

« J’ai nettoyé leurs mains pleines de sang »

À ce moment-là, Denis voit le tireur d’assez près pour remarquer un grain de beauté sur le visage. Mais Denis est formel, les tirs qu’il a entendus ne sont pas des tirs d’armes à feu. « Ça ressemblait davantage à des tirs de mortier », affirme-t-il.

Avec d’autres passants, il trouve refuge dans le supermarché Auchan de la place Kléber. Il raconte les deux heures et demie passées à attendre la police :

« Avec les clients qui étaient déjà en train de faire les courses, on était à peu près une quarantaine à être confinés. La femme dont le mari était au sol est là, avec ses enfants, dont le plus âgé paraît avoir six ans. J’ai nettoyé leurs mains qui étaient pleines de sang. Leur mère avait aussi les vêtements tâchés de sang. Les enfants ont pleuré pendant quelques minutes puis se sont calmés. Avec quelques personnes, on s’est relayés auprès d’eux pour les occuper. Leur mère était paniquée, au téléphone et parlait dans une langue étrangère, en turc peut-être… »

Il s’agissait d’une langue afghane, Kamal, 44 ans, était un réfugié politique d’Afghanistan. Il avait fui la violence de son pays à l’âge de 18 ans. Jeudi 13 décembre au matin, il est ajouté au bilan officiel des victimes.

Solidarité et prise téléphonique

Denis souligne la solidarité qui s’est installée entre ceux qui avaient trouvé refuge pendant ces deux heures d’attente, qui ont semblé interminables. « Les employés du magasin ont distribué de l’eau, ouvert les toilettes, on sentait l’entraide ». Dans l’angoisse de savoir ce qu’il se passe et pour rassurer les proches, la grande majorité des personnes réfugiées dans le magasin ont le visage rivé sur leur téléphone :

« Tout le monde était sur les réseaux sociaux ou passait des appels pour essayer d’en savoir plus. Mais on s’est très vite retrouvés sans batterie. Parmi eux, une personne avait un câble pour recharger le téléphone. On faisait des roulements et dès que j’avais atteint 20% de batterie, je le passais à quelqu’un d’autre. »

Des fleurs et des mots ont été déposés au pied des sapins de la place Kléber (Photo Abdeslam Mirdass)
Des fleurs et des mots ont été déposés au pied des sapins de la place Kléber (Photo Abdeslam Mirdass)

Au bout de deux heures d’attente, la police arrive sur les lieux. Denis est interrogé deux fois. Il affirme que huit personnes ont reconnu l’homme dont la photo a commencé à circuler dès mardi soir sur les réseaux sociaux. Très vite, il donne aux enquêteurs une description précise du suspect : couleur des vêtements, forme du visage, aspect physique, jusqu’à ce grain de beauté qui l’a tant marqué :

« Les enquêteurs m’ont demandé comment je pouvais fournir autant de détails. Je travaille dans l’hôtellerie-restauration, je suis habitué aux moments de stress intense où il faut conserver son sang-froid et sa concentration. »

Denis est ensuite rentré tard chez lui. Très choqué. Mercredi soir, Chérif Chekatt est toujours en fuite et activement recherché par des centaines de forces de sécurité. Un appel à témoins a été diffusé pour tenter de le retrouver. Denis lui avoue ne pas avoir dormi de la nuit. « Quand j’y repense, je pleure », concède-t-il. « La suite va être difficile ».


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