C’est dans le film « Mademoiselle de Strasbourg », diffusé en 1963, qu’on trouve les premières images de la Foire Saint-Jean à Strasbourg. Elles sont nocturnes.
Les premières scènes tournées en journée sont diffusées l’année suivante dans le journal de l’ORTF. On est au temps des auto-skooters et des avions que les enfants peuvent faire décoller en appuyant sur un bouton.
Treize ans plus tard, les manèges ont pris de la hauteur et de la vitesse. L’électronique est partout, les premières salles de jeux vidéo ont fait leur apparition entre les attractions. Question mode, c’est aussi l’époque des chemises ouvertes sur les torses velus pour les hommes.
Dans le journal régional, Christian-Marie Monnot, alors jeune journaliste débutant, s’interroge déjà sur l’authenticité de la foire tandis que le cadreur tente des plans… étonnants.
Le Wacken en sursis
1992 : la Foire Saint-Jean est toujours là, ainsi que ses visiteurs. Ce sont les manèges à sensations fortes, de plus en plus nombreux, qui attirent caméras et chalands.
Avec l’agrandissement de Parlement européen, la question de l’emplacement au Wacken est mise sur la table. On en reparlera ensuite quasiment chaque année. Par exemple en 2001, dans un sujet où l’on se questionne sur la coexistence entre les industriels et les artisans, et sur la conservation de la tradition.
La parenthèse des Deux-Rives
Du Wacken, la Foire Saint-Jean en est finalement chassée en 2006, vers le Jardin des Deux-Rives. Un déménagement que les forains vivent comme une relégation. Alors quatre ans plus tard, ils accueillent avec soulagement l’annonce du retour prochain sur leurs terres.
Après neuf années au Wacken, la Foire Saint-Jean quitte à nouveau le quartier. Définitivement. Évincée cette fois par le quartier d’affaires Archipel, elle doit se déplacer de quelques hectomètres vers la plateforme Kieffer, près du Palais de la Musique et des Congrès.
« Le monde a changé, la Foire a changé avec lui »
Quatrième génération de forains de la famille Coppier, Tony connaît la Foire Saint-Jean depuis toujours. Aujourd’hui, il en est le président. En 58 ans, il l’a vue évoluer.
« Le monde a changé, la Foire a changée avec lui. Tout va plus vite, tout est plus grand. Pareil pour les manèges. La grande roue de mes grand-parents faisait 18 mètres de haut… Celle d’aujourd’hui mesure 80 mètres. L’acier a remplacé le bois, l’hydraulique a remplacé le cric à manivelle. Associé à l’informatique, ça a permis la fabrication des grands manèges à sensations qui, au lieu de simplement tourner ou bien monter et descendre, font bouger les gens dans tous les sens. »
Est-ce la concurrence des parcs d’attractions qui a provoqué ce gigantisme ? Pas du tout selon Tony Coppier :
« Les forains ont toujours été des précurseurs. Les premiers à présenter le cinéma, les premiers à ouvrir des salles de jeux vidéo, les premiers à proposer les grands manèges à sensations, etc. Ce qui pousse les forains à innover, c’est le public. Les gens se lassent de plus en plus vite, alors on doit en proposer sans cesse davantage pour les attirer. Avant, dans sa carrière un forain avait un ou deux manèges. Aujourd’hui, certains en changent tous les trois ou quatre ans. »
« Nous réinventer, en continuant à allier innovation et tradition »
Mais malgré ces efforts, la Foire n’attire plus autant de monde qu’avant. Surtout si on compare aux années d’après-guerre :
« C’était l’euphorie partout. Quand la Foire s’installait en ville, c’était l’événement. Les gens s’y bousculaient. Et puis il y a eu de plus en plus de distractions concurrentes. Ça a commencé avec la télévision, puis il y a eu la VHS, les parcs d’attractions, les salles de loisirs sportifs, les animations offertes par les villes, les consoles de jeux, internet… Mais maintenant, la fréquentation s’est stabilisée, même si ça peut évoluer d’une année à l’autre pour des raisons qu’on n’arrive pas à s’expliquer. En outre, les visiteurs ont de moins en moins d’argent à dépenser. »
Ce qui est vrai également pour le secteur de la restauration, qui a également connu des évolutions :
« Les belles brasseries qui étaient installées au Wacken ont disparu, malheureusement. Incendiées ou fermées. Les gens aimaient venir y manger et profiter de la Foire. Aujourd’hui, il n’a plus rien de comparable dans le coin. Et à côté des saucisses et des merguez, on voit beaucoup de kebabs et de burgers. Mais les grands classiques de la Foire ont toujours du succès : la pomme d’amour, la guimauve, les amandes et les cacahuètes grillées sur place n’ont pas d’équivalent en ville. »
Pour Tony Coppier, les forains sont condamnés à se réinventer s’ils veulent que la Foire ait un avenir :
« Nous devons mêler innovation et tradition. C’est de là qu’était née l’idée d’un festival des arts forains au centre de Strasbourg : une façon de rappeler que la Foire fait partie de notre culture commune, que ce n’est pas qu’une distraction vulgaire de beaufs, comme le pensent certains. Des gens qui ne la connaissent pas. »
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