« Après le bac, Khamzat voulait faire médecine. Il voulait sauver des vies. » Après le bac, Pierre [tous les prénoms ont été modifiés, ndlr] n’a pas revu son ancien camarade depuis qu’il l’avait fréquenté au lycée Marie-Curie, dans le quartier de l’Esplanade à Strasbourg. Quelques SMS avaient été échangés depuis juin 2016. Rien d’anormal ne transparaissait dans les textos. Puis l’étudiant strasbourgeois a appris la nouvelle dans la soirée du samedi 12 mai : l’auteur de l’attaque au couteau à Paris qui a fait un mort et plusieurs blessés, c’est Khamzat Azimov. « J’ai honte de le dire, mais c’était un ami », dit-il la gorge nouée.
Trois ans avec Khamzat Azimov
Pendant trois ans, plusieurs élèves de l’établissement strasbourgeois ont côtoyé Khamzat Azimov. Ils ont étudié dans la même classe, en section ES (économique et social), mangé à la même table à la cantine ou discuté ensemble dans la cour de l’établissement. Depuis samedi soir, ils se disent tour à tour, « choqués », « abasourdis » ou « dans l’incompréhension la plus totale. »
Ils sont près d’une dizaine à échanger leur ressenti sur une liste Twitter constituée le soir de l’attaque. Sous le nom de la conversation de groupe, « Cellule de crise psychologique », les anciens camarades de Khamzat font part de leur désarroi : « J’ai tellement de peine », « c’est pas une mauvaise personne… » et puis une proposition se fait jour : « Jte (sic) jure faut parler aux médias, leur raconter tout ça. Ils le font passer pour un monstre alors qu’il a été manipulé. »
Un élève « discret , travailleur et respectueux »
Les témoins décrivent une personne discrète mais attentionnée. Frédéric, ancien professeur du jeune d’origine tchétchène, parle d’un élève « respectueux et travailleur. » À ses camarades de classe, Khamzat parlait beaucoup de sa petite sœur : « La petite était en primaire quand nous étions au lycée. Il nous montrait souvent des photos d’elle. C’était son bijou. » Un garçon hors de tout soupçon, selon tous les témoignages. Il était quand même inscrit au Fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) mais considéré comme une « menace faible », selon Le Parisien. Près de 20 000 personnes sont inscrites dans le FSPRT, dont environ 12 000 sont fichées S, notamment pour islamisme radical.
Les craintes publiques concernaient plutôt son ami très proche, prénommé Hakim. Anna explique :
« Khamzat n’était pas très pratiquant au lycée. Il mangeait avec nous à la cantine [où la viande n’était pas halal, ndlr] alors qu’Hakim était très attaché à sa foi. Je sais qu’il voulait partir en Syrie pendant un petit moment, en terminale. C’était des rumeurs. Tout le lycée était au courant. Après il s’est calmé et il a dit qu’il avait retrouvé la raison. À la fin, on se moquait de lui en disant qu’il allait partir en Syrie. »
« Le cas de Hakim était plus préoccupant »
L’ancien professeur de Khamzat et d’Hakim confirme ces propos :
« Pour Hakim, on avait noté un discours religieux qui s’était renforcé. Son cas était bien plus préoccupant [que celui de Khamzat, ndlr] car il avait d’importantes difficultés scolaires. Les deux derniers mois avant le bac, Hakim ne venait plus en cours. Il n’a pas eu son diplôme. »
Dans l’après-midi du dimanche 13 mai, Hakim, résident de l’Esplanade a été placé en garde à vue. Le domicile de ses parents a été perquisitionné à Strasbourg. Lundi, l’homme d’origine tchétchène a été transféré à Paris au siège de la Direction générale des services intérieures (DGSI).
Selon Frédéric, seul le cas de Hakim a fait l’objet d’une alerte auprès du rectorat de l’Académie de Strasbourg. L’élève avait éveillé les soupçons suite à un exposé sur les relations homme-femme. « Tout était analysé à travers le prisme religieux », se souvient le professeur. Puis il y a eu ce jour où l’ami de Khamzat a « pété un cable », d’après les dires de ses camarades : sans raison, à la fin du cours, il jette sa table et deux chaises contre le mur. « On a tous eu un peu peur de lui demander pourquoi il avait fait ça, confie un ancien camarade, donc on n’a jamais su… »
Depuis le bac, plus de nouvelle
Les routes des élèves du lycée Marie-Curie se séparent après le bac en juin 2016. L’un se souvient avoir croisé Hakim. Il a alors changé de trottoir. Depuis l’épisode de la table jetée contre le mur, l’étudiant préférait ignorer son ancien camarade. Une autre Strasbourgeoise se rappelle que l’ami de Khamzat faisait semblant de ne pas la voir. Peu nombreux sont ceux qui ont aperçu Khamzat après le bac.
Sophie connaît l’auteur de l’attentat du 12 mai depuis le collège. Dans l’amphithéâtre de la faculté de médecine de Strasbourg, elle a parfois pris place à côté de Khamzat. Elle échangeait peu avec le jeune homme :
« À la fac, il était seul. Je ne l’ai jamais vu communiquer avec quelqu’un. On se disait bonjour de loin. Par manque de place dans l’amphi, on s’est assis ensemble quelques fois. Je l’ai toujours trouvé calme, vraiment, je pensais que c’était quelqu’un d’introverti. Vers novembre 2016, je ne l’ai plus vu du tout à la fac. »
« On n’arrive pas à réaliser »
Récemment, la famille de Khamzat s’était installée en région parisienne. Aucun de ses anciens camarades n’était au courant du déménagement. C’est à ce moment là qu’ils ont perdu contact avec lui. Ils ont encore du mal à prendre conscience de cet événement : « À la télé, on a vu des photos de notre ami mort. On n’arrive pas à réaliser. »
Les jeunes Strasbourgeois veulent apporter leur façon de voir le jeune homme. Ils ne reconnaissent pas le Khamzat des médias : « Ce n’est pas lui qui a fait ça. On lui a lavé le cerveau… »
Un autre ami, plus proche, se met à douter : « Maintenant je me demande : est-ce qu’ils cachaient bien leur jeu ? Est-ce qu’ils pensaient qu’il y avait une suspicion du lycée à leur égard ? Ces liens, je les fais maintenant seulement… »
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