Assureur à la retraite, André Lang a bien connu le Racing des années 1950 et 1960, notamment car les joueurs Gilbert Gress et Gérard Hausser étaient ses voisins lorsqu’il était adolescent. Passion mortelle est son premier roman. Rencontre.
Paolo : L’action de Passion mortelle se déroule à cheval entre les années 50 et 60. Pourquoi cette période ?
André Lang : C’était ma jeunesse. J’y ai vécu des émotions comme tous les jeunes gens : les rencontres avec les filles et tout ce que la vie nous apporte de joie. Il y avait peu de moments de tristesse, surtout du bonheur. Quand on a eu la chance de grandir à Strasbourg en ce temps-là, on a connu le Midi-Bar et son Scopitone, ce jukebox associant l’image au son qui permettait de voir défiler Gene Vincent et ses Pénitenciers ou Elvis Presley en couleur. Pour l’époque, c’était magique ! Voilà pourquoi j’ai situé le début du roman dans ce contexte, avec des adolescents qui rêvaient de football ; en l’occurrence, on retrouve d’emblée les futures vedettes du Racing, Gilbert Gress et Gérard Hausser, ainsi que le futur inspecteur Richard Muller.
Si Gress et Hausser sont des personnages réels, ce n’est pas le cas de Muller. Mais en fait on devine assez rapidement que « Ricky » c’est vous quelque part…
Absolument. J’ai beaucoup puisé dans mes souvenirs et dans mon histoire personnelle pour construire le personnage de Richard Muller. Par exemple, l’épisode de la Vespa m’est vraiment arrivé. Un dimanche après-midi d’hiver, au début des années 60, alors que je longeais le stade de la Meinau, j’ai vu un enfant en train de se noyer dans le Krimmeri et je lui ai porté secours. Cet épisode de ma vie m’a marqué et c’est pourquoi j’ai tenu à l’attribuer à Richard Muller.
L’action du roman se passe essentiellement à Strasbourg, une ville dont vous êtes originaire ?
Pas exactement, je viens de Meistratzheim, près d’Obernai. J’y ai grandi jusqu’à l’âge de 10 ans, puis mes parents ont emménagé à Strasbourg. C’était en 1953, puis c’est à l’âge de 12-13 ans que j’ai commencé à aller au Racing. Gilbert et Gérard eux avaient deux ans de plus que moi.
On retrouve dans votre livre les lieux clé fréquentés par la jeunesse strasbourgeoise de l’époque. Par exemple, vous évoquez le bal des boulangers de la Saint-Sylvestre au Palais des Fêtes, le fameux Midi-Bar ou encore le restaurant Chez Marius…
On découvrait tout, c’était juste génial. Et d’ailleurs les pros du Racing fréquentaient eux aussi ces endroits : Raymond Stieber, Georges Peyroche, Ramon Muller… Nous, on les observait à une table un peu plus loin. On peut également citer le Pénalty, quai des bateliers, tenu par les frères Elkaïm. Puis il y a l’épisode où l’on déguste les premières merguez. À l’époque, personne ne connaissait la merguez ! Les tartes flambées, c’est pareil : tout le monde s’imagine qu’à Strasbourg on en mange depuis toujours. En fait, on y mangeait des pizzas avant les tartes flambées ! D’ailleurs, l’unique pizzeria à l’époque c’était justement Chez Marius.
Dans ce cadre-là, vous évoquez régulièrement les tribulations du RCS. Que reste-t-il du Racing de ces années-là ?
Déjà, il en reste le mot. À l’époque, sur les différentes radios du pays, on prononçait « Raicing » (à l’anglaise) pour parler du RC Paris ou du RC Lens, mais « Racing », (juste le « A ») pour le RC Strasbourg. Et c’est ce mot « Racing » qui s’est ancré dans le cœur des gens. Prononcé à l’alsacienne en quelque sorte.
Pour les épisodes glorieux, le Racing remporte deux Coupes de France en 1951 et 1966, ainsi qu’une Coupe de la Ligue en 1964. Quelle était l’ambiance à la Meinau à cette période ?
Quand j’en parle avec Gilbert Gress et Gérard Hausser, ils racontent que lorsque la tribune debout en bois (l’actuelle tribune sud) commençait à trépigner et lorsque les supporters commençaient à râler, les joueurs avaient les boules sur le terrain et se bougeaient en conséquence. Les supporters aujourd’hui et hier, c’est le jour et la nuit. Ils n’hésitaient pas à manifester leur mécontentement de manière ostensible. Mais c’est l’époque qui veut ça. On était seulement quelques années après-guerre et les gens avaient une autre image de la vie. Et à monnaie constante, le prix des places était beaucoup plus cher à l’époque. Peu de monde pouvait se payer un abonnement. En outre, il était possible de s’abonner uniquement en tribune d’honneur (la tribune nord aujourd’hui).
Revenons au livre. C’est Gilbert Gress lui-même qui en rédige la préface. D’où vient votre amitié avec GG ?
Étant jeunes, elle s’est construite naturellement. On fréquentait le même lycée, le même quartier, la piscine de Kehl… Et il nous arrivait de jouer au foot le dimanche après-midi. On évoluait dans les mêmes environnements. Mais c’est plus tard, lorsque j’ai construit ma carrière professionnelle, que nous nous sommes vraiment rapprochés.
De l’extérieur, certains ont l’image d’un Gilbert Gress rude et intransigeant. Est-ce vraiment conforme au personnage ?
Gilbert est un grand professionnel, il ne supporte pas la médiocrité. Mais au-delà de ça, c’est surtout quelqu’un de très humain. Il a tout le temps de nombreuses œuvres sociales en cours. C’est quelqu’un qui consacre beaucoup de temps aux autres, en particulier aux handicapés à travers des associations en Suisse. J’ai eu le plaisir de l’accompagner dans certaines journées caritatives, médiatisées en Suisse mais pas en Alsace, hélas.
Le roman évoque beaucoup le Racing en trame de fond. Est-il à conseiller à quelqu’un qui n’aime pas le foot ?
Passion mortelle est sorti depuis six semaines et les retours m’indiquent que ce sont surtout des femmes qui le lisent ! Bizarrement, il semblerait que les femmes l’apprécient plus que les hommes. Peut-être est-ce dû à la personnalité de l’inspecteur Richard Muller… Je suis très surpris car je pensais vraiment écrire pour un public masculin. Après, il faut dire qu’en règle générale les femmes lisent plus que les hommes !
Pouvez-vous nous présenter le personnage de Richard Muller ?
C’est un jeune inspecteur qui, après avoir joué dans les catégories de jeunes du Racing, entre dans la police. Comme il se distingue par son sérieux et sa compétence, on lui confie une première enquête qui le mène dans les forêts autour de Strasbourg. Alors qu’ils cherchaient des morilles, un couple de promeneurs découvre un cadavre : un évènement que j’ai réellement vécu en compagnie de mon épouse ! Bien sûr, l’enquête qui s’en suit n’est que le fruit de mon imagination.
Un des épisodes clé du livre nous mène sous les marronniers du stade de la Meinau…
J’ai toujours admiré ces marronniers ! Il me fallait forcément les introduire dans le récit. À chaque fois que je vais au stade, encore aujourd’hui, ils me fascinent. Ils sont encore debout 60 ans après mon premier match au Racing !
Passion mortelle est votre premier roman. Qu’est-ce qui vous a conduit à l’écriture ?
Je lis beaucoup et j’ai eu envie un jour de créer mon propre personnage. C’est ainsi que je suis parti de ma biographie pour inventer Richard Muller. Par ailleurs pour écrire, il faut être disponible d’esprit. Cela ne m’a été possible qu’après avoir conclu ma carrière de dirigeant dans le tennis.
On apprend dans la préface qu’une suite se prépare. Peut-on déjà en savoir plus ?
Le premier roman est situé entre 1957 et 1967, tandis que le deuxième ira de 1972 à 1975. Côté Racing, il ne passe pas grand-chose à cette époque, mais à Strasbourg eut lieu le casse de la poste de la Marseillaise : un hold-up d’un 11,68 millions de francs (13 millions actuels) ! Il en sera question dans ce deuxième opus. Dans le troisième, car ce sera une trilogie, on en arrivera au titre de 1979.
Le Racing vient de faire son grand retour en première division. Un petit pronostic pour la saison en cours ?
Treizièmes, dans le ventre mou.
Le mot de la fin ?
La Doris du roman, à savoir la compagne de l’inspecteur Muller, est ma femme encore aujourd’hui. Tout ce que j’ai vécu, « Doris » l’a vécu elle aussi. D’ailleurs, Béatrice et Suzie, les femmes de Gilbert et Gérard, le sont encore aujourd’hui. C’est typique d’une époque où l’on était peut-être moins exigeant par rapport à la vie. C’était aussi une époque (ce que Gilbert souligne dans sa préface) où lors d’un match contre Nice en D1, en 1963, le Racing gagne 7-0 avec 6 joueurs issus du seul quartier du Schluthfeld. Extraordinaire !
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