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Comment l’Alsace est devenue une terre du MMA en contournant les interdictions

En France, l’enseignement et la pratique du MMA, ce sport de combat qui mélange plusieurs disciplines, sont autorisés, mais pas les compétitions. Mais depuis plusieurs années, des clubs alsaciens organisent et participent à des compétitions en Allemagne et en Suisse.

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En l'absence de fédération officielle, les récompenses gagnées par les combattants ne sont pas officiellement reconnues. (Photo : Simone Buchmüller / HFC)

Lorsqu’il a entendu la ministre des Sports Roxana Maracineanu annoncer il y a un mois sur RMC, puis sur France Inter, sa volonté de légaliser le MMA (mixed martial arts ou arts martiaux mixtes) en septembre 2019, le premier mot qu’a immédiatement lâché Richard Wery est un « enfin ! », presque soulagé.

« Depuis le temps qu’on attendait ça ! », poursuit l’homme de 48 ans à l’origine de la Wery Fighting Academy, le premier club de MMA en Alsace, créé en 2006 à Rosenau, dans le Haut-Rhin. Comme lui, responsables de clubs, combattants, entraîneurs et amateurs de cette discipline qui mêle, entre autres, boxe thaïlandaise, lutte, jiu-jitsu et judo, scrutaient depuis quasiment vingt ans un signe des autorités en faveur du MMA. Il faut dire que ce sport, qui permet coups de poings, pieds, coude, genou et coups au sol dans une cage octogonale, bouscule la conception française des sports de combat qui place hautes les valeurs éducatives et méprise le fait de frapper un homme au sol.

Développé au début des années 90 aux États-Unis, ce sport de combat extrême a été légalisé en Amérique du Nord au début des années 2000. En France, où il reste stigmatisé, le MMA n’est autorisé qu’à la pratique en loisir. Exit donc, toutes compétitions officielles. La légalisation du MMA dans l’Hexagone est un sujet récurrent que les ministres des Sports successifs ont tenté d’évacuer en s’appuyant sur une recommandation du Conseil de l’Europe d’avril 1999 qui invitait les gouvernements à « interdire et empêcher les combats libres tels que la lutte en cage ». En Alsace, des clubs n’ont pas attendu la récente annonce de la ministre pour contourner – légalement – l’interdiction d’organiser des combats en profitant de la proximité de l’Allemagne et de la Suisse, où les compétitions sont autorisées.

Le MMA permet coups de poings, pieds, coude, genou et coups au sol dans une cage en forme d’octogone (Photo : Simone Buchmüller / HFC)
Le MMA permet coups de poings, pieds, coude, genou et coups au sol dans une cage en forme d’octogone. (Photo : Simone Buchmüller / HFC)

Des combats à cinq minutes en voiture

Une situation particulière qui attire des amateurs de MMA de la France entière. Pour pouvoir combattre sans tomber dans l’illégalité, ils passent notamment par le HFC, Hard Fighting Championship, une société spécialisée dans l’organisation d’événements de MMA. Créée à Strasbourg en 2010 par Aziz Raguig, ancien champion du monde de Savate et de boxe anglaise, et Jean-Michel Foissard, l’organisation qui regroupe plus de 200 combattants est aujourd’hui basée… en Suisse. Au départ, les combats étaient organisés à Kehl. Puis Karlsruhe et Baden Baden. Aziz Raguig explique : 

« L’interdiction d’organiser des combats sur le sol français est un problème que l’on contourne. Maintenant, on travaille en partenariat avec le Casino de Bâle. Et toute la France vient chez nous : des personnes de Marseille ou de Lille passent par le HFC pour combattre. »

Un peu amer, il ajoute : 

« Mais comme le HFC est une société et pas une fédération, les récompenses que l’on remet aux combattants ne sont pas reconnues au niveau fédéral. Ce sont presque des “médailles en chocolat”… »

Dans le Haut-Rhin, Richard Wery confirme qu’aller à l’étranger pour combattre est très vite devenu « une habitude ». « La Suisse est à cinq minutes en voiture de chez nous, c’est un gros avantage », sourit-il.

Tous les deux mois, le HFC organise des événements de MMA au Casino de Bâle, en Suisse. (Vidéo YouTube)

Avant de lancer le club qui porte son nom, l’homme quatre fois ceinture noire (judo, combat complet, kombat sambo et sambo) raconte avoir pratiqué le MMA avec des amis pendant de longues années, de manière « un peu cachée ». Lorsqu’il donne son premier cours il y a treize ans, il se retrouve face à pas moins de 61 élèves. Signe de la popularité grandissante du MMA dans la région, son club compte à ce jour plus de 140 licenciés, dont cinquante enfants de 6 à 15 ans.

Le 18 mai, deux de ses élèves ont participé au HFC 19 où ils ont rencontré des combattants helvètes et allemands. « La compétition est depuis longtemps bien développée en Suisse et en Allemagne », considère cet ancien champion du monde de sambo et jiu-jitsu brésilien. « Il y a quinze jours, on était à Bienne, en Suisse. À une heure de route depuis Rosenau ».

En l'absence de fédération officielle, les récompenses gagnées par les combattants ne sont pas officiellement reconnues. (Photo : Simone Buchmüller / HFC)
En l’absence de fédération officielle de MMA, les récompenses gagnées par les combattants ne sont pas officiellement reconnues. (Photo : Simone Buchmüller / HFC)

« Moi, mon truc, ça serait vraiment de représenter la France en MMA »

Les allers et retours d’une rive du Rhin à une autre ne sont pas sans conséquences pour les combattants. Trésor Dos Santos en sait quelque chose. Originaire du quartier de Hautepierre à Strasbourg, le bonhomme d’1m76 qui combat dans la catégorie des moins de 84 kilos, a vite compris que s’il voulait progresser en MMA, il faudrait aller voir ailleurs.

Venu de la boxe thaï et de la boxe anglaise, l’homme de 34 ans, passé par le HFC et désormais professionnel, s’entraîne à Offenburg, en Allemagne. « Je t’arrête tout de suite : dans le MMA en Europe c’est pas parce-que tu combats en pro que tu vis de ça. » Il est ambulancier à son compte depuis deux ans. Un choix de vie pas évident qui implique aussi de sacrifier des moments en famille :

« Avec mon métier, je fais des heures de ouf. Je rentre chez moi, je prends mon sac et je vais directement à l’entraînement. Quand je prépare une compétition, je vais au club tous les jours. On est trois Français à s’entraîner là-bas, alors on se partage les frais pour les trajets. Ma famille, je ne la vois quasiment pas, mais elle me soutient clairement dans ma démarche. »

En 2010, Trésor Dos Santos était le premier Français à combattre à Kehl. (Photo : Trésor Dos Santos / Facebook)
En 2010, Trésor Dos Santos était le premier Français à combattre à Kehl. (Photo Trésor Dos Santos / Facebook)

Tout juste papa d’un petit garçon, il se rappelle la galère des débuts, sans sponsor, sans préparateur physique, sans public. La plus grosse prime qu’il a touché pour un combat se chiffre à 1 300 euros. Peu cher payés les coups pris pour un sport-spectacle où le prix du billet varie en moyenne de 30 à 160 euros. Aujourd’hui, le Strasbourgeois milite clairement pour la légalisation du MMA en France :

« Ça éviterait d’aller au fin fond de l’Europe pour combattre ! Moi, mon truc, ça serait vraiment de représenter mon pays en MMA, représenter la France. Le MMA m’a permis de mieux me connaître, ça m’a ouvert l’esprit. Je communique beaucoup plus avec les gens, parce-qu’à la base, je suis quelqu’un d’assez renfermé. Ça m’a stabilisé. »

« Il ne faut plus que ça soit un sport ghettoïsé »

D’autres, comme Rachid Chernane, ont carrément plié bagages pour le Canada. Là-bas, le spécialiste de judo et jiu-jitsu originaire de Mulhouse s’est entraîné dès 2008 avec des combattants de l’ultra-puissante organisation nord-américaine Ultimate Fighting Championship, l’UFC. Trois lettres synonymes de Saint-Graal dans le milieu du MMA. L’Alsacien de 37 ans, aujourd’hui formateur pour l’armée aux Émirats Arabes Unis, a pu comparer avec la France :

« J’ai vu la révolution du MMA depuis le Canada. Quand je rentrais en France, il n’y avait toujours pas de clubs, pas d’entraîneurs. On est toujours trop lent en France, c’est pour ça que je suis parti. Je combats à l’international, c’est mieux payé, mieux organisé. J’ai beaucoup appris de ces années au Canada : le professionnalisme mais aussi le show business autour de ce sport… Le MMA est trop risqué comme pari pour en vivre ».

Parti au Canada en 2008, Rachid Chernane a côtoyé la prestigieuse UFC.
Parti au Canada en 2008, Rachid Chernane a côtoyé la prestigieuse UFC.

En plus des difficultés pour les pratiquants de vivre du MMA, ils doivent aussi composer avec les clichés sur leur discipline. Rachid Chernane a clairement vu la différence : « Au Canada, on sortait du club et des gens nous demandaient des photos, des autographes, dans les restos, partout. Alors qu’en France, on était vus comme des brutes ». Lui aussi se dit favorable à la légalisation du MMA :

« Ça serait une bonne chose. Je ne pense pas que le MMA va vider les clubs d’arts martiaux traditionnels. Au contraire, moi ça m’a ouvert à tous les sports de combats. J’ai vu les limites de ce sport en France et surtout en Alsace. Il ne faut plus que le MMA soit ghettoïsé, mais soit considéré comme une vraie discipline, et pour aboutir à ça, la formation d’entraîneur est la clé du succès. »

Un long combat vers la reconnaissance

En France, on estime entre 25 000 et 40 000 le nombre de pratiquants de MMA. En l’absence d’une fédération officielle, la discipline est affaiblie par l’éclatement des différentes organisations aux quatre coins du pays. Autre conséquence : l’absence totale de diplômes officiels d’entraîneurs et les risques de déviances que cela peut comporter. Richar Wery pressent :

« Pleins de clubs émergent de partout avec des gens pas toujours qualifiés pour enseigner. Pour l’instant, rien n’est réglementé. Cette histoire de légalisation va être importante pour l’image de ce sport à part entière ».

À Strasbourg, Aziz Raguig, très investi dans la reconnaissance du MMA en France, a longtemps milité pour faire évoluer le droit. Il y a neuf ans, il avait rédigé une tribune favorable à la légalisation de la discipline et était allé jusqu’à prendre contact avec un cabinet d’avocats. « J’avais fait un travail énorme, mais à force de coups d’épée dans l’eau, j’ai laissé tomber », se souvient-il.

La plus grosse prime de combat qu'a touché Trésor Dos Santos (ici de dos) s'élève à 1.300 euros. (Photo : Trésor Dos Santos / Facebook)
La plus grosse prime de combat qu’a touché Trésor Dos Santos (ici de dos) s’élève à 1.300 euros. (Photo : Trésor Dos Santos / Facebook)

Le Strasbourgeois avait même interpellé Jean-Philippe Maurer, député (LR) du Bas-Rhin de 2007 à 2012. Lui-même adepte de cardio-boxe, l’élu de la Meinau, qui s’est lancé en janvier dans la bataille des municipales de 2020, explique être un amateur de MMA depuis une dizaine d’années. En 2010, il avait écrit une lettre à Chantal Jouanno, alors ministre des Sports, pour lui demander de reconsidérer l’interdiction de la discipline. Championne de France de karaté kata par équipe, la ministre avait refusé à l’époque de légaliser ce qu’elle estimait être des « combats de chiens ou de coqs ». Jean-Philippe Maurer retient surtout que son courrier était resté sans réponse :

« J’évoquais notamment les “freins culturels” qui, selon moi, empêchent la légalisation du MMA en France. Ces freins viennent, d’une part, du public qui ne connaît pas le MMA et qui peut trouver ça assez trivial, très brutal. Un autre frein culturel est aussi de penser que c’est une discipline anglo-saxonne qui n’a pas sa place en France. Le MMA est un sport qui comporte des règles (elles sont à retrouver ici, ndlr), un sport très exigeant, réservé à des gens extrêmement bien entraînés. Ceux qui entrent dans l’octogone, qui combattent, sont les meilleurs : on n’envoie pas les gens à l’abattage ! »

Jean-Philippe Maurer indique qu’il trouve « courageuse » la proposition de la ministre des Sports. « Elle ne va pas se faire que des amis », glisse-t-il. Mardi 28 mai, lors de la séance des questions au gouvernement, Roxana Maracineanu a confirmé sa volonté de légaliser le MMA. La ministre a également annoncé le lancement, fin juin, d’un appel à manifestations d’intérêts pour qu’une fédération de sport de combat déjà structurée puisse prendre en charge le MMA. Richard Wery pointe le risque d’une mise sous tutelle :

« Je trouve ça dommage, parce-que les autres fédérations de sports de combats n’ont pas forcément la bonne connaissance du MMA. Mais si dans un premier temps il faut en passer par là… L’important c’est d’être reconnu. »


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