Alita : Battle Angel fait partie de ces films adaptés d’animés japonais dont la route jusqu’aux écrans de cinéma fut longue, très longue. On sait Hollywood friand de mangas et d’animation japonaise : Guillermo Del Toro est un admirateur du maître de l’horreur Junji Ito et Leonardo Dicaprio promet depuis une quinzaine d’années de produire un film live Akira.
Pourtant alléchantes, les annonces de tels projets hérissent systématiquement le poil des puristes alors que ces prises de risques sont monnaie courante au Japon. On pense à Takeshi Miike, réalisateur prolifique et inégal dans son travail, qui se frotte à des licences comme Ace Attorney ou Jojo’s Bizarre Adventure. Mais en Occident, cette méfiance est méritée : l’ineffable Dragon Ball Evolution est l’exemple archétypal de l’incompréhension dont feraient preuve les vils américains à l’égard des œuvres originales.
En vérité, ce qui est lost in translation (par exemple, la spiritualité du premier Ghost in the Shell, emplie de shintoïsme dans l’animation de Mamoru Oshii) devient une réactualisation d’enjeux occidentaux (une Robocop incarnée par Scarlett Johansson en quête d’identité chez Rupert Sanders) qui peut véritablement donner une saveur inédite à une adaptation.
Tiré du manga Gunnm, œuvre cyberpunk phare de Yukito Kishiro dans les 90s, Alita : Battle Angel est effectivement couvé depuis 2003 par James Cameron (Terminator, Aliens, Titanic). Préoccupé par Avatar (il y a dix ans – déjà !) et ses suites à venir, il relègue finalement la réalisation à Robert Rodriguez, réalisateur atypique à qui l’on doit Sin City, la trilogie Spy Kids ou le culte Une Nuit en Enfer.
Au XVIème siècle, le docteur Dyson Ido (Christoph Waltz) est un chirurgien de renom à Iron City, où règne la loi du plus fort et où les habitants sont tous affublés de prothèses cybernétiques. La cité flottante de Zalem, forteresse des nantis qui ont pu échapper à l’Effondrement, catastrophe qui engloutissait l’humanité trois siècles plus tôt, déverse continuellement des déchets métalliques sur Iron City. Dans sa récolte habituelle de pièces détachées, le docteur Ido tombe sur un buste de cyborg en piteux état qu’il compte réparer. Alita (Rosa Salazar) renaît dans un corps de jeune adolescente, confectionné par son nouveau père, et s’apprête à découvrir un monde en ruines avec les (grands) yeux d’une enfant qui doit trouver sa place.
Prouesse technique et amour de la machine
Après ce petit détour concernant l’origine du film, évacuons d’emblée l’embarras de savoir si la fidélité à l’œuvre est au rendez-vous : je ne connaissais Gunnm que de nom avant de voir Alita et, pour être franc, c’est surtout ce choix audacieux d’affubler l’héroïne d’une paire de grands yeux typiques des animés qui m’a incité à aller au cinéma. C’est le risque certain de trahir des moments de faiblesse dans l’animation numérique et d’entrer dans la vallée de l’étrange (uncanny valley). Ce paradoxe stipule que plus un objet animé ressemble à un humain sans en être un, moins nous sommes à l’aise en sa présence : zombies, automates…
En somme, Alita aurait pu tomber dans le piège de devenir absolument terrifiante à cause d’erreurs d’animation mêmes légères qui trahiraient son artificialité. Cette crainte ne se réalise jamais. La force du film est le jeu d’actrice de Rosa Salazar et son vernis numérique, faisant d’Alita une héroïne adorable et redoutable. Plus les yeux sont gros, mieux ça marche : l’expressivité du personnage est grandiose et on en vient à se demander pourquoi Hollywood n’y a pas pensé plus tôt.
Cette tendance à mélanger la prise de vue réelle et l’animation numérique n’est pas nouvelle, Ghost in the Shell de Rupert Sanders dotait déjà Scarlett Johansson d’un corps augmenté. C’est le propre des acteurs et actrices que de transformer leur corps, de le travailler, de le présenter au nom de la mise en scène mais, miracle du cinéma contemporain, les machines peuvent désormais prendre cette charge. Cette complémentarité – refusons de parler de paradoxe – entre l’art dramatique et la technique démiurge était déjà au cœur d’Avatar, réalisé par James Cameron. Si les deux protagonistes, l’un humain et l’autre alien motion-capturé, représentaient déjà cette liaison pacifiée et enthousiaste, Alita synthétise cette question en un seul corps.
Des boulons et des jeux
Postulat en apparence éculé, les premiers pas d’un cyborg tout frais et la découverte de son environnement pourrait lasser si ce monde n’avait pas la richesse visuelle d’Iron City. Si les spectateurs n’ont que du post-apocalyptique à souper depuis des années, les couleurs chaudes et le fourmillement de détails font de cette décharge terne une véritable cité, dernier bastion d’une humanité dans toute sa diversité.
Très vite, Alita rencontre Hugo, un scraper, qui collecte et revend des pièces mécaniques et qui va notamment l’introduire au monde du motorball, courses ultra-violentes de roller dans des stades noirs de monde. Opium d’un peuple dominé par Zalem, dont l’accès est promis au champion, le motorball est au cœur du récit. En effet, Alita montre des prédispositions naturelles époustouflantes qui en font rapidement une féroce concurrente à un bestiaire mécanique de cyborgs augmentés spécialement pour l’occasion. Les scènes de course, spectaculaires, restent lisibles grâce à une mise en scène efficace qui suit Alita de près, dans des accélérations vertigineuses.
Ainsi les habitants d’Iron City sont-ils tous liés, de près ou de loin, à ce sport extrême. Des criminels orchestrent l’arrachage de membres de cyborgs pour les revendre au marché noir. Dans cette décharge anarchique, seuls quelques chasseurs de primes traquent ces cyber-receleurs. Alita : Battle Angel, bien que blockbuster à plus de 200 millions de dollars, ne lésine pas à montrer des corps se faire fracasser dans des explosions jouissives de boulons et de vis. Cette violence, bien qu’atténuée par la nature mécanique des personnages, donne au film un rythme et un souffle qui aurait très certainement rendu le résultat moins savoureux sans elle. Alita est certes douée sur des rollers mais bon sang, qu’est-ce qu’elle tabasse bien.
Cette prodige du combat gagnera en talent au fil du récit, à mesure que sa mystérieuse vie antérieure lui reviendra à l’esprit. Les chorégraphies sont impeccables, le style de combat est excentrique et le formalisme de Robert Rodriguez sied parfaitement à une action typée animé japonais, avec ce qu’il faut d’exagération dans les corps qui se tordent et les poses propres à l’immobilité du format papier. Derrière l’ange, la brute hurlante capable d’éviscérer ses adversaires dans une révolte adolescente qu’elle va apprendre à fonder fait décidément d’Alita une des héroïnes-guerrières de SF marquantes de ces dernières années.
La guerrière ingénue
La candeur d’Alita est le principal attrait du film. Le regard innocent qu’elle porte sur le monde réenchante les décombres et on s’éprend du destin de la jeune cyborg. Seulement, le film avance en funambule sur cette corde tendue qui sépare le cliché du trope, à savoir celui de la rencontre d’une jeune femme ingénue, sauvage, et d’une civilisation en crise. Ce stéréotype, qu’on retrouve trop souvent comme l’expression salvatrice de la femme virginale qui vient absoudre les péchés du masculin, se manifeste malheureusement dans la romance entre Alita et Hugo.
Cette relation donne lieu à quelques séquences touchantes mais ça ne suffit pas : que s’est-il passé pour qu’un acteur sorti d’un téléfilm Disney Channel se mette à jouer un loubard au cœur tendre ? Ce jeune homme est tout le temps propre sur lui (alors qu’il a littéralement les mains dans le cambouis) et le développement de son arc narratif se finit en queue de poisson, comme si les scénaristes devaient improviser en plein tournage. Difficile de faire plus antipathique et creux que ce personnage qui est pourtant pétri d’un paradoxe intéressant dont je laisse la surprise intacte. Sans doute Cameron et Rodriguez ont-ils cru bon de mettre en scène un énième garçon adolescent à sauver, comme pour conforter les spectateurs ingrats et immatures : un jour, une waifu viendra prendre leur cœur sans émettre de résistance…
Au-delà de ce seul gâchis, compromis hollywoodien dont on peine à passer par dessus, le film offre généreusement ce qu’il promettait : un spectacle haletant, enrobant l’histoire d’une adolescente cybernétique. Préoccupation monomaniaque dans l’écriture américaine des récits de robots, la question de l’identité est balayée d’un revers de main : show, don’t tell. Alita court, ressent et tremble ; c’est par le toucher et l’exploration qu’elle trouvera sa place entre pré-détermination et conquête de son destin. La fin du film, abrupte, promet une suite à la tonalité différente. Il n’y a plus qu’à espérer un second film à la hauteur de ce pari franchement remporté.
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