Difficile d’imaginer des voitures place Kléber, rue Mercière, face à la Cathédrale ou encore un immense parking à ciel ouvert place Broglie. Et pourtant, il suffit de remonter aux années 1970.
À cette époque, le maire de Strasbourg Pierre Pfimlin (centre-droit) appuie sur le frein du développement du « tout-voiture », dans un souci d’embellissement et d’attractivité touristique et commerciale. Comme on peut le voir dans la série de quatre vidéos en tête de cet article, une parade en costume alsacien est organisée pour fêter cette transformation au printemps 1973. Le maire déambule souriant lors de cette « première étape » dans « cette merveille qu’est le vieux Strasbourg »!
La piétonnisation débute par les rues étroites autour du secteur de la place du Marché aux cochons de lait, non loin de la Cathédrale et du Palais des Rohan. Les commerçants du secteur « sont contents, surtout quand il fait beau, mais problème « le dallage est un peu dur », ce qui fait mal aux pieds, surtout pour ces dames en « souliers à talon ».
Des commerçants s’opposent
Mais déjà, ces changements impliquent des réactions hostiles. En première ligne, on retrouve l’association des commerçants (toute ressemblance avec l’époque actuelle ne serait que fortuite). Après quatre samedis d’essais à l’automne 1975 sur un secteur plus large, plusieurs rues du centre dont certaines sont piétonnières aujourd’hui, repassent aux voitures.
Le maire Pierre Pfimlin, visage fermé face à la caméra, recule. Mais il maintient tout de même le cap pour une piétonnisation « méthodique, avec la lenteur qui convient » de l’extension du « secteur piétonnier définitif ». Il sent une « approbation générale » par exemple rue Mercière et place de la Cathédrale, transformées au cours de l’année. Une ligne jamais remise en cause par ses successeurs de droite ou de gauche.
Pour l’urbaniste strasbourgeois Alfred Peter, la piétonnisation, qu’il préfère appeler « retour de la marche » est apparue paradoxalement à l’époque de « l’apogée de la voiture » :
« La marche, c’est le plus grand des luxes. La logique est que les déplacements sont si bien maîtrisés que l’on peut même se permettre de marcher. Pour cela, il faut un espace apaisé, avec de la place, de l’ombre, des rez-de-chaussée agréables et divers. L’objectif aujourd’hui est que le retour de la marche ne soit pas un plaisir restreint aux “riches” du centre-ville, mais pour tous. Que même dans d’autres communes de l’Eurométropole, les habitants en fassent de même. La marche représente 80% des déplacements du quotidien. Si on sort du centre on a presque partout un trottoir d’1,4 mètre, la taille minimale. Ce défi de la marche est réactivé avec les téléphones portables qui servent de GPS ou les applications pour compter ses pas. Les « Plans marchables » sont les têtes partout en France, mais ils sont souvent phagocytés par les « plans vélos », qui ont une meilleure image. »
« L’eau n’a pas été recouverte »
Si selon lui l’idéal de la ville piétonne est Venise, il estime à l’aide de comparaisons internationales que « Strasbourg a été plutôt préservée » par l’époque du tout-voiture :
« On a enlevé des trams, élargi des rues, mais l’Ill n’a par exemple pas été recouverte. D’autres villes comme Rennes ou Nice ont construit par dessus leurs cours d’eau. À Strasbourg c’est surtout l’autoroute A35 qui a laminé la ceinture verte. Aujourd’hui, on essaie de la supprimer, comme si l’Histoire bégaie. Quand il y a des excès, il y a toujours un effet balancier. En travaillant dans d’autres pays, on peut se demander si ce n’est pas un stade obligé lié au développement, où la voiture est encore vue comme “une liberté”, etc. Je travaille par exemple au Sri Lanka où les pouvoirs public veulent faire une grande place à la voiture en ville, alors que dans quelques années il y aura surement un retour en arrière. Pékin avait éradiqué la place des vélos et aujourd’hui y revient. C’est comme si finalement, ce n’est qu’une fois que l’on a bien conquis la ville, que l’on peut enfin se payer le luxe de quelques rues piétonnes. »
Quand le tram allait « tuer » le centre
Le débat à Strasbourg est toujours vif, par exemple sur les quais sud finalement mutés en zone de rencontre. des critiques s’élèvent aussi contre le réaménagement de la rue du 22 novembre. Dans les années 1990, il s’est aussi concentré sur la place des transports en commun dans le centre.
Lors de l’Assemblée générale de l’association de commerçants les Vitrines de Strasbourg, le directeur Pierre Bardet a débuté son propos avec quelques phrases « collector » de scientifiques qui prédisaient l’échec de technologies devenues populaires comme le téléphone, internet, les smartphones ou le commerce en ligne… Une invitation aux adhérents à savoir s’adapter aux mutations de la société.
Mais lorsque c’était au tour du premier adjoint Alain Fontanel (LREM) de parler, ce dernier, par ailleurs président de la CTS, a pointé qu’il en manquait une : « le tramway va tuer le centre-ville ». Une citation qui vient… des Vitrines de Strasbourg en 1989.
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