En le voyant blaguer avec ses potes du club de natation et faire des pitreries au bord du bassin de la piscine de Schiltigheim, on se dit : « Voilà un plongeur du dimanche. » Mais quand il monte au 10 mètres et fait tranquillement son enchaînement (saut périlleux et demi arrière, vrille et demie), on comprend qu’on s’est bien mis le doigt dans l’œil.
Car Alain Lobet est un professionnel du « high dive », le plongeon de haut vol. Une discipline dans laquelle on s’élance de 20 mètres, voire plus. Et grâce à laquelle il est devenu artiste professionnel.
Champion de France junior en 1985
Mais son tout premier plongeon, c’est sur une aire de jeu la Cité Nucléaire de Cronenbourg qu’il l’a fait. « À trois ans, je suis tombé du haut d’un toboggan, tête la première. De trois mètres, mais dans le sable heureusement. » Une expérience qui ne l’a pas dégoûté des acrobaties.
Adolescent, il pratique la gymnastique, avant de découvrir le plongeon, le vrai, à 14 ans, à la piscine de Schilick.
Rémy Hammer, son entraîneur de toujours, se souvient :
« La première chose que je lui ai dite c’est : “Va chez le coiffeur !” Il avait une mèche sur l’œil gauche qui l’empêchait de voir. Mais lui et ses copains étaient assez motivés pour venir à pied depuis Cronenbourg. Et Alain avait les dispositions physiques. Et l’intelligence. »
Un cocktail qui, ajouté au travail, permet à l’adolescent de progresser très vite. L’ambiance détendue que fait régner Rémy Hammer à l’entraînement convient à merveille à son tempérament. Il progresse jusqu’à devenir vice-champion de France junior de plongeon à 10 mètres, en 1985.
Le goût du spectacle
Alain aime la compétition, mais il aime encore plus les réactions du public lors des meetings que le club organise. De vrais spectacles.
« On ajoutait toujours aux démonstrations un côté comique, clown, qui attirait des quantités de gens. La fédération n’appréciait pas trop ça, mais on s’en fichait, c’était notre état d’esprit. Moi, les rires et les applaudissements, ça m’enthousiasmait. »
Alain Lobet
Alors à l’été 1986, quand un ami lui propose de rejoindre sa troupe de spectacles nautiques pour une tournée d’été en Suisse, il accepte sans hésiter.
« Et je n’ai plus arrêté ensuite. J’ai laissé tomber l’école et je me suis lancé à fond. Je ne le regrette pas. Le plongeon m’a permis de vivre de ma passion en parcourant le monde. »
Alain Lobet
Toute première fois
Mais il a d’abord fallu qu’Alain passe du 10 mètres, plus haut plongeoir en piscine, au 25 mètres utilisé dans les spectacles de haut vol. L’équivalent d’un 8e étage.
« La première fois, c’était en décembre 1990, sur le parking d’un supermarché de Bordeaux. Je me le rappelle comme si c’était hier. Double salto avant et demi-vrille. Il était parfait ! Et quel pied ! Je crois que je n’en ai plus connu de meilleur depuis. »
Alain Lobet
Ensuite, changement de décor, Alain écume les plus grands parcs d’attractions au sein de différents groupes de plongeurs. En France, en Allemagne, en Italie, en Chine, à Hong-Kong, en Afrique du Sud, au Canada. Il devient un habitué des festivals d’Oman, de Riyad et de Dammam en Arabie saoudite. Et il fait le circuit des foires géantes du Midwest américain.
Comme celle du comté de Norfolk (Canada) où a été filmée cette vidéo :
« Tu sens le shoot d’adrénaline »
À chaque fois c’est le même principe : une tour métallique de 25 mètres, une plate-forme de 20 centimètres sur 20, et un bassin circulaire de 8 mètres de diamètre pour 3 mètres de profondeur. C’est moins qu’en piscine. Bien sûr, les pieds entrent en premier dans l’eau.
« Quand tu commences à monter, tu sais que la seule façon de redescendre, c’est de plonger. Arrivé tout en haut, tu entends le public qui retient son souffle. Tu es dans ta bulle de concentration. Tu plonges, et tu sens le shoot d’adrénaline. Mais dans les airs tu dois encore te concentrer. Sur ton élégance et sur la précision du geste pour ne pas te blesser en pénétrant dans l’eau. Et quand tu remontes à la surface, tu entends les acclamations. C’est grisant ! On ne peut pas s’en lasser ! »
Alain Lobet
Pourtant, une fois il n’a pas sauté. Et il s’en rappelle encore :
« Je débutais. En haut, le vent soufflait très fort, alors j’ai eu peur. J’ai désescaladé la tour. Et je me suis fait huer, mais huer ! Je me suis dit “plus jamais !” Maintenant le vent ne me fait plus peur. Je trouve même qu’il pimente le show. »
Faire le show, Alain aime ça ! C’est pour ça qu’à sa palette, il a ajouté d’autres disciplines : jongleur, clown, magicien, cracheur de feu, sculpteur de ballons, il fait aussi des échasses, du monocycle, du trampoline, du trampo-mur, du fly-board, de la roue Cyr, etc.
Des talents qu’il met à profit depuis 18 saisons au Canada’s Wonderland, près de Toronto. C’est d’ailleurs à ces séjours qu’il doit le surprenant accent qui le fait souvent passer pour un Québecois.
C’est aussi dans ce parc, en 2017, qu’Alain a connu la plus grosse frayeur de sa carrière. Dans un cadre qu’il connaissait pourtant parfaitement :
« Au Wonderland, on plonge d’une cascade artificielle dans un petit lac. Ce jour-là, il venait d’être rempli après vidange. Ce qu’on ne pouvait pas voir, à cause des remous, c’est qu’il manquait 20 centimètres d’eau. Ça semble peu, mais quand tu plonges de 25 mètres, ça fait une sacrée différence ! Mon talon a frappé le fond. La douleur ! Et la peur ! Un ami avait eu le sien fracturé en plusieurs endroits avec le même type d’accident… Finalement je n’avais rien de cassé, mais j’ai souffert en marchant pendant deux ans. »
Acapulco, Hawaï, Monaco…
Le high dive a aussi permis à Alain Lobet de plonger dans des rivières, des lacs, des fleuves, et presque toutes les mers du globe, au milieu des paysages les plus somptueux. À commencer par LE spot des plongeurs de haut vol :
« Acapulco ! Mythique. On avait eu l’autorisation exceptionnelle des plongeurs locaux. C’est superbe. Et très technique. Déjà, la falaise est inclinée en arrière, alors il faut donner une sacrée poussée pour ne pas s’écraser dessus. Et puis il faut attendre la vague qui va amener une hauteur d’eau suffisante dans la crique et plonger pile au moment où elle atteint un certain repère sur un rocher particulier. Si on ne t’explique pas, c’est extrêmement dangereux. »
Autre temps fort de la carrière d’Alain : le Red Bull Cliff Diving, une tournée en eaux libres à laquelle participent les meilleurs spécialistes du monde. Il a participé aux éditions 1999 et 2000.
« J’ai plongé à Rome, à Monaco, à Brontallo en Suisse, à Dubrovnik en Croatie, à Hawaii… On sautait d’au moins 25, 28 mètres au maximum. Du moins en théorie. Une fois, on s’est rendu compte qu’on était à 30 mètres. On a tout de même plongé. On a senti passer l’entrée dans l’eau ! C’était vraiment limite. »
Montrer ses fesses au prince
C’est aussi avec le Red Bull Cliff Diving que le Strasbourgeois a frôlé le drame :
« Pour un film promotionnel en Méditerranée, on longeait les côtes en catamaran, à la recherche de spots inédits. Près d’Amalfi, j’étais en équilibre sur les mains pour plonger de la falaise (ma figure préférée), quand un pote m’a saisi à bras le corps. En dessous il y avait un rocher que je n’avais pas vu. J’ai plongé d’un peu plus loin, en poussant fort sur les jambes, mais l’entrée dans l’eau a été violente pour le bas de mon dos. J’étais bien marqué. »
Cet épisode sera aussi l’occasion d’une anecdote qu’il aime raconter : quelques jours après l’incident, les plongeurs arrivent à Monaco, où ils sont présentés au prince Albert.
« Nous sympathisons en bavardant de sport. Je lui raconte le fameux plongeon. Et je descends mon maillot pour lui faire voir les ecchymoses. Mes potes n’en revenaient pas ! Tout le monde ne peut pas se vanter d’avoir montré ses fesses à un chef d’État. »
Alain Lobet
Les risques du métier
Pour pratiquer le high dive, il ne faut ni être douillet, ni avoir peur des bleus ou des bosses. Les cervicales et le sacrum sont régulièrement endoloris. Quand on demande à Alain si le plongeon de haut vol est une discipline de casse-cou, il est formel :
« On doit être d’autant plus prudents que, vu la hauteur, le risque est important. Il faut se tenir en forme et ne pas se laisser endormir par la routine. Il n’y a pas d’accident mortel mais j’ai vu des accidents graves : un de mes amis s’est explosé le coccyx, un autre s’est retrouvé avec une jambe dans le dos, déboîtée. Moi je me suis juste cassé un genou. J’ai passé deux semaines dans le coma, mais c’était suite à un accident de skate-board ! »
Transmettre
Chaque année, Alain Lobet revient hiverner à Strasbourg. Il retrouve Rémy Hammer et les plongeurs du club, toujours prêt à leur donner des tuyaux. Comme à Charlotte, qui a commencé à plonger en spectacle il y a quelques mois :
« Alain, c’est un exemple. Quand on fait du plongeon comique, on a tendance à oublier la sécurité. Mais avec lui, c’est toujours safe. Et il est heureux de partager son expérience. En toute modestie. »
Cette générosité dans la transmission de ses savoirs-faire, Alain ne l’a pas que pour le plongeon. Par exemple, depuis quelques mois, il s’implique auprès des jeunes du Cirk&Toile de Molsheim. Mais en cette période de crise sanitaire du Covid-19, Alain piaffe d’impatience dans son appartement du centre de Strasbourg en attendant la réouverture des parcs :
« J’aurais préféré être confiné à la piscine ! L’eau me manque ! À défaut, je sors courir, je fais de abdos et d’autres exercices pour préparer la saison. Je devais plonger tout le mois de juin dans l’Ohio et enchaîner au Wonderland jusqu’à Halloween, mais l’Ohio vient d’annuler à cause du virus. Je croise les doigts pour la suite ! »
Champion du monde
Quand on lui demande combien de temps encore il compte faire du haut vol, Alain arbore son sourire d’ado :
« Le plus longtemps possible. Tant que mon corps me le permettra. Parce que je ne suis pas près d’être blasé. Plonger me donne toujours autant de plaisir. Et quand je ne pourrai plus faire de high dive, je reviendrai plonger en compétition. »
En 2004 Alain Lobet a remporté le titre de champion du monde senior de plongeon à 10 mètres. Son palmarès n’en est peut-être qu’à ses débuts.
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