Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Après sa fusion, Kaysersberg devra se trouver « un nouveau Lucky Luke »

Kaysersberg, Kientzheim et Sigolsheim ont été les premières communes alsaciennes à fusionner, comme la loi le permet. Mais quelques semaines seulement après l’installation du nouveau conseil municipal de Kaysersberg-Vignoble, deux des trois anciens maires se déchirent en public, provoquant la démission d’une vingtaine de conseillers et… de nouvelles élections.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

"Je connais les deux caractères forts. Et je savais que ça ne marcherait pas", explique Madame Marck, kientzheimoise. (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)

L’histoire était belle. Kaysersberg, Sigolsheim et Kientzheim, trois villages de la vallée de la Weiss en Alsace, entourés par les grands crus, se mariaient dans un décor de carte postale. Les trois maires, de sensibilités politiques différentes, avaient su passer outre leurs différences pour fusionner leurs communes et profiter, grâce à la loi Pélissard, d’une hausse de leurs dotations de fonctionnement.

Le scénario était simple : le maire écologiste de Kaysersberg, Henri Stoll, devenait le maire de la commune nouvelle, appelée Kaysersberg-Vignoble qui regroupe 5 000 habitants, tandis que le maire UDI de Sigolsheim, Thierry Speitel-Gotz, en devenait son premier adjoint en charge des finances.

Dans les divorces, c’est toujours les finances qui posent problème

Mais l’histoire se termine mal, quelques semaines après la fusion, lors d’une réunion portant sur le budget, Thierry Speitel-Gotz tape du poing sur la table du haut de son mètre quatre-vingt. Selon lui, le maire de Kaysersberg ne lui transmettrait pas toutes les informations relatives au budget, alors qu’il est en charge des finances.

Il dit ne pas avoir été consulté par Henri Stoll qui voulait investir un million d’euros dans une école. D’autre part, le maire-délégué de Sigolsheim voulait aménager le parking de l’Espace Pluriel, une infrastructure de sports et loisirs, pour 300 000 euros. Selon Richarde Traber dans L’Alsace, sur cette somme, 200 000 euros seront consacrés à un autre projet. Thierry Speitel-Gotz déclare :

« Henri Stoll est quelqu’un qui dépense sans compter. Moi je suis quelqu’un qui fait des économies. Kientzheim et Sigolsheim n’ont plus rien à dire sur le budget. »

C’est à partir de ce moment-là que des clans ont commencé à se former au sein de la municipalité. D’un côté les pro-Speitel, de l’autre les pro-Stoll. Au comptoir d’un café de Kaysersberg, Albino Da Silva, déplore la situation :

« C’était beau sur le papier, mais aujourd’hui on s’aperçoit qu’il y a une véritable guerre des chefs, des clans. »

Fusionner pour faire des économies

En fusionnant, l’Etat garanti aux petites communes de ne pas diminuer leurs dotations pendant trois ans. Sans cette opération, Sigolsheim aurait perdu 100 000 euros par an de dotations à partir de 2017 et Kaysersberg 400 000 euros par an.

Thierry Speitel Gotz était accompagné jeudi d'une partie des conseillers municipaux démissionnaires. (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)
Lors d’une réunion publique, jeudi 28 avril, Thierry Speitel-Gotz, maire-délégué de Sigolsheim, était accompagné d’une parties des conseillers municipaux démissionnaires. (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)

C’est ce qui a motivé, début 2015, Thierry Speitel-Gotz de proposer à ses voisins de fusionner. Joseph Fritsch, maire de Kientzheim, comme Henri Stoll, est tout de suite partant :

« Au niveau de notre commune, c’était clair qu’il fallait qu’on crée une commune nouvelle, mais à une condition : que ce soit avec Kaysersberg. C’est sûr que c’est un avantage. Entre le budget de Kientzheim seul et le budget des trois villages réunis, il faut juste rajouter un zéro… »

Les trois hommes et leurs conseillers municipaux se réunissent pendant un an pour discuter des modalités et des projets à mettre en oeuvre lors de la fusion. Le premier janvier 2016, les trois communes se marient officiellement.

Deux égos difficilement conciliables

Henri Stoll, écologiste, est à la tête de Kaysersberg depuis vingt-deux ans. En 2013, celui qui tutoie quasiment toutes les personnes qu’il rencontre, s’était enfermé dans une cage tous les jours pendant une heure pour soutenir José Bové. En 2011, il s’était présenté contre Nicolas Hulot pour la présidence d’EELV, parcourant les plateaux de télévision avec sa cravate en bois. 

"Vous ne pouvez pas me prendre en photo, parce que je ne suis pas photographiable dans cet état. Peut-être que si, quand je joue de la guitare", a accepté le maire de Kaysersberg qui est "dégoûté" de la situation. (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)
« Vous ne pouvez pas me prendre en photo, parce que je ne suis pas photographiable dans cet état. Peut-être que si, quand je joue de la guitare », a accepté le maire de Kaysersberg qui est « dégoûté » de la situation. (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)

Thierry Speitel Gotz lui aussi maire de sa commune depuis une vingtaine d’années, avait fait parler de lui au moment du vote pour le mariage pour tous. Fervent militant de la cause homosexuelle, l’homme grisonnant s’est marié avec son compagnon en 2013, après avoir reçu deux douilles par courrier en guise de menace.

Thierry Speitel Gotz est à l'initiative du projet de fusion Kaysersberg-Vignoble. (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)
Thierry Speitel Gotz est à l’initiative du projet de fusion Kaysersberg-Vignoble. (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)

Deux voisins de Kientzheim ne s’étonnent pas de l’opposition des deux deux hommes :

« Dès le départ, on savait que ça ne marcherait pas, car chacun pense à son égo. Les déballages publics ça n’arrange rien, il faut apprendre à se respecter. »

Car c’est bien l’égo des deux hommes qui les font tous deux camper sur leurs positions. Le maire-délégué de Sigolsheim râle :

« Il faut du respect mutuel pour que ça fonctionne, mais avec le maire de Kaysersberg ce n’est pas possible. »

En face, le Henri Stoll critique son rival :

« Aussi longtemps que ce type là sera dans un conseil municipal, il n’y aura pas la paix. »

"Politiquement, j'ai peur que Monsieur Speitel se soit tiré une balle dans le pied pour quelqu'un qui a des ambitions colmariennes", commente Albino Da Silva, kaysersbergeois. (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)
« Politiquement, j’ai peur que Monsieur Speitel se soit tiré une balle dans le pied pour quelqu’un qui a des ambitions colmariennes », commente Albino Da Silva, kaysersbergeois. (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)

Les deux hommes ont tous les deux organisé des réunions publiques pour dénoncer le camp d’en face. Jeudi 28 avril, Thierry Speitel-Gotz l’avait fait devant 500 personnes venues écouter ses arguments, reproductions d’emails assassins à l’appui :

« Pour moi, la commune nouvelle c’était garder dans chaque commune un conseil communal. C’est ce conseil qui réfléchit aux projets et qui, lorsqu’il est prêt, le porte à la commune nouvelle qui le juge et le valide. Lorsque je l’ai proposé, une seule personne m’a soutenue. On n’a pas su partager les pouvoirs et c’est ça qui n’a pas marché. »

E-mails assassins affichés en public

D’après plusieurs habitants, Henri Stoll « ne met pas les formes ». 

“La décision de démissionner à été très difficile à prendre. Mais continuer comme ça, non. On ne peut pas discuter, on a toujours tord”, témoigne Richarde Traber. (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)
“La décision de démissionner à été très difficile à prendre. Mais continuer comme ça, non. On ne peut pas discuter, on a toujours tort”, témoigne Richarde Traber. (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)

Thierry Speitel-Gotz s’en plaint et assure avoir été insulté par Henri Stoll. Il imprime un e-mail écrit par le maire de Kaysersberg le 6 mars :

« Je n’en peux plus de ce salaud. Je vous propose donc que nous nous retrouvions lundi soir à 18h dans la salle de la mairie de Kaysersberg pour voir comment faire pour empêcher ce nuisible de nuire. (…) Ce type est totalement fou et sans vergogne. »

Henri Stoll réagit :

« Il sait se faire plaindre, alors qu’il est la cause de tous les soucis. Dans les e-mails, on se dit les choses comme ça. Il est totalement faux. »

"Je connais les deux caractères forts. Et je savais que ça ne marcherait pas", explique Madame Marck, kientzheimoise. (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)
« Je connais les deux caractères forts. Et je savais que ça ne marcherait pas », explique Madame Marck, kientzheimoise. (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)

Thierry Speitel-Gotz « veut la place de maire »

Ce serait Thierry Speitel-Gotz contre tout le monde à en croire Henri Stoll. Joseph Fritsch, maire-délégué de Kientzheim et plutôt en retrait dans cette histoire, semble y croire :

« Disons qu’au début un choix a été fait. Le maire de Sigolsheim avait dit qu’il se mettait en retrait jusqu’en 2020. Entre temps, les choses se sont envenimées. Il ne pouvait pas attendre. Il veut la place de maire. Je pense qu’il ne voulait pas la place de numéro deux. »

Cette affaire n’a pas tardé à exaspérer une partie du conseil municipal. Aussi bien que le 14 mars, dix-neuf conseillers ont démissionné : dix de Sigolsheim, cinq de Kientzheim et quatre de Kaysersberg. D’après Henri Stoll, ces conseillers font partie de l’opposition et ont été entraînés par Thierry Speitel-Gotz qui voulait de nouvelles élections.

Le conseil municipal est dissout, puisque les démissionnaires représentent plus d’un tiers des conseillers élus. Le maire-délégué de Sigolsheim n’a quant à lui pas démissionné afin de continuer à recevoir les informations provenant du conseil.

Quatre démissionnaires ont expliqué jeudi la raison de leur démission. "Je suis vexé d’avoir appris dans la presse que de toute façon nous étions des conseillers municipaux qui ne s’y connaissent pas et qui ne travaillent pas", a déclaré Eric Pelus. (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)
« Je suis vexé d’avoir appris dans la presse que de toute façon nous étions des conseillers municipaux qui ne s’y connaissent pas et qui ne travaillent pas », a déclaré Eric Pelus. (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)

« Plus sain de provoquer de nouvelles élections »

Éric Pelus explique ce qui l’a amené à déposer sa démission  :

« J’ai pu vivre à quel point la politique est difficile à mener, surtout quand des groupes qui n’ont jamais travaillé ensemble doivent le faire à cinquante-trois. Ayant atteint ce point de non-retour, je trouve plus sain de faire de nouvelles élections. Dans ce Western local, il nous faudra un nouveau Lucky Luke. »

Ces nouvelles élections auront lieu en juin. Pour l’heure, Henri Stoll n’est pas sûr de se représenter. De son côté, le maire délégué de Sigolsheim ne semble pas vouloir s’arrêter là et se représentera aux élections.

Mais cette affaire, risque de « faire reculer les autres fusions », selon Joseph Fritsch :

« Le gros problème que l’on va avoir c’est qu’il y aura un grand déballage lors des élections et ça laissera des traces. Je pense qu’il y a des communes qui vont être réticentes, qui vont y réfléchir à deux fois ».

Le premier janvier 2016, treize communes nouvelles avaient élu leurs maires. Kaysersberg-Vignoble était la première à se mettre en place.


#Henri Stoll

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

#Kaysersberg#Kientzheim#politique#Sigolsheim#Thierry Speitel
Partager
Plus d'options