Saturation des plannings de rendez-vous, absence de guichets physiques, difficultés d’accessibilité dues à la fracture numérique… Un collectif d’associations composé de la Ligue des droits de l’Homme, du Syndicat des avocats de France et de La Cimade a déposé une requête au tribunal administratif de Strasbourg, le 30 juin 2021, pour assigner en justice la préfecture du Bas-Rhin.
En ligne de mire, les démarches numérisées pour les usagers étrangers souhaitant obtenir ou renouveler un titre de séjour. En juin 2017, la préfecture du Bas-Rhin a imposé la prise de rendez-vous uniquement via internet. Et depuis mai 2020, le dépôt des dossiers se fait sur le portail de l’Administration Numérique pour les Etrangers en France (ANEF).
L’audience se fait attendre
Cette obligation de faire usage d’outils informatiques « ne respecte pas les dispositions légales » pour les associations, qui s’appuient sur un jugement du tribunal administratif de Rouen datant du 18 janvier 2021. La juridiction administrative avait annulé pour illégalité un arrêté de la préfecture de Seine-Maritime imposant aux personnes étrangères de déposer en ligne leurs demandes de séjour.
Sept mois après le dépôt de la requête contre la préfecture du Bas-Rhin, les associations patientent toujours. Une première audience devait se tenir le 14 décembre, mais elle a fait l’objet d’un report au 18 janvier. Entre temps, le Conseil d’État a été saisi afin de statuer sur l’imposition des procédures numériques pour les usagers étrangers, renvoyant l’audience à une date ultérieure, toujours inconnue. Pourtant, la plus haute juridiction administrative avait déjà indiqué, en 2019, que les procédures dématérialisées ne pouvaient pas être la seule voie d’accès aux droits.
« On ne peut pas faire le travail de la préfecture »
Me Typhaine Elsaesser, l’une des avocates du droit des étrangers qui porte le dossier, déplore cette situation :
« L’attente de l’audience fait perdurer les difficultés que rencontrent les demandeurs étrangers, comme l’impossibilité d’accéder à internet. Mais elle a aussi des conséquences sur les associations et les avocats, qui passent beaucoup de temps à comprendre les procédés administratifs et surmonter les nombreux obstacles pour faire valoir le droit des usagers étrangers. Ils ont donc moins de temps pour les accompagner dans les démarches autres que celles d’un accès à un guichet. »
Sans voies alternatives pour mener à bien les démarches administratives, les étrangers en quête d’un titre de séjour affluent dans les associations d’aide aux étrangers, comme à La Cimade. Mais beaucoup viennent aussi pour des problèmes liés à la barrière de la langue ou la méconnaissance des outils numériques, détaille Élodie Martin, déléguée interne sur les questions juridiques à La Cimade :
« On est très mobilisés, mais on ne peut pas faire le travail de la préfecture. C’est un service public, c’est à eux d’accompagner les personnes. On ne peut pas prendre des rendez-vous ou faire les démarches de téléprocédures pour tout le monde. Nous sommes en première ligne, ce n’est plus possible, il nous faut une solution. »
Pour le collectif d’associations, cette « solution » doit passer par la mise en place de guichets avec des personnes physiques.
Moins d’agents, plus de missions et de vacataires
Cependant, le manque de moyens humains ne permet pas à ce jour d’assurer ce type de service, comme le souligne Antoine Goffinet, le secrétaire du syndicat Force ouvrière de la préfecture du Bas-Rhin :
« Dans le domaine du droit des étrangers, on s’est aperçu que les réformes successives du ministère de l’Intérieur permettaient de libérer des emplois à temps plein et donc de faire des économies. En près de 10 ans, une cinquantaine de postes ont été supprimés à la préfecture, soit 10 % de l’effectif initial. On a donc moins d’agents dans ce service, mais avec plus de missions. »
Et lorsqu’il faut renforcer les effectifs, la préfecture fait régulièrement appel à des vacataires, parfois des services civiques, selon le secrétaire FO-Préfecture. Ces agents répondent à des besoins ponctuels de la fonction publique et sont recrutés pour accomplir des missions précises. Contrairement à des CDI ou des CDD, ils ne perçoivent pas de salaire, mais sont rémunérés à la tâche. Deux problèmes se posent avec cette politique de recrutement pour Antoine Goffinet :
« Ils n’ont aucune connaissance de la culture administrative et du service auxquels ils sont affectés. Les agents en poste vont passer trois semaines à les former sur le tas pour qu’ils soient autonomes. Les services pour les étrangers sont concernés comme ils sont en sous effectif. »
Plus généralement, un rapport des députés Mme Stella Dupont (LREM) et M. Jean-Noël Barrot (MoDem) du 26 mai 2021 montre que sept plans visant à recruter des vacataires ont été déclenchés dans les préfectures françaises entre 2017 et 2020. Pour sa part, le syndicat FO-Préfecture du Bas-Rhin déplore cette stratégie impulsée par le ministère de l’Intérieur, qui participe à la « perte d’un service public de qualité », au profit d’une « logique économique ».
« On utilise encore word 1997, alors qu’on est 2022 »
Les moyens techniques sont également pointés du doigt par le syndicat Force ouvrière :
« On a des postes performants, mais les logiciels dont on dispose sont trop anciens. On utilise encore word 1997, alors qu’on est 2022. Le ministère de l’Intérieur a acheté une version du pack office au rabais. »
Antoine Goffinet, secrétaire de la section Force ouvrière de la Préfecture du Bas-Rhin.
Par ailleurs, les différents confinements, survenus en 2020 et en 2021, ont généralisé le télétravail. Sur un volume de 400 agents, « environ 290 travaillent depuis leur domicile », estime Antoine Goffinet. Mais selon lui, le matériel personnel dont ils disposent ne permet pas toujours d’effectuer leurs missions dans de bonnes conditions (problèmes de connexion, vieux ordinateurs…) et d’assurer « un véritable service de proximité ».
Le silence de la préfecture face au manque de moyens
Elodie Martin, la déléguée juridique de La Cimade regrette la position de la préfecture du Bas-Rhin :
« On n’est pas contre la dématérialisation, ça pourrait être positif si tout le monde y avait accès. Mais sans voies alternatives, c’est une trop grande difficulté pour les usagers étrangers. On a déjà envoyé plusieurs mails et courriers à la préfecture pour qu’on échange avec eux sur les difficultés et les réponses à apporter. Nous n’avons jamais obtenu de réponses. »
« Le seul espoir » réside désormais dans une annulation par le tribunal administratif de l’imposition des procédures dématérialisées. Un jugement qui permettrait de respecter « l’égalité dans l’accès au service public », comme le revendique régulièrement le collectif d’associations.
Sollicitée, la préfecture du Bas-Rhin n’a pas répondu aux questions de Rue89 Strasbourg.
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