« Je ne suis pas compétente en matière d’amiante », ne cesse de clamer Marie-Delphine Dochain devant le tribunal correctionnel de Strasbourg mercredi. L’architecte en charge des travaux d’intérieur dans le bâtiment Winston Churchill du Parlement européen de Strasbourg en février 2013 est poursuivie pour « mise en danger d’autrui par violation d’une obligation de prudence et de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». Elle s’en défend :
« Il faut bien comprendre ce qu’est la mission d’architecte d’intérieur. Si vous voulez, je suis un chef d’orchestre. Je ne sais pas jouer de tous les instruments, mais je connais la musique. On a un coordinateur sécurité et santé qui a ces compétences. »
Mais pour le substitut du procureur de la République, Sébastien Hauger, la mission de l’architecte, même s’il est d’intérieur, est également de veiller à la sécurité du chantier. Dans le rapport établi par la direction régionale du travail (Direccte), il est indiqué que l’architecte est en charge du « suivi général du chantier. »
Le procureur demande alors : « en votre qualité de maître d’oeuvre, n’est-ce pas votre rôle de veiller à la sécurité de toutes les personnes intervenant sur un chantier ? »
« Le rôle de l’architecte d’intérieur, c’est l’esthétique »
Marie-Delphine Dochain, son long manteau blanc sur les épaules, répond : « il existe plusieurs types de maîtres d’oeuvre. Moi, je vérifie ce qui est conforme à notre plan. Chacun a son rôle. » Son avocat renchérit : « celui de Mme Dochain, c’est l’esthétique ».
Le ton est monté entre Me Renaud Bettcher et Sébastien Hauger. Le procureur somme l’avocat de laisser parler sa cliente avant de lui demander de définir des termes professionnels : « pour vous, qu’est-ce que le dossier technique amiante ? Qu’est-ce que le repérage amiante avant travaux ? »
Ces deux documents sont établis par une entreprise extérieure, mandatée par le Parlement européen et qui peuvent être consultés par tout intervenant effectuant de la maintenance ou des travaux au sein de l’institution. Celui-ci avait été établi en novembre 2010, peu après la mise en forme du projet de transformer l’ancien « bar des chauffeurs » en bureaux dans le bâtiment Winston Churchill.
Le responsable de l’entreprise en charge des analyses des matériaux et témoin dans cette affaire, s’exprime à son tour à la barre :
« Pour effectuer des prélèvements sur les poteaux mis en cause dans cette affaire, il aurait fallu que je sache qu’ils feraient l’objet de travaux. Je serais allé plus loin si j’avais su. Le seul plan en notre possession était le plan général de ce bar. On n’a pas eu plus de renseignements. »
Dans le dossier technique amiante, le Strasbourgeois avait tout de même indiqué qu’il existait certaines interrogations sur la nature du coffrage de ces poteaux, mais le Parlement européen n’aurait pas demandé d’enquête complémentaire.
La présence d’amiante révélée par un plâtrier
Lors d’une réunion de chantier en octobre 2013, un ouvrier de l’entreprise Stenger Plâtres & Staff soumet une première fois la question de la présence d’amiante dans les coffrages des poteaux. Le président de l’assemblée, Jérôme Lizet, raconte :
« Il indique que personne n’a su lui répondre. A l’aide d’un tournevis, il écarte les cloisons du poteaux pour vérifier s’il est bien coupe-feu. Il explique que ces ouvriers ont écarté les tôles avant d’évacuer la garniture. Lors d’une nouvelle réunion, les ouvriers sont autorisés par la maître d’ouvrage à monter et habiller ces poteaux. »
Il se tourne alors vers Marie-Delphine Dochain. Lors de cette réunion, l’ouvrier lui aurait apporté un morceau du coffrage qu’elle nie avoir vu, mais de toute manière :
« Je ne peux pas donner un avis sur quelque chose que je ne connais pas. En dehors du Parlement européen, je pose la question à des personnes compétentes. Dans ce cadre-ci, j’étais entourée de toutes les personnes qu’il fallait, donc je ne me suis pas posé la question. »
Selon Me Renaud Bettcher, le Parlement européen devrait être sur le banc des prévenus, alors qu’il s’est constitué partie civile dans cette affaire. L’institution, représentée par Me Jean-Paul Teissonière, s’en défend :
« Dans ce débat, on constate qu’on a tendance à rejeter la responsabilité sur le voisin. La seule obligation de départ d’un propriétaire de bâtiment c’est le diagnostic amiante. Le document technique ne vise que l’approche visuelle du risque de pollution à l’amiante. Ce repérage doit être exhaustif, seulement lorsque l’on envisage des travaux de démolition. »
7,09 fibres d’amiante par litre d’air sur la zone des travaux
Le démontage du coffrage des poteaux n’était pas prévu lors des travaux. Les cloisons devaient être fixées sur ces poteaux, mais la manière de procéder n’était pas indiquée dans le cahier des charges. Finalement, les poteaux devaient être percés de six trous pour y insérer des chevilles.
Le simple fait de percer aurait pu exposer les ouvriers à des poussières d’amiante. Dans la zone des travaux, le prélèvement de matériaux avait révélé la présence de 7,09 fibres par litre d’air. Le seuil sanitaire est de 5 f / litre et de 100 f / litre pour des ouvriers.
Jeudi, le tribunal correctionnel de Strasbourg entendra certaines parties civiles. Celles-ci demandent à être reconnues en tant que victimes, en cas de l’apparition future d’une maladie liée à l’inhalation de poussières d’amiante.
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