Dans certains milieux professionnels, l’alsacien est très utilisé. C’est le quotidien des boulangeries, restaurants, des hôpitaux ou maisons de retraite… Pourtant mentionner que la langue alsacienne est souhaitée lors d’une embauche est interdit. Et ce, y compris lorsqu’ils en ont besoin pour exercer au mieux leur activité. Du coup, des stratégies de contournement se sont mises en place.
« Mir rede elsassisch » (« nous on parle alsacien »), revendiquent les dialectophones. L’alsacien est aujourd’hui encore l’une des langue régionale la plus parlée en France. En Alsace, elle est toujours utilisée par une petite moitié de la population (voir infra), en famille, mais aussi au travail. Dans les milieux artisans, commerçants et médicaux, la langue régionale est même un outil de travail, comme pourrait l’être l’anglais.
Pourtant l’alsacien ne bénéficie pas de la même reconnaissance que les langues nationales, particulièrement dans le milieu professionnel. Il est interdit de recruter quelqu’un pour sa capacité à parler le dialecte, il est même interdit de refuser une embauche sur ce critère. Selon le Défenseur des droits, ce critère est discriminatoire « quand ce n’est pas nécessaire au poste ». Et aucun poste n’obtient de dérogation.
L’Association de Lutte contre les Discriminations en Alsace éclaire cette restriction :
« Ce n’est pas une interdiction formelle, mais elle est en lien avec la loi générale qui interdit toute discrimination que ça soit d’origine, d’âge ou autre. Parce que finalement demander une maîtrise de l’alsacien à l’embauche, c’est une discrimination indirecte. La connaissance du dialecte va varier si la personne est de la région ou non, si elle est plus jeune ou plus âgée… Et puis l’alsacien n’est pas un critère objectif d’embauche, ce n’est pas une compétence professionnelle. »
Néanmoins, lorsqu’un employeur donne une annonce à Pôle Emploi, il peut mentionner que l’alsacien « est un plus apprécié », mais l’agence n’en tiendra pas compte lors de son recrutement. En 2008, l’agence Pôle Emploi de Guebwiller avait refusé de publier une annonce qui mentionnait que l’alsacien était souhaité pour obtenir le poste.
« Une discrimination contre notre identité »
Une réalité subsiste : les employeurs ont parfois besoin de l’alsacien au quotidien. Justin Vogel, président de l’Office pour la Langue et la Culture Alsacienne (OLCA), remarque que cette restriction peut être un obstacle dans quelques professions :
« Il y a une demande de personnel dialectophone dans certaines activités, pour communiquer, mais aussi pour se démarquer. Notamment pour les commerçants qui se distinguent en mettant en avant leurs spécificités régionales. A l’OLCA, on a de plus en plus de personnes qui viennent nous voir pour des traductions de plaquettes, apprendre quelques mots ou quelques expressions pour leur travail. On forme également des standardistes pour qu’ils sachent répondre en alsacien. Je pense qu’empêcher d’exiger ce critère est une discrimination contre notre identité. On a la chance d’être dans une région où la culture est riche il faut respecter cela. D’autant plus, qu’il y a toujours des gens qui parlent essentiellement alsacien. C’est pour cela que nous allons proposer de revenir sur cette restriction à l’occasion des Assises de la langue et de la culture alsacienne. Nous voudrions que certains secteurs puissent exiger la compétence du dialecte lors de l’embauche. »
L’alsacien devient même indispensable lorsqu’on est au contact de personnes âgées, pour lesquelles le français est parfois une langue étrangère. C’est le cas à l’EHPAD Sainte-Croix de l’association Adèle de Glaubitz à Strasbourg. La directrice, Caroline Mardiné, admet que l’alsacien est un « plus » important pour les employés même si « ne pas savoir le parler n’est pas insurmontable » :
« L’alsacien permet de casser les barrières, c’est un plus pour mettre en confiance les personnes âgées car le dialecte est souvent leur première langue. Mais la pratique de l’alsacien dépend de leur milieu d’origine. Ici, on a beaucoup de religieuses et d’anciens prêtres donc la plupart sont bilingues, ils ont dû apprendre le français pour leurs missions. Mais dans des maisons de retraites à la campagne l’alsacien est encore plus nécessaire. »
Caroline Mardiné assure ne pas faire particulièrement attention à ce critère lors du recrutement. D’autant plus que son personnel est essentiellement constitué de jeunes issus de l’immigration, peu de chance qu’ils parlent l’alsacien donc. Pourtant, elle avoue que si la langue régionale était indispensable au bien être des résidents elle embaucherait des dialectophones, quel que soit l’avis des institutions, car ce qui lui importe « c’est les personnes âgées et rien d’autre ».
Une langue qui rapproche
En parcourant les couloirs de l’EHPAD, il n’est pas rare d’entendre des conversations en alsacien, entre les résidents, avec leur famille ou avec Carole, l’infirmière. C’est dans cette langue qu’ils s’expriment le mieux. Ce qui n’est pas au goût de tous les pensionnaires, notamment des non-dialectophones. Pour d’autres résidentes c’est l’inverse : le français peut leur poser des difficultés pour communiquer, comme l’explique Carole :
« Sœur Véronique comprend mal le français. Et elle s’énerve rapidement quand on discute dans cette langue car elle a du mal à trouver ses mots. Alors oui, je pense que si tu ne connais pas l’alsacien, ça peut être un réel problème pour travailler avec des personnes âgées. Le dialecte est leur langue maternelle, ça leur renvoie quelque chose de leur vécu. Et nous, ça nous permet d’avoir un lien plus direct avec eux. »
Le Père Stanislas est encore très actif pour son âge. Né en 1916, à la campagne, il n’a parlé qu’alsacien jusqu’à ses six ans. C’est à l’école qu’il a pu apprendre le français puis, plus tard, l’allemand pour les prêches. Lentement, le sourire aux lèvres, il s’amuse à récapituler ses nationalités :
« Je suis né allemand, ensuite je suis devenu français, puis de nouveau allemand et encore français. Et maintenant je suis européen ! Je lis et je parle le français et l’allemand mais ma base reste l’alsacien. C’est une langue que j’aime beaucoup. »
Une touche d’humour indispensable
Carole lui fait des blagues en lui parlant très fort à l’oreille :
« Dans une maison de retraite, l’humour est très important pour garder le moral. Il y a des expressions comiques alsaciennes qu’on ne retrouve pas en français. Hoppla geiss, par exemple est un terme affectif pour encourager quelqu’un, mais littéralement ça veut dire « allez saute, la chèvre »… »
Des expressions comme celle-là, cette infirmière en utilise tous les jours. Et parfois elle donne même des petites astuces aux autres aides soignantes non dialectophones. Elles apprennent quelques mots qui peuvent leur servir au quotidien quand les résidents font leur mauvaise tête.
Aller plus loin
L’association culture et bilinguisme d’Alsace-Moselle critique cette cette décision de la HALDE.
Ce guide pratique de l’offre d’emploi est édité par Pôle Emploi et destiné aux recruteurs. A l’intérieur sont mentionnés les critères considérés comme discriminatoires et les sanctions encourues en cas de non respect de ces critères.
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