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Après avoir fui Gaza, Dalia trouve enfin refuge à Strasbourg

Palestinienne, Dalia et sa famille ont fui la bande de Gaza en décembre 2023. Après plus d’un an de démarches, elle a atterri à Strasbourg où elle entame une résidence à la Haute école des arts du Rhin.

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Après avoir fui Gaza, Dalia trouve enfin refuge à Strasbourg

« Tout ce que je veux, c’est me reposer enfin. » Dans le bureau du directeur de la Haute école des arts du Rhin (Hear), Dalia Rahma semble soulagée et intimidée à la fois. Arrivée du Caire avec sa famille dimanche 19 janvier 2025, elle entame à Strasbourg un an de résidence au sein de l’établissement. L’artiste palestinienne a été repérée par le Collège de France dans le cadre du Programme national d’accueil en urgence des scientifiques et des artistes en exil (PAUSE). Elle peut désormais poursuivre son travail artistique en France.

Un exil entamé en décembre 2023

Son exil, celui de son mari Abdel et de leurs trois enfants a débuté en décembre 2023. Originaire de la bande de Gaza, la maison et l’atelier de Dalia ont été bombardés par l’armée israélienne. Elle a réussi à fuir en Egypte en payant 5 000 dollars par personne, avant la fermeture totale de la frontière. En avril 2024, elle racontait à Rue89 Strasbourg ses efforts pour avoir un visa européen.

En octobre 2024, dix mois après avoir entamé les démarches pour venir en France ou en Belgique, elle a appris qu’elle faisait partie des lauréates du programme PAUSE, qui permet aux scientifiques et artistes en exil d’intégrer un établissement d’enseignement ou de recherche français pendant une période déterminée. Après de longues semaines d’attente et de silence, elle a finalement obtenu un rendez-vous à l’ambassade de France au Caire et un visa dans la foulée. Entre ces échéances, l’artiste commençait à désespérer, consciente que beaucoup de Palestiniens et Palestiniennes n’arrivaient pas à être protégées et à obtenir un refuge en Europe. Ils étaient donc bloqués dans des pays qui ne leur laissaient aucune chance de construire un futur digne.

Priorité à l’école

Difficile pour Dalia de réaliser le chemin parcouru. Plongée dans un pays dont elle ne parle pas la langue, logée dans un village à 30 minutes de Strasbourg en attendant de trouver un appartement, Dalia s’inquiète d’abord pour ses enfants. « Depuis un an et demi, ils ne vont pas à l’école, c’est notre priorité de leur permettre de continuer à apprendre », explique-t-elle.

Sa fille aînée est partie à Milan dans une école privée internationale, qui l’a sélectionnée sur dossier. « Ce n’est pas naturel pour nous de la laisser partir seule si loin, mais nous n’avions pas d’autre choix que lui donner cette opportunité », sourit la mère de famille, qui précise que sa fille viendra les voir à Strasbourg pendant les vacances.

« Venir en France, je n’y croyais plus »

Dalia, artiste palestinienne réfugiée à Strasbourg

Face au directeur de la HEAR Stéphane Sauzedde, à Isabelle et Bruno de l’association Culture de Palestine, Dalia garde son bonnet sur la tête. Elle cherche auprès de l’interprète la signification des phrases en français qui arrivent à ses oreilles. « Y’a-t-il d’autres Palestiniens à l’école ? », demande-t-elle. Une professeure partie au Liban et quelques élèves ayant des liens avec la Palestine sont évoqués par Stéphane Sauzedde… C’est autre part que Dalia devra trouver des concitoyens.

Mais peu importe l’isolement qui risque d’être le sien, l’artiste se réjouit d’être à Strasbourg. « Honnêtement, venir en France, je n’y croyais plus », souffle-t-elle dans sa langue maternelle, traduit par Nazih Kussaibi, président de l’association Alsace Syrie :

« J’aimerais me détacher du stress qu’on a subi depuis octobe 2023. J’aimerais travailler enfin dans l’art. Ce n’était pas possible au Caire. Et j’aimerais voir les musées, connaître Strasbourg, sa culture. Et apprendre le français, bien sûr. Je suis avide de futur. »

À ses côtés, Abdel et ses deux plus jeunes enfants sourient et acquiescent. Dans le bureau, les mondes se rencontrent et peinent à se comprendre mais Stéphane Sauzedde le promet : « Nous savons qu’il faudra du temps pour que vous arriviez, que vous vous installiez. » Dès le 27 janvier, Dalia participera à une conférence sur la colonisation organisée par l’école.

« Je ne sais plus quelle sont mes couleurs »

Dalia demande si elle pourra rencontrer d’autres artistes, faire une exposition et pendant combien de temps elle sera accueillie à la Hear. Un projet de montrer ses oeuvres est déjà en cours, avec son amie Isabelle (lire notre premier article sur Dalia). En tout, elle passera au moins un an à la Hear. « Nous avons trois autres artistes du programme Pause, de Russie, Ukraine et Birmanie », explique le directeur. « Que des pays en guerre », souffle le mari. Silence dans la salle.

Entre deux salves d’information, la plus jeune enfant, âgée de quatre ans, dessine une maison sur un petit cahier Arte. La représentation fait sourire Bruno, qui accompagne la famille dans ses démarches administratives. Dalia insiste, elle est reconnaissante envers Isabelle, son amie strasbourgeoise, d’avoir tant suivi avec elle ses démarches. Ensemble, elles pourront préparer un évènement pour montrer leurs œuvres, lorsque peindre sera à nouveau possible pour Dalia :

« Avant le 7 octobre, je peignais avec des couleurs très vives, sur les toiles ou sur les bâtiments pour redonner de la vie à Gaza, à notre pays. Maintenant, je ne sais plus quelle sont mes couleurs. »

À Gaza, Dalia peignait avec et sur les femmes, dans des couleurs très vives.Photo : document remis

Recommencer à parler des femmes

Avant de décider de quitter Gaza, Dalia, Abdel et leurs trois enfants ont connu trois mois durant les transferts d’un coin à un autre de leur pays, au gré des consignes de l’armée Israélienne. « Mes enfants ont vécu et vu des choses difficiles », souffle-t-elle. En 2024, elle racontait déjà les bruits des bombes, la difficulté à promettre aux plus jeunes des jours meilleurs, la peur constante de mourir, le manque de nourriture, la perte de leur maison… Jusqu’au constat devenu implacable qu’il fallait abandonner la Palestine et une partie de leur famille pour pouvoir vivre, en allant en Egypte dans un premier temps :

« J’aimerais exprimer ces moments difficiles en peinture, les vestiges de cette mémoire perdue. Pas simplement pour raconter mon expérience, mais pour rendre compte de celle de tout notre peuple. Pour que ces souvenirs ne soient jamais effacés, qu’ils soient mis à jour. »

Une fois ce devoir de mémoire accompli à sa manière, Dalia veut recommencer à parler des femmes. A Gaza, son atelier leur était destiné. « La condition des femmes à Gaza, même avant les bombardements, est impactée par les sanctions israéliennes, car nous sommes encerclées tout le temps », explique-t-elle. En novembre 2024, l’ONU estimait que 70% des victimes de la « guerre » étaient des femmes. Par ailleurs, plusieurs organisations internationales qualifient la « guerre » de « génocide », eu égard aux actions de l’armée israélienne à Gaza depuis octobre 2023.

Trouver les couleurs pour la suite

Avoir le temps de chercher les couleurs d’après la guerre, s’installer et s’acclimater à Strasbourg… Ces perspectives réjouissent Dalia et Abdel. Peu à peu, leurs visages se détendent. Stéphane Sauzedde tente une nouvelle fois de les rassurer. Le directeur de la Hear a contribué à faire venir Dalia en France. Il assure que la famille aura tous les outils pour se sentir en sécurité. « Dès que ma femme commencera à voir et peindre quelque chose de nouveau, ça sera de bon augure pour la suite », sourit Abdel.

Lui aimerait travailler dans le design graphique. Anciennement responsable dans une compagnie gazaouie de télécommunications, il a utilisé le temps bloqué au Caire pour apprendre en ligne à se servir de nouveaux outils et commencer à se reconvertir. « C’est important de savoir ce que vous voulez faire, comme ça on pourra essayer de vous connecter aux bons endroits, aux bonnes personnes », souligne le directeur.

Après un peu moins d’une heure d’échanges et de traduction, il est temps de passer à l’organisation administrative. D’un côté, la Hear organise la résidence et de l’autre, Culture de Palestine et Artiste en exil se chargent d’aider avec le quotidien. Pour le moment, Strasbourg n’est pas la maison de Dalia et de sa famille. Mais après des mois bloqués en Egypte, après avoir tout tenté pour voir un avenir autre part que dans un pays qu’Israël a rendu inhabitable, après avoir envoyé leur fille seule en Italie, Dalia et sa famille peuvent enfin souffler et cesser d’avoir peur.


#Haute école des Arts du Rhin

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