La Collectivité européenne d’Alsace (CeA) et la préfecture du Bas-Rhin souhaitent construire une route deux fois deux voies, d’une longueur de 5,08 kilomètres pour contourner Châtenois. Les travaux ont débuté en 2019, et devaient s’achever dans quelques mois. Le projet, d’un montant de 60 millions d’euros, est financé par la CeA, la Région Grand Est et l’État.
Mais l’association Alsace Nature a saisi le tribunal administratif pour obtenir l’annulation de l’autorisation environnementale, une pièce essentielle pour autoriser les travaux, et vient d’obtenir gain de cause, selon un communiqué publié vendredi 12 mai.
Le tribunal administratif, après une audience le 6 avril, a estimé que l’intérêt public majeur de ce contournement n’est pas suffisamment justifié. Comme 29 espèces protégées (des mammifères, des oiseaux, des reptiles, un amphibien, des insectes et une espèce végétale) ont été recensées sur les terrains impactés par la construction, le code de l’environnement impose, « pour autoriser, à titre dérogatoire, à porter atteinte à ces espèces et à leurs habitats, que la réalisation du projet soit justifiée par une « raison impérative d’intérêt public majeur ».
Des arguments insuffisants
Or les justifications fournies par le préfet du Bas-Rhin n’étaient pas suffisantes. L’État a utilisé deux arguments : le caractère accidentogène de l’actuelle traversée de Chatenois, et la nécessité d’améliorer la qualité de l’air. Il a donc transmis des relevés du nombre d’accidents survenus sur cette route entre 1996 et 2018, « dont il ressort qu’en moyenne, un accident par an s’y est produit. Du fait de ces accidents, 32 personnes ont été blessées et six sont décédées durant les 22 années considérées. Aucune donnée n’a été produite sur la nature et la localisation de ces accidents », selon le tribunal administratif.
Pour ce qui est de la pollution de l’air, « le dossier a seulement permis de démontrer une diminution, du fait de la réalisation de la déviation, du niveau d’exposition de 7 à 8% de la population résidant dans la zone d’étude au dioxyde d’azote et à des particules fines de diamètre inférieur à 10 micromètres ».
Une pollution supplémentaire pour certaines substances
Le tribunal ajoute que « pour plus de 90 % des habitants de la zone, le niveau d’exposition à ces substances demeure inchangé à l’horizon 2030, avec ou sans construction de la déviation ». Pour les autres substances étudiées, « il n’est pas justifié, par les données produites, d’une amélioration des niveaux d’exposition conditionnée par la mise en service de la déviation ». Au contraire, « il ressort de l’étude produite que le projet de déviation est à l’origine d’une pollution supplémentaire par dix substances, par rapport au scénario en 2030 sans ouvrage, due à l’augmentation attendue du trafic et des vitesses de circulation ».
Le tribunal conclut que « les irrégularités relevées sur ces deux points majeurs entrainaient l’illégalité de l’ensemble de l’autorisation, ce qui n’a pas permis d’ordonner des mesures de régularisation. Il a donc annulé cette autorisation environnementale ».
Dans un communiqué publié le 12 mai, Alsace Nature se réjouit de cette décision :
« Le signal fort envoyé par le tribunal administratif dans ce dossier doit être entendu : il est temps de penser la nécessaire protection des ressources en eau et la protection de la biodiversité comme cruciales, bien au-delà des seuls objectifs de gestion des flux de marchandises par transport en camions. […] Les citoyens, rassemblés au sein des associations de protection de la nature, appellent les collectivités et l’État à repenser la prise en compte des enjeux de biodiversité dans les dossiers de mobilités qu’ils portent. »
Les travaux de contournement sont cependant bien avancés, comme le souligne un reportage de TV2 de novembre 2022 :
Selon le tribunal, ces travaux doivent s’arrêter immédiatement. Pour reprendre, une nouvelle « autorisation, conforme aux règles applicables en matière environnementale » est nécessaire. La Collectivité européenne d’Alsace annonce qu’elle fera appel de ce jugement, et qu’elle demandera la « suspension de son exécution pour permettre la reprise des travaux ». « 20 000 véhicules traversent quotidiennement la commune de Châtenois, engendrant d’énormes risques pour la population, tant en termes de qualité de l’air et de bruit qu’en termes d’accidentologie », abonde la collectivité. Mais vu les éléments apportés sur les accidents et la pollution de l’air, il sera certainement difficile de justifier d’un « intérêt public majeur » et de poursuivre le projet.
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