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Alain Declercq, artiste en équilibre à la frontière des secrets d’État

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Alain Declercq, artiste en équilibre à la frontière des secrets d’État

Rencontre avec Alain Declercq, qui expose actuellement au Syndicat Potentiel : même si ses activités l’amènent parfois jusque dans des situations délicates, l’homme est souriant et détendu. Il explore les arcanes de la guerre en Irak, assiste à de nombreux procès, et enquête comme un agent secret, ce qui lui permet de discerner les schémas parfois abracadabrants qui sont construits entre la réalité et la communication.

Blog« Un terrain de jeu » : c’est ainsi qu’Alain Declercq définit la vaste étendue des sujets qui l’intéressent. D’emblée, c’est vers cela que s’oriente la conversation, car il préfère expliquer le contexte qui a généré une œuvre que de la présenter comme un objet.

Par ailleurs, la plupart des pièces sont encore emballées lors de notre rencontre, c’est donc un catalogue qui servira de base à une cascade de récits où l’artiste égrène ses recherches sur la face cachée des relations géopolitiques. Plus que la vérité, ce sont les procédés de construction d’une histoire – avec un petit ou un grand H – qui font sa délectation, et qui le mènent à fabriquer à son tour des fictions plus ou moins partielles.

Une fascination pour le secret

Longtemps après les attentats du 11 septembre 2001, la polémique persiste quant à l’engin employé dans l’attaque du Pentagone : l’armée retient ses informations au point que cela paraît suspect. Intrigué par cette absence de traces, Alain Declercq s’est rendu sur place et a conçu ses propres preuves en forme de raillerie. Il va détourner la technique du Polaroïd – considéré comme infalsifiable – grâce à l’une des très rares imprimantes de la marque connectables à un ordinateur. Un petit montage plus tard, et l’artiste imprime le Polaroïd d’un missile se dirigeant vers le Pentagone.

Evidence - Alain Declercq (Polaroïd, pièce unique - 2003)
Evidence – Alain Declercq (Polaroïd, pièce unique – 2003)

Par ses manipulations, l’artiste attire notre attention sur les mécanismes du pouvoir. Sans forcément les percer, il démontre que l’on peut diriger les faits, et aussi la manière dont ils sont perçus par le public. Il n’hésite pas à donner de sa personne, par exemple en se fondant dans la section de policiers en civil lors de la manifestation anti-CPE en 2006. L’ambiance est tendue, des groupes de « casseurs » s’en mêlent, et les forces de l’ordre auraient mis le feu aux poudres selon lui :

« Souvent ce sont ces policiers qui amorcent les violences, puis enfilent leurs brassards et procèdent aux interpellations. Parfois ce sont les journalistes : j’en ai vu encourager le premier lancer de pavé juste pour avoir la bonne photo et retourner dans leur rédaction. »

Soupçonné et perquisitionné

Fréquemment, le travail d’Alain Declercq s’apparente lui aussi au journalisme. Il a interviewé un ancien officier de renseignement de l’armée française, qui lui a expliqué comment il s’infiltrait dans des mouvements contestataires lorsque ceux-ci commencent à devenir trop populaires :

« Il arrivait à convaincre un groupe plutôt pacifiste à la base de poser une bombe : le groupe en ressortait décrédibilisé. »

Le film de cet interview, PHB ITV, sera visible au MAMCS à partir du 11 avril dans le cadre de l’exposition Philippe Lepeut, qui l’a édité dans sa société de production.

Mais c’est une oeuvre en particulier qui va éveiller les soupçons des brigades criminelle de Bordeaux et anti-terroriste de Bayonne : alors que l’artiste travaille dans la région sur un film mettant en scène Mike, un personnage fictif qui a tourné des vidéos dans des zones sensibles du monde, quinze agents armés débarquent pour l’interroger sur les documents qu’il amasse.

C’est là qu’ Alain Declercq réalise qu’il est espionné depuis des mois. Les policiers connaissent toute sa vie, ont déjà fouillé ses affaires en son absence et mis son téléphone sur écoute. Ils ont échafaudé un scénario complexe où l’artiste fait le lien entre Al Qaïda et l’ETA. Inquiet et amusé, il ne perd pas le nord et s’efforce de comprendre leurs accusations, mais les agents ne dévoilent pas leurs hypothèses et prennent soin de ne laisser aucune trace de leur intervention. L’artiste en sera quitte pour réaliser une reconstitution en photos de l’évènement. Il se rappelle un passage de l’interrogatoire :

« Ils ont même suggéré que mon métier d’artiste était une couverture. Ce n’est pas si bête : le Mossad a bien envoyé des agents dans des écoles d’art françaises. Un artiste peut s’intéresser à tout, et justifier ainsi n’importe quelle activité. »

Sensibilité, humour et recherche esthétique

Malgré ces implications politiques lourdes de sens, le travail d’Alain Declercq ne manque pas de chaleur. Lorsqu’il veut dénoncer le sort des militaires américains – ceux d’Irak succédant à ceux du Vietnam – il fait poser des SDF pour des portraits imprimés en offset, comme les affiches de propagande. A.D. explique l’ironie de ces images :

« Avec un recrutement peu regardant, des conditions de combat dures, et un retour au pays sans grande assistance psychologique, de nombreux soldats finissent à la rue. Mes modèles portent les mêmes colliers que ces soldats, où figure le nom de leur camp en Irak : Freedom, Independance, Solidarity… »

Les portraits sont antidatés de 2030, mais la réalité rattrape la fiction : aujourd’hui déjà des vétérans d’Irak hantent les rues de New York.

Embedded versus Wildcats (2006) en cours de réalisation au Syndicat Potentiel
Embedded versus Wildcats (2006) en cours de réalisation au Syndicat Potentiel

L’un des murs du Syndicat Potentiel est occupé par une grande fresque peinte où on lit « Embedded vs Wildcats ». Ces termes désignent d’un côté les journalistes embarqués avec les troupes militaires (embedded = intégré), de l’autre les indépendants. A.D. soulève une question fondamentale :

« Quand on lit la presse américaine, on n’a pas de moyen de savoir si l’article a été écrit par l’une ou l’autre catégorie de journaliste. Ce n’est pourtant évidemment pas le même point de vue, et c’est aussi la différence entre l’info à chaud et l’investigation. »

L’opposition est traduite à la façon des gangs de motards sur un immense blason noir. Car Alain Declercq se considère avant tout comme un plasticien, il s’intéresse à la forme autant qu’au fond, et aime créer des images ambigues pour « apporter de la confusion au débat ». Il arrive ainsi à allier liberté d’action et de pensée, questionnement du monde et esthétique, trois piliers essentiels de l’art.

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