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Anxiété, dépression, phobies… À Strasbourg, structures d’accueil et services hospitaliers débordés par le mal-être croissant des jeunes

Les troubles psychiques, gestes ou idées suicidaires explosent chez les adolescents et les étudiants. Face à l’ampleur inédite du problème, les services hospitaliers et les structures d’accueil et de prévention frôlent le point de rupture.

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Anxiété, dépression, phobies… À Strasbourg, structures d’accueil et services hospitaliers débordés par le mal-être croissant des jeunes

Au Centre d’accueil médico-psychologique pour adolescents (Campa) des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS), quatre-vingt noms figurent sur la liste d’attente. « C’est inédit », pose Julie Rolling, pédopsychiatre au service psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent des HUS. « Du matin au soir », des jeunes de 12 à 18 ans affluent pour consulter. Ils sont atteints d’anxiété, de dépression, de phobies. Des troubles qui, parfois, aboutissent à des gestes suicidaires. Selon le docteur Rolling, face à cette « vague », les services de soins sont « sursaturés ».

Peintures réalisées par des adolescents accueillis au sein du service psychothérapique pour enfants et adolescents des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Mis en lumière pendant deux années de pandémie, le mal-être d’une génération toute entière – enfants, adolescents, étudiants – enfle. « En psychiatrie, les conséquences arrivent toujours dans un deuxième temps. Là, on est dans une phase de plateaux, qui ne redescend pas », constate Julie Rolling.

La défenseure des droits, Claire Hédon, s’est saisie de cette situation, en appelant la Première ministre, le 2 juin 2022, à mettre en place un « plan d’urgence pour la santé mentale des jeunes ». La tendance, nationale, se confirme localement. Tous les indicateurs sont au rouge.

Des indicateurs en hausse

Les données locales les plus récentes proviennent de l’analyse épidémiologique bimestrielle de la santé mentale réalisée par Santé Publique France (SPF) en région Grand-Est, publiée en décembre 2021. Sur la période de janvier à novembre 2021, le nombre mensuel moyen de passages aux urgences pour troubles psychiques de l’enfant (0 – 18 ans) est en augmentation de 43% par rapport à 2020. Les troubles psychiques recouvrent différentes formes de mal-être tels que l’anxiété, les phobies, la dépression, les addictions ou les troubles alimentaires.

Page 5 of Rapport bimestrielle 2021 – SPF – Santé mentale
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Ces troubles psychiques peuvent mener à des gestes suicidaires, dont le nombre de passage aux urgences des adolescents de 11 à 17 ans a augmenté de 47% entre janvier et novembre 2021 comparé à la même période en 2020, note SPF.

Le service de pédopsychiatrie des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg se situe dans le quartier de l’Elsau. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Santé Publique France observe enfin « une augmentation des passages aux urgences pour idées suicidaires en région Grand Est en 2021 pour l’ensemble des classes d’âges à partir de 11 ans ». 40% des jeunes concernés sont des adolescents de 11 à 17 ans.

Page 3 of Rapport bimestrielle 2021 – SPF – Santé mentale
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« Le Covid a ajouté de la fragilité à la fragilité »

La vulnérabilité psychique est inhérente à la période de l’adolescence et du passage à l’âge adulte. « C’est un moment d’entrée potentielle dans des pathologies : la schizophrénie ou la bipolarité par exemple. On observe aussi à cette période une forte symptomatologie de troubles de la conduite, de l’addiction, de l’alimentation », précise Myriam Riegert, psychiatre et directrice médicale du Centre d’accueil médico-psychologique universitaire de Strasbourg (Camus), un lieu d’écoute et de prévention des troubles psychiques où chaque étudiant strasbourgeois peut consulter des psychologues, psychiatres ou une assistante sociale.

Christelle Eby est psychologue et coordinatrice des Points d’accueil écoute jeunes (Paej). Ces lieux sont dédiés à la prévention des troubles psychiques et des gestes suicidaires dans le Bas-Rhin. Elle liste les causes chroniques des troubles rencontrées chez les jeunes accueillis dans ses structures :

« La majorité des problématiques observées ont rapport avec le contexte intrafamiliale, des cas de violences par exemple, la précarité financière, la pression scolaire. La pandémie de Covid est venue ajouter de la fragilité à la fragilité. »

Dans son rapport d’activité 2021, l’association Alt, qui gère les 39 Paej implantés dans le Bas-Rhin, estime que « des jeunes déjà fragiles avant la crise sanitaire, sont encore plus vulnérables, laissant apparaitre différentes expressions de mal être : repli sur soi, angoisse de séparation, absentéisme scolaire, signes dépressifs, pensées suicidaires, scarifications, insomnie, troubles alimentaires… »

La crise sanitaire : un simple « catalyseur » ?

La pandémie liée au virus du Covid-19 a fait office de déclencheur. Mais les causes du mal-être semblent plus profondes. Julie Rolling explique :

« Les adolescents sont particulièrement perméable à leur environnement. En consultation, certains font état de la crise climatique, de la guerre en Ukraine, s’inquiètent de manquer un jour d’eau. Globalement, les jeunes générations précédentes associaient l’avenir à quelque chose de l’ordre du progrès, de positif. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. »

Cette tendance est confirmée par Myriam Riegert : « Le contexte globalement anxiogène fait le lit de leur pessimisme. » L’association Alt constate également, dans son rapport d’activité 2021, une « difficulté de projection dans l’avenir, du fait de la crise sanitaire et des prédictions parfois douteuses quant au futur. »

Des jeunes en détresse sous les radars

Si les besoins ne cessent ce croître, les moyens pour y répondre, eux, ne suivent pas. Ce qui pourrait avoir des répercussions sur la détection de potentielles situations critiques, comme le relate Julie Rolling :

« Actuellement, les unités fonctionnent à leur maximum. On est dans une situation d’ultra-optimisation. La liste d’attente s’allonge. On doit prioriser. On a tous les jours conscience que des jeunes attendent. Mon inquiétude, c’est qu’un jour, un parent appelle et me dise : mon enfant s’est suicidé, j’avais appelé il y a quinze jours, et je n’ai pas eu de rendez-vous. Ce que l’on dit est simple : il faut des ressources, il faut des gens. On est capable de recruter et de faire notre travail si on nous en donne les moyens. « 

Cette pression a des conséquences sur toute la chaîne de prise en charge des jeunes atteints de troubles psychiques. Comme en atteste Christelle Eby :

« L’un de nos rôles est d’orienter des jeunes vers des professionnels, mais les temps d’attente s’allongent et atteignent parfois douze mois. À part s’il y a urgence vitale, les délais de prise en charge sont trop long et ce n’est pas satisfaisant. Les Points d’accueil écoute jeunes font un peu la salle d’attente. Notre mission première, c’est la prévention, mais on se retrouve à faire un peu plus quand même. »

Myriam Riegert s’alarme elle aussi d’une « offre de soins sous-dimensionnée ». En 2021, le Camus a accueilli 1917 étudiants, ce qui représente 3% de la population étudiante, contre 1382 l’année précédente. Mais la psychiatre doute de pouvoir maintenir cette capacité d’accueil si les moyens exceptionnels mis en place pendant la pandémie ne sont pas maintenus :

« Le nombre de personnes accueillies augmente car nos moyens augmentent. Mais la pérennité des renforts d’urgence n’est pas garantie. Nous avons reçu l’appui de trois équivalent temps plein psychologue en 2021. Ils sont maintenus pour 2022-2023. Mais nous n’avons pas de visibilité pour deux de ces postes après cette échéance. »

Une réévaluation des moyens financiers à attendre

Interrogée sur les moyens, notamment financiers, mis en place pour répondre au problème de la dégradation de la santé mentale chez les jeunes, l’Agence régionale de santé Grand Est s’est contenté de répondre qu’une « révision nationale du financement de la psychiatrie est actuellement en cours (…) Nous attendons les résultats. »

Un numéro national de prévention du suicide, gratuit, accessible 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, a par ailleurs été mis en place, depuis le 1er octobre 2021 : le 3114. Il a pour objectif la « prise en charge des personnes ayant des idées suicidaires et de leur entourage, depuis les premières idées de mort jusqu’à la crise suicidaire. »


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