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Après avoir obtenu la prime aux soignants, les internes espèrent une réforme de leur statut

Après plusieurs jours de négociations, les internes devraient aussi percevoir la prime promise par le Premier ministre aux soignants. Lassés par le manque de reconnaissance de l’Etat pour leur travail, les internes alsaciens se disent soulagés par cette annonce.

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Le 17 décembre 2019, les internes manifestaient devant l'Agence régionale de santé, à Nancy, pour notamment dénoncer les conditions dans lesquelles s'effectuent les gardes de nuit et de weekend.

« Tous les internes, en médecine comme en chirurgie, ont participé, en ville comme à l’hôpital, à la lutte contre l’épidémie et à la protection des Français. Il a toujours été et il reste évident que tous les internes percevront la prime soignants », a déclaré Olivier Véran le 24 avril sur son compte Twitter.

Au départ, les internes ne devaient pas recevoir la prime annoncée par le Premier ministre Edouard Philippe le 15 avril. Ensuite, seuls les internes des services de « première ligne » (c’est à dire les internes hospitaliers en unité Covid) devaient pouvoir en bénéficier. Les internes en ambulatoire, de psychiatrie, de chirurgie, de médecine général exerçant en cabinet n’étaient donc pas concernés.

Le 24 avril, Olivier Véran, ministre de la santé, a indiqué dans un tweet que tous les internes bénéficieront d’une prime.

« Un système d’attribution opaque »

L’intersyndicale nationale des internes (ISNI) s’est très vite indignée de la décision du ministère de la santé d’exclure une partie des internes. Dans un communiqué diffusé le 17 avril, elle dénonçait un « système d’attribution opaque dans lequel viendrait se glisser des logiques budgétaires d’économies de bout de chandelle ». Dès lors, l’ISNI a exigé que la prime soit attribuée à tous les internes « sans distinction ».

Après plusieurs jours de négociations avec les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur, tous les internes devraient pouvoir bénéficier de cette prime, selon les accords conclus avec les syndicats lors de la dernière réunion du 22 avril. Pour Léonard Coti, secrétaire général de l’ISNI, qui a participé aux négociations, il était nécessaire qu’il y ait « une équité entre les régions, entre les hôpitaux et ceux qui exercent en ville, et entre les différents services et secteurs. » 

Un avis largement partagé par Lucas Gauer, président du syndicat autonome des internes des hospices civils de Strasbourg (SAIHCS). « Tout le monde a relevé ses manches », affirme le responsable syndical. Il rappelle aussi qu’en Alsace plus de 380 internes se sont portés volontaires pour soutenir le personnel soignant alsacien face au Covid.

« J’ai dû quitter mon stage, ma famille »

« J’ai trouvé ça clairement dégueulasse ! » s’écrie Paul, en première année d’internat de médecine générale à Strasbourg. Fin mars, il s’est porté volontaire, comme 700 autres internes du Grand Est, pour rejoindre les soignants d’une unité Covid de l’hôpital de Hautepierre. Il y a travaillé pendant quatre semaines. Quand l’étudiant a d’abord appris que tous les internes ne recevraient pas la prime destinée aux soignants, il a ressenti une forte colère :

« Quand j’ai appris qu’on n’aurait rien, j’ai trouvé ça inadmissible. J’ai dû quitter mon stage habituel et ma famille. Je suis arrivé dans un service où je ne connaissais rien… Mais je ne pouvais pas ne pas aider ! »

Durant ses premières semaines à l’hôpital en tant que volontaire, Paul déclare avoir enchaîné « deux semaines sans jour de repos et sans week-end. » À la fatigue physique s’est ajouté peu à peu la douleur psychologique : « J’ai dû envoyer des gens de mon âge en réanimation… c’était dur à gérer. » Le soir, il rentrait souvent chez lui avec l’angoisse et la peur « d’avoir fait peut-être une connerie ». La nuit, il lui arrivait même de « rêver de ses patients ». Aujourd’hui, Paul se renseigne pour avoir un suivi psychologique. Il se sent beaucoup plus « stressé » qu’avant…

Une remise en cause des conditions de travail des internes

Désormais, syndicats et internes sont en partie soulagés par le versement de la prime aux internes. Mais tous attendent une vrai changement autour de leurs conditions de travail : « Nous ne sommes que des pions sur des tableaux Excel pour remplir des trous », regrette Benjamin, étudiant en médecine générale à Colmar. Selon l’ISNI, les internes représentent environ 40% du personnel médical en France. Ils constituent donc une ressource indispensable. « Un hôpital ne peut pas tourner sans internes », poursuit Benjamin.

Pour l’intersyndicale des internes, le fond du problème résiderait autour de leur statut paradoxal. Léonard Corti explique : « Quand la situation va bien, les internes sont juste des étudiants, et en période de crise tout d’un coup ce sont des médecins… »

Vers une revalorisation du statut des internes

C’est justement ce statut d’étudiant que les syndicats voudraient revaloriser. Une revendication qui existe « depuis longtemps », selon le représentant syndical strasbourgeois Lucas Gauer. En décembre, les internes alsaciens avaient déjà fait grève. Ils dénonçaient alors leur statut unique, celui d’un étudiant en stage…

Ce statut contraint les internes à payer « les frais d’inscription de l’université à l’année alors qu’on n’y met pas les pieds », regrette Lucas Gauer. Il ne leur permet pas non plus d’avoir un contrat de travail, de saisir l’ordre des médecins, ou de faire partie d’un syndicat de médecine.

Rémunération des heures supplémentaires

Les syndicats d’interne réclament également « un décompte horaire du temps de travail » et la « rémunération des heures supplémentaires ». Car aujourd’hui, rien ne permet aux internes de « pointer leur heures ». Dans certains cas, comme pour les étudiants en chirurgie, la moyenne de travail hebdomadaire peut atteindre 80 heures, selon une enquête de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG) de 2019.

Le temps du repos n’est également pas assez respecté, selon les syndicats d’internes. Après 24 heures de travail consécutif (soit un jour de travail plus une garde), un interne doit prendre minimum 11 heures de repos. Selon l’enquête ISNAR-IMG mentionnée ci-dessus, cette obligation n’est pas respecté pour un quart des internes, voire pour la moitié des étudiants en chirurgie. Ce qui peut poser un problème de sécurité pour les internes et les patients… « La prime ne doit donc pas être un prétexte pour calmer des revendications qui existent depuis très longtemps », conclut Lucas Gauer.


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