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Antoine, 25 ans, laissera « une chance à Marine Le Pen mais pas deux »

Ancien militant FN, Antoine votera Marine Le Pen à l’élection présidentielle. Mais si la candidate FN venait à le décevoir, il ne votera plus.

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"Quand j'étais au FN, je connaissais tous les dossiers mais personne ne me connaissait. J'étais l'homme de l'ombre."

Que peut-il bien se passer dans la tête d’Antoine quand Nicolas (prénoms modifiés), son colocataire à Strasbourg, squatte le canapé du salon avec une brochette d’amis résolument de gauche et qu’ils parlent politique à longueur de temps ?

Avec ses deux années passés à militer au FN de Seine-et-Marne et sa ferme intention de voter Marine Le Pen le 23 avril, ce jeune boulanger originaire de la région parisienne est souvent en minorité dans ces conversations. Aussi se contente-t-il souvent d’écouter :

« C’est assez tendu quand je parle de politique avec mes amis ou avec ma famille éloignée. Les gens ne comprennent pas, on me demande souvent pourquoi je ne vote pas Les Républicains, ou à gauche. »

Le jeune homme de 25 ans a découvert la politique en 2011, quand Marine Le Pen a pris la tête du Front National. Il est convaincu par la « dédiabolisation » du Front National. Il trouve Marine Le Pen « plus intéressante que son père, moins dans la provoc’ et plus apte à gouverner. »

"Quand j'étais au FN, je connaissais tous les dossiers mais personne ne me connaissait. J'étais l'homme de l'ombre."
Quand il militait, Antoine ne voulait jamais apparaître sur les photos de groupe. « Je connaissais tous les dossiers mais personne ne me connaissait. J’adorais bosser dans l’ombre. » (photo Piet / Rue89 Strasbourg)

L’exemple paternel

Cela dit, avec ses idées bien à droite, Antoine n’a rien d’un couvert qui a atterri par hasard du mauvais côté de l’assiette. Il a vu son père, boulanger lui aussi, se démener pour son entreprise. Les PME taxées au même niveau que les grosses entreprises du CAC 40 ? « Une folie ! » Il a grandi dans un coin tranquille de la Seine-et-Marne, mais la banlieue et ses faits- divers n’étaient pas loin. Il récite le discours d’un déçu de Nicolas Sarkozy, qui aurait rêvé que le « karcher » brandi par l’ex-président vienne à bout de la délinquance et des incivilités.

Mais a-t-il décidé de voter FN juste à cause d’une statistique sur les voitures brûlées au Nouvel an ? Il répond avoir surtout été guidé par sa curiosité. Aurait-il frappé à la porte du FN si son père ne votait pas déjà à l’extrême-droite ? Il jure s’être forgé son opinion seul. Mais le vote paternel aura peut-être brisé un tabou :

« Je pars du principe que toute personne qui est critiquée dit des vérités qui dérangent. Les accusations de fascisme, c’est juste une manière décrédibiliser l’autre. »

Sous l’aile d’un secrétaire départemental du Front

On est en 2012, Marine Le Pen est à la tête du Front National depuis un an. S’il se rappelle vaguement du quinquennat de Nicolas Sarkozy, il n’a aucun souvenir du 21 avril 2002 et de la qualification de Jean-Marie Le Pen pour le second tour de la Présidentielle. Son père et son oncle lui ont raconté l’épisode plus tard :

« Quand on m’a dit qu’il n’y a pas eu de débat d’entre-deux tours entre Chirac et Le Pen, j’ai trouvé ça dommage. Quelqu’un qui reçoit autant de voix, il a peut-être des choses à dire. »

Pour être fixé sur ce parti que tout le monde lui présente comme un parti fasciste, il écrit un e-mail à la fédération du Front National de Seine-et Marne et rencontre très rapidement un secrétaire départemental fraîchement investi, Renaud Persson. Antoine hérite rapidement de menues responsabilités, au moment où le FN commence à se structurer. La figure de Renaud Persson l’inspire : ils sont presque voisins, Antoine passe plusieurs après-midi par semaine chez cet ancien directeur financier à la retraite, pour travailler ses dossiers.

Il croit deviner en son mentor un autre sarkozyste déçu :

« Il y avait bien une vieille garde ouvertement raciste qui datait de Jean-Marie Le Pen, mais ils étaient minoritaires et ont vite été écartés. J’ai surtout rencontré des gens qui étaient là pour proposer des solutions plutôt que mener des actions coup de poing. »

Deux ans plus tard, Antoine part travailler au Canada. Dans ce pays qui a porté Justin Trudeau comme Premier ministre, Antoine y voit un triomphe de la « préférence nationale » :

« Au Canada, je savais qu’à la moindre connerie, je pouvais dégager. Là bas, si tu veux rester au bout de deux ans, ton employeur doit prouver que tu ne piques pas la place d’un Canadien. Tu peux trouver ça injuste, mais c’est le deal de départ. On devrait avoir la même chose en France. »

Gare au GUD

À son retour en France, il s’installe à Strasbourg et prend contact avec la fédération bas-rhinoise du FN. Mais il bute sur une organisation déjà bien structurée, avec plusieurs élus. Il repart assez rapidement, déçu par une « ambiance costard-cravate » dans laquelle il ne reconnaît pas la « simplicité » qu’il avait connu en Seine-et-Marne. Et surtout, il découvre un brin consterné l’existence du Groupe Union Défense (GUD), un mouvement politique d’extrême droite réputé pour ses actions violentes :

« Le GUD, c’est un truc dont je n’avais jamais entendu parler dans mon ancienne fédé. Et là je tombe sur des jeunes qui en parlent comme s’ils en étaient proches. Ça ne m’intéresse pas. »

Antoine en reste là pour le militantisme, même s’il affirme être encore en contact avec son ancienne fédération parisienne.

“Marine Le Pen, je lui laisse une chance, pas deux”

Sur les banlieues ou l’Islam, ils se retrouve dans les propos de plusieurs responsables politiques français, de Marine Le Pen à Manuel Valls. Pourquoi alors ne pas voter pour quelqu’un d’autre ? Antoine déballe un nouvel argument : l’usure du pouvoir :

« Je peux être d’accord avec ce que disent d’autres personnes. Mais quand je les écoute parler, il y a une petite voix dans ma tête qui me dit “Ben ouais, mais ce qu’ils disent, ils ne l’ont pas fait.” D’ailleurs Marine Le Pen, je lui laisse une chance mais pas deux. On galère assez pour faire élire ce genre de personnes, si elle ne fait rien, autant revenir à l’alternance classique et ne plus aller voter. »

Il nous confie se sentir également proche de certaines figures de droite : Nicolas Dupont-Aignan « mériterait plus de visibilité », et Antoine a apprécié le dernier passage d’Henri Guaino (qui a reçu le parrainage de Marine Le Pen) dans Bourdin direct. Une émission dont il suit régulièrement les interviews et dont il apprécie « la variété des invités. »

Les affaires ? « J’ai assisté à une gestion de crise exemplaire »

Malgré les liens troubles qu’il a pu constater avec des groupes d’extrême droite violents, Antoine reste convaincu de la probité du FN. Interrogé sur les affaires de financement illégal qui concernent son parti, Antoine ne se prononce pas, mais cite son ancienne fédération de Seine-et-Marne comme un modèle de gestion de crise.

En 2015, Adrien Desport, ex-numéro deux de cette fédération, avait incendié 13 voitures afin de « dénoncer la délinquance et l’insécurité » (il a été jugé coupable et purge actuellement une peine de 3 ans de prison). Antoine tombe des nues en découvrant, depuis Montréal, que l’ex-numéro 2 du FN avec qui il déjeunait régulièrement, a été pincé pour avoir brûlé des voitures. Mais il nous vante la réaction de sa fédération, qui aurait elle-même informé la police :

« C’est un des complices qui a balancé l’histoire au parti. Et plutôt que de cacher l’affaire, le FN a informé la police. Il ont été exemplaires sur ce coup-là. »

Au moment de réaliser cette interview, le directeur de cabinet de Marine Le Pen vient d’être mis en examen. Réaction d’Antoine devant la nouvelle sur Le Monde :

« Mais pourquoi ils écrivent “parti d’extrême droite” ?! »


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