Plus de 1 000€ à payer, après avoir déjà avancé plus de 2 000€, c’est le genre de rappels de charges qu’ont reçu des locataires du bailleur social Alsace Habitat. Pour une partie de ses 17 000 locataires, souvent âgées ou handicapées, ces montants sont incompatibles avec leurs revenus. Désemparés, ils se sont organisés fin janvier en deux collectifs.
Miloud Bellahcene est l’animateur du premier collectif (voir sur Facebook). Il détaille sa démarche :
« J’ai grandi dans le Vieux-Schillick. Quand les habitants ont reçu ces rappels de charges, j’ai reçu beaucoup d’appels à l’aide. J’ai été élu représentant des locataires, les gens me connaissent. J’ai fait le tour de quelques résidences, rue d’Adelshoffen, rue de la Moselle… J’ai recueilli 150 signatures sur une pétition demandant de l’aide à Alsace Habitat. »
Soutenu par Raphaël Rodrigues, un opposant historique du conseil municipal de Schiltigheim, Miloud Bellahcene espère obtenir des remises pour les locataires et la transparence des comptes :
« On va demander qu’Alsace Habitat publie les comptes des charges, afin qu’on puisse vérifier ce qui a augmenté, dans quelles proportions et pourquoi. J’ai recueilli des témoignages de personnes à la retraite, qui sont retournées au pays pendant des mois, donc sans chauffer leur logement. Pourtant, ils se retrouvent avec les mêmes montants que s’ils avaient été constamment présents. »
Cette démarche a déjà permis d’obtenir d’Alsace Habitat un « fonds de soutien » de 430 000€, annoncé dans un article des DNA, pour aider 2 500 locataires sur les 17 000 que compte le bailleur du Département. Une avancée qui s’est traduite par une remise de 100€ à 500€ pour certains locataires, qualifiée de « miettes » par Miloud Bellahcene, qui estime que l’ampleur du problème n’a pas été prise en compte par le bailleur.
Deux collectifs et des associations
Le second collectif d’habitants en colère (voir sur Facebook) se méfie des liens politiques de la structure de Miloud Bellahcene. Ses deux fondatrices craignent « une récupération du mouvement » pour des enjeux municipaux, alors qu’Alsace Habitat est présent sur l’ensemble de la région alsacienne et que les problèmes dénoncés vont bien au-delà de Schiltigheim. Olivia Puits-Marchal, animatrice de ce collectif, prévoit de constituer une association de locataires, puis envisage un rendez-vous avec le président d’Alsace Habitat, Étienne Wolf, une action en justice, des alertes dans les médias…
Membre de ce collectif, Emily témoigne :
« En 2022, nous vivions à trois dans un appartement de 77 m², rue de Sarrebourg. Les charges pour l’année se sont élevées à 3 239€, dont près de 800€ d’électricité pour éclairer les espaces communs ! Quand j’ai appelé (à 62 reprises en deux mois) pour avoir des explications sur cette hausse de 1 000€ par rapport à l’an dernier, je n’ai eu aucune réponse. Et quand je me suis déplacé à l’agence de Bischheim, j’ai reçu un accueil glacial. »
Assistante de direction, Emily est particulièrement méthodique : elle a archivé ses relevés de charges, comparé les postes avec l’année précédente, envoyé des courriers recommandés… « Je ne paierai pas avant d’avoir pu vérifier ces montants à partir des justificatifs d’Alsace Habitat », affirme-t-elle, déterminée.
Alsace Habitat s’estime impuissant
Contactée, la direction d’Alsace Habitat reconnaît « un problème en cours d’investigation avec Électricité de Strasbourg » à l’adresse d’Emily. Mais c’est le seul cas identifié, selon Freddy Zimmermann, responsable de la communication :
« Oui les charges ont augmenté, mais c’est à cause du coût de l’énergie qui a été multiplié par quatre ou cinq selon les cas ! C’est pareil partout, chez tous les bailleurs sociaux et privés ! Alors on se démène, on fait ce qu’on peut… On a bien reçu la pétition, on a invité les responsables à échanger, pas de réponse à ce jour. Et je note que sur 17 000 locataires, il y en a 15 000 qui ne se plaignent pas. »
Alsace Habitat déclare que son compte de charges, pour l’ensemble de son parc, est passé de 21 millions d’euros en 2021 à 24 millions d’euros en 2022, soit une hausse de 14%. Les locataires font cependant état d’augmentations de 50% voire 60%… Comme cet habitant d’un trois pièces de 70 m² rue de Normandie dans le Marais à Schiltigheim et qui doit payer 2 300€ de charges, ou Coralie, habitante d’un trois pièces de 75 m² rue d’Auvergne, également dans le Marais, qui voit ses charges atteindre 2 741€ (+56%).
« Et encore, il n’y a pas d’ascenseur et l’eau chaude n’est pas comprise dans ces charges ! Je n’en peux plus, je cherche dans le privé. Lorsqu’on a fait le ménage des communs avec un voisin, ils nous ont quand même compté les frais de personnel ! »
Coralie, locataire d’Alsace Habitat
Le patient travail des associations d’habitants
Face à ces alertes et à ces initiatives spontanées, les associations de locataires essaient de structurer les plaintes. La Confédération syndicale des familles (CSF), qui dispose d’un siège au conseil d’administration d’Alsace Habitat, a organisé une série de réunions publiques en janvier et en février. Grégoire Ballast, en charge de l’habitat pour l’association, détaille :
« On aide les habitants à comprendre leurs décomptes, vérifier que des dépenses n’ont pas été mises avec les charges récupérables du bailleur, que le mode de répartition est bien équitable, etc. On accompagne les locataires individuellement, mais en répercutant les demandes de manière collective auprès d’Alsace Habitat. »
Vérification des factures de gaz, d’électricité, du bouclier tarifaire, des prestations d’entretien… Un travail administratif et financier très lourd que la CSF déclare réaliser en soutien à des familles souvent désemparées :
« Les décomptes ont été envoyés fin novembre et décembre. Puis en janvier, les loyers ont été revalorisés avec des acomptes de charges également rehaussés. Pour les locataires, dont beaucoup n’ont pas d’aide au logement, les sommes sont devenues très importantes et le total mensuel se rapproche de ceux du parc privé. »
Grégoire Ballast estime qu’Alsace Habitat a manqué à son devoir d’information des locataires, notamment en ne répondant pas à leurs sollicitations :
« Le numéro d’appel a été saturé et de très nombreux locataires se sont retrouvés sans explication ni proposition de la part d’Alsace Habitat. C’est en partie ce qui explique ces mouvements spontanés. Le bailleur, et son actionnaire la Collectivité d’Alsace, doivent prendre la mesure du problème. »
La CSF espère obtenir les justificatifs demandés de la part d’Alsace Habitat. Lorsqu’elle détecte des anomalies, la structure prévoit d’instruire ces dossiers auprès de la commission départementale de conciliation, une instance de la préfecture, où des solutions peuvent être trouvées avant des suites judiciaires.
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