« La protection de l’enfance est notre première priorité. » C’est sur ces mots que Frédéric Bierry (LR), président de la Collectivité européenne d’Alsace (CeA) introduit les Assises alsaciennes de la protection de l’enfance vendredi 6 octobre. Mais les 1 100 travailleurs sociaux présents dés 9h du matin au Palais de la musique et des congrès n’ont la chance d’entendre l’élu que grâce à une vidéo diffusée sur grand écran : Frédéric Bierry est à Toulouse pour le Congrès national des sapeurs-pompiers de France.
Le président de la CeA assure que le budget pour la protection de l’enfance est de 317 millions d’euros en 2023. « C’est un effort sans précédent, une hausse de 100 millions d’euros du budget en sept ans », glisse Paul Geoffroy, le directeur général adjoint des solidarités de la CeA. Malgré cette hausse, Nicolas Matt, vice-président de la CeA en charge, notamment, de la protection de l’enfance, affirme que 200 mesures de placement ne sont pas effectuées.
Pas assez de familles d’accueil
Cela signifie que 200 enfants ne sont pas placés dans une famille d’accueil, un foyer ou suivis par un professionnel à leur domicile, malgré la décision d’un juge qui les considère « en danger ». En tout, en 2022, un peu plus de 4 000 mineurs étaient suivis par l’aide sociale à l’enfance en Alsace.
Rue89 Strasbourg a publié plusieurs enquêtes sur le sous-effectif et le manque de moyens dans le secteur de la protection de l’enfance en Alsace, avec notamment le suicide d’une adolescente et de son éducateur de l’Arsea en mars 2021. Des travailleurs sociaux ont manifesté à plusieurs reprises à Strasbourg en 2021 et 2022. Ces mobilisations commencent à avoir de l’impact.
En mai 2022, 300 mesures de placement n’étaient pas effectuées. « On a diminué d’un tiers ces placements non-effectués. L’objectif est de faire mieux, évidemment », concède Nicolas Matt.
Ludovic Marechal, directeur de l’aide sociale à l’enfance de la CeA, détaille les difficultés rencontrées :
« En 2022, on prévoyait de créer 208 places. On a pu en créer seulement 122. En 2023, 137 créations de places étaient prévues, on en aura que 77. Cela fait tout de même 200 places créées. On a du mal à recruter des assistants familiaux (familles d’accueil, NDLR). On a même perdu 113 places chez des assistants familiaux en 2022. On en aura aussi perdu en 2023 mais moins. Ils partent à la retraite.
Pourtant on a augmenté leurs salaires au-dessus de la rémunération réglementaire (un peu plus de 2 000 euros brut minimum, par mois, pour deux enfants accueillis, NDLR). En Alsace, une assistante familiale qui a deux enfants à charge, c’est la moyenne, gagne 2 554 euros brut. »
Ludivine Quintallet, élue écologiste d’opposition au département, regrette que l’exécutif de la CeA n’interpelle pas davantage le gouvernement pour obtenir une meilleure rémunération des travailleurs sociaux :
« Certaines professions du travail social ont été oubliées de la prime Segur (183 euros net par mois, NDLR). Le manque d’attractivité des métiers du social est l’une des causes de la tension dans la protection de l’enfance. »
La prévention plutôt que le placement en foyer
La majorité des placements créés sont des mesures en milieu ouvert : des dispositifs de suivi des enfants par des travailleurs sociaux chez les familles. Ludovic Marechal explique qu’elles sont plus faciles à mettre en œuvre et souvent plus adaptées aux situations. Lors des différentes tables rondes organisées pour les Assises de la protection de l’enfance, les intervenants s’accordent sur le fait que le placement dans un foyer peut être traumatisant pour un enfant. Selon eux, le plus important est de mettre en œuvre des politiques de prévention pour éviter d’aller jusqu’au placement.
Au micro, Marie Schumpp, directrice santé, prévention et protection maternelle et infantile à la CeA indique que le nombre d’entretiens prénataux, entre des futures mères et des travailleurs sociaux, a été « multiplié par cinq » en 2023. Des actions plus simples que la création de places dans des structures d’hébergement. Mais ces dernières restent parfois nécessaires, quand le mineur est trop en danger chez lui.
Il est « difficile de trouver du foncier pour construire » selon le directeur de l’aide sociale à l’enfance Ludovic Marechal :
« On voulait ouvrir une maison d’accueil de 30 places à Colmar en 2023, mais ça sera pour septembre 2024 finalement. En plus, on a des contraintes réglementaires qui se sont ajoutées suite à l’incendie de Wintzenheim (d’un établissement d’accueil de séjour de vacances adaptées pour personnes en situation de handicap cet été, NDLR). On compte aussi créer un foyer de l’enfance de 30 places à Mulhouse mais cela va prendre plusieurs années. »
« On a retrouvé de meilleures conditions de travail »
Anne Geiger, du collectif Protection de l’enfance Alsace en lutte, est éducatrice au service d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) de l’Aresa. Elle réalise des suivis d’enfants chez leur famille suite à une décision d’un juge.
La travailleuse sociale confirme des améliorations suite à trois manifestations de son collectif et des échanges avec la direction de l’aide sociale à l’enfance :
« On a obtenu la création d’une nouvelle équipe : 6 à 7 postes supplémentaires de travailleurs sociaux, un poste de psychologue et un poste de chef de service. En 2022, on était souvent à plus de 30 enfants suivis par éducateur. Maintenant, on est à 27 mineurs pris en charge par travailleuse sociale. On a retrouvé de meilleures conditions de travail. »
Selon Nicolas Matt, la CeA prévoit de créer 130 mesures de placement supplémentaires en 2024. Un chiffre qui peut encore changer car le budget 2024 sera voté en décembre. Et qui risque de ne pas résoudre le problème des mesures de placement non effectuées, vu la diminution du nombre d’assistants familiaux.
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