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Les rentrées au Parlement européen d’Anne Sander, Fabienne Keller et de Virginie Joron

Les trois eurodéputées alsaciennes, Anne Sander, Fabienne Keller et Virginie Joron, viennent de boucler leur session plénière de rentrée au Parlement européen. Elles ont choisi des commissions bien différentes mais elles se sont trouvées un combat commun.

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Les rentrées au Parlement européen d’Anne Sander, Fabienne Keller et de Virginie Joron

Certains députés doivent parcourir des centaines de kilomètres pour rejoindre, une fois par mois pour la plénière, le Parlement européen à Strasbourg. Pour Anne Sander, Fabienne Keller et Virginie Joron pourraient venir à pied, ou presque. Elles sont les trois seules Alsaciennes qui ont été élues en mai. Mais bien qu’elles exercent une même fonction, elles sont loin de partager la même vision de leur métier, et plus généralement, de l’Union européenne (UE).

La session plénière (4 jours de votes, de débats, de briefings avec la presse, de rendez-vous avec des lobbyistes, de réunions de groupe et de délégation, etc.) qui s’est achevée hier, jeudi 19 septembre, leur a toutefois laissée la même impression : cette fois, ça y est, c’est la rentrée.

L’élection du président de la Commission (Photo Parlement européen)

La plus à l’aise dans cette drôle de « bulle » du Parlement européen est Anne Sander. Élue sur la liste de Les Républicains (LR), cette économiste de formation entame son deuxième mandat en tant qu’eurodéputé à 45 ans. Avant d’être élue en 2014, elle était la collaboratrice de Joseph Daul, ex-eurodéputé influent et actuel président du Parti populaire européen (PPE).

Depuis son élection (de justesse) en mai, Anne Sander enchaîne les « gros coups » : elle a hérité d’un poste de questeur du Parlement (stratégique, car il permet de s’intéresser aux affaires administratives et financières de l’institution), a décroché un fauteuil dans la très prisée commission de l’Agriculture (AGRI), et, cette semaine, s’est vue confiée la négociation pour le groupe du PPE de deux règlements relatifs au futur de la Politique agricole commune (PAC). Un triplé gagnant selon l’élue, qui poursuit  :

« Il faut toujours se battre pour obtenir des responsabilités, mais le fait de connaître la maison et les gens est un atout de taille. Je ne découvre plus les sujets, je sais à qui m’adresser, bref, c’est… sympathique ! »

Anne Sander est plus habituée que ses collègues Fabienne Keller et Virginie Joron à l’exercice de la prise de parole en plénière. (Photo Mathieu Cugnot / EP)

Virginie Joron, pour sa part, a tout à apprendre. Membre du Rassemblement national (RN), cette conseillère régionale (elle cumulera les deux fonctions) était 8e sur la liste du parti d’extrême-droite. Assez vite, il a fallu choisir dans quelles commissions parlementaires siéger. Pour elle, ce sera celle du Marché intérieur et de la protection des consommateurs (« IMCO », où elle est membre titulaire) et celle des Droits de la femme et de l’égalité des genres (« FEMM », en tant que membre suppléante). La nouvelle eurodéputé explique : 

« Marine souhaitait que j’aille en FEMM. Moi, j’aurais pu aller partout. Mon problème, c’est que tout m’intéresse ! »

Marine Le Pen a beau ne plus être eurodéputée (elle l’a été pendant plus de douze ans), son ombre plane toujours dans le couloir « du Rassemblement », comme ils disent, au 9e étage d’un des bâtiments du Parlement. La délégation française du groupe europhobe Identité et démocratie compte 22 élus, pas moins.

Trouver de bons copains

Fabienne Keller, elle aussi, fait sa première rentrée au Parlement européen. Elle fait partie des élus de « Renaissance », la liste emmenée par l’ex-ministre des Affaires européennes Nathalie Loiseau. En réalité, en 2002, Fabienne Keller avait déjà été nommée eurodéputée, au moment où Nicole Fontaine et François Bayrou avaient quitté l’hémicycle pour rejoindre le gouvernement. Fabienne Keller, suivante sur la liste, avait été appelée pour remplacer l’un des deux. Mais elle était alors maire de Strasbourg (depuis 2001) et n’avait pas souhaité se séparer de ce mandat si durement acquis.

Aujourd’hui, au sein de la délégation française du groupe Renew Europe (RE), elle est l’une des meilleures connaisseuses du fonctionnement de l’UE, grâce à l’expérience qu’elle a acquise en tant que vice-présidente de la commission des Affaires européennes au Sénat. Mais le Parlement européen n’a pas grand-chose à voir avec le Palais du Luxembourg : des députés qui n’ont ni la même nationalité, ni la même langue, ni la même culture politique se côtoient. Et se doivent de trouver des compromis.

Fabienne Keller a démissionné en juin de son poste de sénatrice pour devenir eurodéputée (Photo Marc Dossmann / EP)

Cette délégation hexagonale compte 21 députés, et Fabienne Keller est la seule membre d’Agir, parti présidé par le ministre de la Culture Franck Riester. La majorité est estampillée La République en marche (LREM). D’autres viennent du MoDem ou n’ont pas d’étiquette. Surtout, à la différence de Fabienne Keller, bon nombre de ses élus sont quasiment novices en politique. Les collègues directs de Fabienne Keller sont médecins, anciens journalistes ou agriculteurs. Il y aussi une navigatrice ou un océanographe. Fabienne Keller se réjouit d’une telle diversité des profils : 

« Pour l’instant, on apprend encore à se connaître ! J’adore les moments où nous sommes ensemble hors réunions, par exemple dans les transports. Chacun raconte son parcours, c’est passionnant. En règle générale, c’est comme cela que je fonctionne pour comprendre des sujets dont je ne suis pas spécialiste : je trouve de bons copains avec lesquels je suis d’accord sur le fond, d’un point de vue philosophique, et ensuite, on partage nos centres d’intérêts, nos connaissances. Un véritable respect mutuel s’installe. Et mardi soir, nous avons eu notre premier repas de délégation ! »

Toutefois, l’ancienne maire de Strasbourg s’est rapidement éclipsé de ce dîner pour en rejoindre un autre, à la Maison Kammerzell, avec Nathalie Loiseau, Margerethe Vestager, célèbre commissaire à la Concurrence et d’autres « femmes libérales », selon le terme employé par Fabienne Keller. Pour les élections européennes, LREM avait lancé son « pacte Simone Veil », « pour une politique féministe européenne ». Ce dîner-là s’inscrit dans cette logique.

Avec Margerethe Vestager, Fabienne Keller a notamment discuté de l’intitulé du poste de vice-président responsable de « protéger notre mode de vie européen », qui devrait revenir au Grec Margaritis Schinas et qui comprendrait, notamment, la gestion de la migration. Margerethe Vestager n’y trouvait pas grande-chose à redire, Fabienne Keller si. Elle se dit même « choquée » par cette intitulé. 

Pour Fabienne Keller, l’intitulé d’un poste à la protection de « notre mode de vie européen » à la Commission européenne ne passe pas. (Photo Alexis Haulot / EP)

Anne Sander, pour sa part, n’est pas contre cette appelation :  

« Tant que l’idée, ce n’est pas de se renfermer sur nous-mêmes, ce n’est pas un problème de vouloir préserver des choses qui nous sont propres ». 

Quant à Virginie Joron, elle s’en étonne : 

« Cet intitulé est franchement curieux car il est contradictoire avec les valeurs qu’ils n’arrêtent pas de mettre an avant : plus d’immigration, ne pas se refermer, et tout ça. Et là, ils débarquent avec ce nom-là. Cela ne fait aucun doute : ils veulent reprendre nos électeurs, tout comme Macron tente de le faire actuellement. »

Qui se cache derrière ce « ils » qu’emploie à l’envi Virginie Joron ? « Le système, les sociaux-démocrates, le PPE, Von der Leyen », liste-t-elle pêle-mêle. Ursula von der Leyen, ex-ministre de la Défense outre-Rhin, n’est autre que la future présidente de la Commission européenne, qui remplacera à partir du mois de novembre le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker. 

Mardi, Anne Sander, en tant que membre du PPE, a pu assister à une réunion de son groupe avec, en « guest-star », Ursula von der Leyen. Margaritis Schinas était là, lui aussi. Le PPE leur ont réitéré leur soutien inconditionné.

Objectif commun : se démarquer

Aux trois députées, maintenant, d’imposer leur marque dans l’hémicycle. Consciente des reproches régulièrement adressés aux élus d’extrême-droite concernant leur taux d’absentéisme au Parlement, Virginie Joron assure vouloir inverser la tendance. En plénière, elle sera présente, promis. En commission IMCO aussi. En commission FEMM, c’est moins sûr.

Fabienne Keller ne cache pas non plus que son agenda déborde déjà. En commission des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE), elle veut notamment s’impliquer dans les négociations de la réforme du système de Dublin, qui définit quel État est responsable de la demande d’asile d’un migrant. Un dossier aussi épineux que sensible.

À Strasbourg, Virginie Joron a hérité d’un bureau au 9e étage du Parlement européen. (Photo CS / Rue89 Strasbourg / cc)

Quant à Anne Sander, c’est sur les sujets agricoles – qu’elle maîtrise parfaitement – qu’elle tentera de se démarquer. Elle milite surtout pour une politique agricole « vraiment européenne ». Et au-delà de ce champ précis, elle voudrait « faire en sorte que chaque citoyen se sente bien en Europe ». Pour cela, il faut, selon elle, « les raccrocher au projet européen ». Elle aimerait voir exister un « Erasmus allégé » :

« En Alsace, la conscience européenne est souvent plus éveillée que dans d’autres régions du fait de la proximité avec l’Allemagne. Ne serait-ce qu’en allant faire ses courses au DM de l’autre côté du Rhin ! En revanche, dans d’autres régions, certains jeunes n’ont aucun contact avec les autres pays autour. Il faut changer cela, en rendant possible de petits passages de quelques semaines à l’étranger pour les jeunes. »

Dans le domaine de l’agriculture, Anne Sander n’a pas dit son dernier mot : elle veut une politique « vraiment européenne ». (Photo Marc Dossmann / EP)

Au Parlement, les trois élues pourraient être amenées à collaborer sur un sujet particulier qui leur tient à toutes à coeur : la « bataille du siège » du Parlement. Les trois en sont convaincues : il faut un siège unique et à Strasbourg, évidemment. Pour l’heure, elles ont adopté le même mode de fonctionnement : elles habitent en Alsace et pendant les semaines de travail à Bruxelles, séjournent à l’hôtel dans « l’autre » capitale européenne. 


#Parlement européen

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