En 1977, l’émission d’Antenne 2 « Un sur cinq » se penche sur l’autonomisme et les jeunes en Alsace. Les extraits de cette enquête, disponibles ci-dessus, témoignent d’un regain d’intérêt pour la défense de la culture locale et le rejet du pouvoir centralisé à Paris. Le régionalisme, terme plus consensuel que celui d’autonomisme, est de retour dès la fin des années 60. Des journaux sont créés pour publier des articles en alsacien. Des groupes politiques se présentent aux élections locales et législatives. Une association défend l’enseignement de l’allemand et de l’alsacien à l’école. Avec l’historien Alfred Wahl et le politologue Bernard Schwengler, Rue89 Strasbourg retrace cette période où Paris était honni et l’Alsace, c’était la classe.
L’autonomisme alsacien contre l’annexion par l’Empire allemand
L’autonomisme alsacien est né lors de l’annexion de l’Alsace par l’Empire allemand en 1871. Alfred Wahl, historien spécialiste du sujet, explique comment ce mouvement politique est apparu :
« Le Reich met en place l’école obligatoire en allemand dès l’annexion de l’Alsace, en 1871. C’est une première source de protestation. Puis il y a le choix allemand de la modernisation à travers l’urbanisation et le contrôle administratif des citoyens… Ceci contrevient aussi aux habitudes locales. Enfin, Bismarck a mis en place un droit du travail bien plus progressiste que les textes en vigueur en Alsace. Cela a suscité le mécontentement, des patrons de Mulhouse en particulier. »
La collaboration des autonomistes avec le régime nazi
Au cours de l’entre-deux-guerres, l’autonomisme alsacien dénonce le pouvoir central français. En 1924, le président du Conseil des Ministres, Edouard Herriot, annonce la fin du régime concordataire en Alsace-Moselle. La mobilisation contre ce projet est très forte en Alsace. Les autonomistes sont au premier rang de la contestation. L’idée est finalement abandonnée l’année suivante.
À la fin de la seconde guerre mondiale, les autonomistes sont accusés de collaboration avec le régime nazi. La plupart des ex-dirigeants du mouvement sont arrêtés et condamnés en 1947. Certains sont envoyés en prison, d’autres seront condamnés à mort.
La langue : fer de lance des revendications autonomistes
Il faut donc attendre plus de vingt ans pour que l’autonomisme alsacien refasse surface. Pour Bernard Schwengler, auteur de plusieurs publications sur le sujet, ce n’est pas seulement le temps qui a fait son oeuvre :
« Bien sûr, la plus grande distance avec la deuxième Guerre Mondiale a rendu l’autonomisme alsacien plus acceptable dans les années 70. Mais les mouvements régionalistes en Bretagne et en Occitanie ont aussi accru la légitimité des demandes alsaciennes. »
Les revendications culturelles et linguistiques sont portées par le cercle René Schickele, fondé en 1968. On demande alors de réintroduire trois heures de cours d’allemand par semaine en école primaire. Cette partie de l’enseignement avait été interdite en 1945. En général, on évitait les références à l’autonomisme chez la plupart des militants du mouvement culturel. Tout au plus se dira-t-on « régionaliste ».
« Le prolétariat alsacien est exploité par la bourgeoisie française et allemande »
Des journaux sont aussi lancés pour mettre en avant les particularités régionales. Alfred Wahl cite le magazine D’Budderfladà [tartine au beurre], créé dans les années 70 :
« Le journal a été créé par un activiste autonomiste du nom d’Armand Peter. On y trouvait des articles et de la poésie en allemand et en alsacien. Mais dans cette revue, les sujets étaient plus culturels que politiques. »
Dans les pages de l’Alsace rouge, on trouve un mélange de marxisme et de régionalisme. Bernard Schwenger résume une thèse relayée dans ce journal diffusé au courant des années 70 :
« Pour reprendre leur vocabulaire, les auteurs de cette revue considéraient que le prolétariat alsacien était exploité par les bourgeoisies française et allemande, à travers le phénomène des travailleurs frontaliers par exemple. Toujours selon les auteurs, la non-reconnaissance de l’alsacien correspondait à une aliénation culturelle qui contribuait à l’exploitation économique et sociale dont souffrait le prolétariat alsacien. Ils constataient par exemple que les alsaciens occupaient rarement des postes de direction). »
En février 1975, la revue Rot un Wiss (Rouge et blanc, couleurs du drapeau historique alsacien) commence à paraître. Le « mensuel fédéraliste bilingue pour l’Alsace et la Lorraine thioise » soutient un propos dont la tendance autonomiste est plus claire. La rédaction du papier est constituée de futurs membres de l’Union du peuple alsacien, parti autonomiste alsacien créé en 1988.
« Paris étouffe les provinces »
Les autonomistes se lancent aussi dans l’aventure politique dans les années 70. Dès 1968, l’Union pour une Constitution fédéraliste participe aux élections législatives. La liste ne récolte que 3% des voix malgré un discours vindicatif :
« Depuis des siècles, Paris étouffe les provinces, détruit systématiquement leurs libertés politiques, économiques et culturelles et fait d’elles des quasi-colonies. […] Nous réclamons, comme à Bordeaux, comme à Saint-Etienne, un enseignement bilingue rationnel et moderne, réclamé par 85% des parents d’élèves, en raison des nécessités économiques qui s’imposent à l’Alsace. »
Pour le Parti fédéraliste Alsace-Lorraine, le score est aussi de 3% aux élections législatives de 1973. L’année suivante, un nouveau parti régionaliste est créé : le Front Culturel Alsacien (Elsassischi Frunt). Il est responsable de la publication du magazine D’Budderfladà. Pour Alfred Wahl, l’initiative était condamnée à l’échec :
« Avec le Front Culturel Alsacien, l’idée était de créer un mouvement régionaliste de gauche post-68. Il s’agissait principalement de favoriser les initiatives culturelles locales. Les membres du parti s’inspiraient du philosophe Antonio Gramsci, qui accordait une grande importance au combat culturel contre la classe dirigeante. »
Ferdinand Moschenross (visible dans les extraits ci-dessus) fonde le Front autonomiste de libération en 1975. Il récolte 11% des voix en 1976 et 14% en 1979 lors d’élections cantonales. Bernard Schwenger s’en souvient comme d’un « agitateur ». Il a notamment troublé une séance plénière du Conseil général du Bas-Rhin le 6 janvier 1981. On organisait alors les cérémonies pour fêter les 300 ans du rattachement de Strasbourg à la couronne de France. L’autonomiste avait alors lancé une poignée de tracts en guise de protestation. Le journal Le Monde s’en était fait l’écho.
« On ne fait pas un parti avec une nébuleuse »
Dans les années 80, le mouvement autonomiste perd son dynamisme. Pour Bernard Schwenger, l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand explique en partie cette baisse d’activité :
« Les régionalistes de gauche avaient mis beaucoup d’espoir dans l’alternance de 1981 et celle-ci a provoqué un effet de démobilisation. Les lois de décentralisation votées en 1982 ont temporairement réduit les revendications autonomistes. Mais au bout du compte ils ont été déçus. Au niveau de l’enseignement, les autorités scolaires rectorales ont adopté à partir de 1981 un discours favorable à la prise en compte de la culture régionale et au bilinguisme mais les réalisations ont été très peu nombreuses. »
Pour Alfred Wahl, les échecs successifs des autonomistes sont aisément explicables. De son étude du mouvement entre 1870 et 1945, il a tiré la conclusion suivante :
« Ma grande thèse est la suivante : les autonomistes cherchent à créer un parti politique mais ils ne parviennent jamais à conquérir le pouvoir parce que leurs revendications ne forment pas un programme de parti. Leurs demandes ne touchent pas à tous les problèmes de la société. L’autonomisme alsacien ne produit pas de conception du monde. Il n’a pas son idéologie exclusive. Dès lors, quand ils tentent de créer un parti, ils ont du mal à durer parce les sensibilités politiques sont trop diverses. L’autonomisme alsacien est bien trop vaste. On ne fait pas un parti avec une nébuleuse. »
Chargement des commentaires…