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Ma promenade éco-anxieuse au marché de Noël de Strasbourg

Tourisme de masse, surconsommation, gaspillage alimentaire… Chaque année, mes convictions écologiques gâchent la promenade au marché de Noël de Strasbourg.

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Ma promenade éco-anxieuse au marché de Noël de Strasbourg

« 2024 est l’année la plus chaude jamais enregistrée sur la planète : ai-je réellement besoin de ce petit lutin en tissus ? » Être éco-anxieuse, c’est faire le marché de Noël de Strasbourg en état de dissociation cognitive. À chaque fin d’année, une partie de mon cerveau s’émerveille des petits personnages et décors proposés dans les chalets du Christkindelsmärik. L’autre s’interroge sur leur impact environnemental : « Maman m’a dit qu’elle voulait un rouleau à décorer les pâtisseries cette année : est-ce que celui-là a été conçu avec du bois issus de forêts locales et durables ? » Cet état d’intranquillité permanente à deux effets : me pousser vers les étals de vin chauds pour me faire oublier mes inquiétudes et me nouer l’estomac, pour m’empêcher d’en profiter.

Les lutins et autres figurines de Noël pourraient presque me faire oublier mon éco-anxiété. Photo : Anne Mellier/ Rue89 Strasbourg / cc

« Marché durable » et surtourisme

En bonne bobo-écolo strasbourgeoise, j’ai attentivement suivi les évolutions du marché de Noël ces dernières années. J’ai lu les déclarations des élus écologistes qui promettent de limiter l’impact environnemental de ce grand raout saisonnier. Traitement des eaux grasses, tri des déchets, sélection des exposants et des produits proposés, remplacement des décorations lumineuses par des LED et créations en tissus… Autant d’initiatives vertueuses qui ne posent pas la question cruciale du surtourisme qui se cache derrière l’événement. En 2023, le marché de Noël de Strasbourg a battu un nouveau record de fréquentation avec 3,3 millions de visiteurs.

Un moment d’inattention et me voici à la Petite France, emportée par une foule cosmopolite émaillée de perches à selfies. Curieuse, je demande à un couple avec une poussette d’où ils viennent. Originaires d’Istanbul, Sibil et Oguz ont pris une semaine pour visiter tous les marchés de Noël alsaciens. Arrivés à l’aéroport de Bâle, ils ont loué une voiture pour venir passer trois jours à Strasbourg avant de filer en direction de la route des vins et de ses petits villages pittoresques. « On prépare ce voyage depuis mars », détaille le jeune homme qui explique avoir découvert le Christkindelsmärik strasbourgeois grâce aux influenceurs, sur les réseaux sociaux. « C’est joli, mais je suis un peu déçu. Il n’y a pas cet effet waouw qu’on peut voir sur leurs vidéos », regrette Oguz.

Des touristes du monde entier

« Brilliant », « amazing » « authentic ». De son côté, Andrew ne manque pas de superlatifs quand il s’agit d’évoquer sa visite au marché de Noël de Strasbourg. Originaire de Melbourne, en Australie, le quinquagénaire est en Europe pour « trois semaines et demie » avec son épouse et une de leurs amies. Arrivé à Londres par long-courrier, le trio a ensuite pris un autre vol pour Budapest afin de visiter les marchés de Noël de Vienne, Prague et Munich. Une journée à Strasbourg puis ils fileront à Colmar avant de rentrer par Paris. « L’architecture ici est incroyable. Et chaque chalet nous fait ressentir l’esprit de Noël ! » s’enthousiasme l’Australien, des étoiles plein les yeux. Je souris en l’écoutant. Partagée entre la complicité et le vertige – combien de kilogrammes de CO2 émis pour tous ces déplacements ?

Je croise aussi deux américaines, l’une résidant en Allemagne, à deux heures de route au nord de Strasbourg. L’autre est venue de Philadelphie pour profiter du marché strasbourgeois avant d’aller voir celui de Paris. Elles ont aussi découvert l’événement grâce aux influenceurs, sur les réseaux sociaux. Au pied du grand sapin, les écrans de smartphones font concurrence aux décorations lumineuses. L’heure est au selfie et aux photos souvenirs. De quoi inciter de nouveaux visiteurs à remonter les allées du Christkindelsmärik l’année prochaine.

La photo du sapin, l’incontournable instagrammable…Photo : Anne Mellier/ Rue89 Strasbourg / cc

Inévitables déchets

Lassée du bain de foule, je tourne le dos au grand sapin pour tomber nez à nez avec un triste tableau. Sur les petites tables rondes permettant aux visiteurs de manger debout, de nombreux déchets ont été oubliés. Quelques serviettes en papier roulent dans la brise. J’attrape ce que je peux pour les emmener aux bennes voisines avant de déchanter. Le code couleur et les pictogrammes n’ont pas suffi à faire respecter les consignes de tri. Des emballages en carton dorment au fond de la poubelle dédiée aux restes alimentaires et vice versa.

L’année dernière, les services de la Ville ont ramassé près de 30 tonnes de déchets cartons et plastiques, qui ont ensuite été envoyés dans des centres de traitement situés au Port du Rhin. Mais je n’oublie pas que le meilleur des déchets est celui qu’on ne produit pas. Ne pourrait-on pas imaginer des planches en bois consignées pour les tartes flambées ? Ou des bols en céramique de Betschdorf pour les plâtrées de spaetzle ?

Tombée par hasard sur des amies en train de boire du vin chaud, je ne peux m’empêcher de leur demander si elles ont pensé à emmener leur gobelet. « Chaque année, j’en prends un au début du marché et il me dure tout le mois. S’il me plait, je le garde sinon je récupère ma consigne », m’explique l’une. « Moi, j’en prends un que je finis par oublier chez moi. Au bout de trois ou quatre vins chauds, j’en prends un autre », témoigne un ami. Je songe à la pile d’écocups sérigraphiés aux couleurs du marché de Noël qui dort dans les placards de ma colocation avec un brin de culpabilité.

Des alternatives végés encore rares

Parmi les conseils donnés aux visiteurs cette année, la Ville a suggéré d’amener ses propres contenants. Une consigne zéro-déchets peu suivie, si j’en crois les quelques exposants à qui j’ai posé la question. « Si, il y a une dame qui venue aujourd’hui avec une grande thermos », détaille un marchant de glühwein avant de verser une généreuse rasade de calva dans mon jus de pomme chaud. Un cocktail 100% français, du verger à l’alambic. Rien à dire.

Puis je me mets à observer les chalets à bretzels gratinées et à tartes flambées que je scrute d’un œil aussi sévère qu’affamé. Des versions végétariennes existent, mais elles restent peu nombreuses. Il faut arriver sur le Marché off pour trouver des recettes 100% végétales. Currywurst incluse. Le rapport avec l’écologie ? Une alimentation végane émet 75% de gaz à effet de serre en moins qu’une alimentation très carnée et consomme moins d’eau et de terres. De quoi donner envie de végétaliser son assiette.

Une gaufre végétale au marché off. Photo : Anne Mellier / Rue89 Strasbourg / cc

C’est dans le marché de Noël le moins touristique de Strasbourg que je termine immanquablement mes balades. L’écoanxiété y résonne un peu moins fort. Encore que, ici comme ailleurs, la question se pose : de quoi ai-je vraiment besoin pour Noël ? Qu’ai-je vraiment envie d’offrir ? Des bières locales ? Des produits de la région ? Une orange et un morceau de chocolat – fruit produit en Espagne et du cacao originaire d’Amérique du sud ? Mauvaise idée pour l’empreinte carbone. Je cherche des idées ici et là. Et regarde les prix. Quand on est éco-anxieux et précaire, finalement, rien, c’est peut-être bien.


Année après année, le marché de Noël de Strasbourg bat des records de fréquentation. Malgré les efforts de la municipalité écologiste en place depuis 2020, l’événement n’échappe pas aux dérives du surtourisme. Cette année, la rédaction de Rue89 Strasbourg assume son amertume face au christkindelsmärik strasbourgeois. « L’amer Noël », une série de reportages écrits à la première personne.

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