Le 7 juin, deux mamans d’enfants handicapés sont montées en haut d’une grue à Strasbourg, pour alerter les pouvoirs publics sur leurs difficultés à obtenir de l’aide. Pourquoi en sont-elles arrivées là ?
C’est que la procédure que doivent suivre les personnes handicapées ou leurs proches pour obtenir une compensation est très complexe, longue et fastidieuse. Tout débute à la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH). Cette émanation du Conseil départemental, instituée par la loi de 2005 sur l’égalité des chances, se présente comme un « guichet unique. » Ses agents sont chargés de centraliser les demandes, d’instruire les dossiers et de les rediriger vers les institutions compétentes (parmi lesquelles la Caisse d’allocations familiales et l’Éducation nationale).
La MDPH est financée par le Conseil départemental, l’État, l’Éducation nationale ainsi que la Direccte et la Direction régionale de la jeunesse et des sports.
Étape n°1 : un dossier complexe à monter
Pour faire une demande de compensation auprès de la MDPH, il faut d’abord monter un dossier. En plus des documents administratifs usuels (voir ci-contre), le demandeur doit remplir une rubrique intitulée « Projet de vie », que la loi de 2005 décrit ainsi :
« Les besoins de compensation sont inscrits dans un plan élaboré en considération des besoins et des aspirations de la personne handicapée tels qu’ils sont exprimés dans son projet de vie, formulé par la personne elle-même ou, à défaut, avec ou pour elle par son représentant légal lorsqu’elle ne peut exprimer son avis. »
En cas d’interrogation sur la marche à suivre, la MDPH dispose d’un numéro vert (0 800 747 900). Malheureusement pour les usagers, ce service s’avère difficile à joindre. Dans le cadre de la réalisation de cet article, nous avons pu le constater. Mardi 20 juin, nos cinq appels sont restés sans réponse ou ont été mis en attente, toutes les lignes étant saturées. Une situation qui permet de mieux comprendre la détresse de certains parents et demandeurs. Bénédicte Autier, directrice de la MDPH du Bas-Rhin, reconnaît ce problème :
« On a un taux de décroché qui reste insuffisant aujourd’hui [moins de 30%]. C’est un de nos projets d’améliorer l’accueil téléphonique. Une fois que les usagers joignent un chargé d’accueil, ils sont très satisfaits de la qualité de l’appel, mais ce qu’on doit améliorer c’est l’accès à un chargé d’accueil. »
À ce standard téléphonique défaillant s’ajoute un site internet plutôt rudimentaire, qui ne permet pas, par exemple, de suivre l’avancement de son dossier, comme c’est le cas notamment en Gironde ou dans l’Essonne. Pour avoir des renseignements, les usagers n’ont alors d’autre choix que de se tourner vers le numéro vert, ce qui ne contribue pas à son désengorgement.
En 2016, la MDPH du Bas-Rhin a reçu 62 053 nouvelles demandes. Une charge de travail conséquente pour la centaine d’agents qui travaillent à l’enregistrement des dossiers. Au 31 décembre 2016, l’institution comptait 67 897 bénéficiaires, un nombre en hausse de 6,7% par rapport à l’année précédente, d’après la directrice. À partir du moment où le dossier est déposé complet à la MDPH, les services ont quatre mois pour l’instruire, le délai légal fixé par la loi. En 2016, la MDPH du Bas-Rhin a traité ses dossiers en 3,6 mois en moyenne…
Étape n°2 : une évaluation peu transparente
Après son enregistrement à la MDPH, le dossier passe entre les mains d’une équipe pluridisciplinaire d’évaluation, qui « évalue les besoins de la personne et propose les compensations », explique Bénédicte Autier. Elle est composée de membres de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), une instance qui a un rôle majeur dans le processus de décision final, de médecins et d’experts. Ces derniers changent pour s’adapter à la situation de handicap de la personne : les dossiers d’un déficient moteur et d’un déficient intellectuel ne seront ainsi pas évalués par les mêmes médecins.
À partir du dossier et du projet de vie exposé par le demandeur, l’équipe d’évaluation émet un avis. Elle peut soutenir la demande ou exprimer une réserve. Le cas échéant, elle peut proposer une autre compensation à la personne, qui peut l’accepter ou venir défendre sa position devant la commission des droits et de l’autonomie.
La détermination d’une situation de handicap relève de la prise en compte de plusieurs facteurs, détaille la directrice de la MDPH du Bas-Rhin :
« Selon la loi de 2005, il n’y a pas de handicap mais il y a des situations de handicap. Ça va donc être la difficulté ou l’impossibilité pour une personne d’accéder à des activités sociales en raison de troubles qui sont d’ordre médicaux et qui causent une situation de handicap. Le premier temps, c’est déjà de considérer la situation dans un environnement donné, et les répercussions de cette situation au vu de l’accès aux activités sociales. C’est dans cette difficulté que se crée la situation de handicap. On évalue les besoins de la personne dans son environnement et on va proposer des compensations très individualisées qui viennent compenser ce besoin et faciliter l’accès aux activités sociales. »
C’est la « délivrance d’une compensation qui institue de fait la reconnaissance du handicap », ajoute-t-elle. L’évaluation de la situation de handicap d’une personne donne lieu à l’estimation d’un taux d’incapacité, classé en trois niveaux : inférieur à 50%, entre 50 et 79% et supérieur à 80%. Une estimation qui n’est pas toujours très claire, d’après Estelle Hoffer, maman d’un petit garçon atteint de déficit de l’attention et d’hyperactivité (TDAH), qui est montée sur la grue en juin :
« Ils vont nous dire où on se situe par rapport aux 50% réglementaires, mais c’est tout. »
Une fois que l’équipe pluridisciplinaire d’évaluation a rendu son avis sur le dossier, elle le transmet à la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées.
Étape n°3 : une commission discrète
C’est l’étape cruciale dans l’étude du dossier. En effet, la CDAPH est la seule instance compétente pour accorder et définir les compensations. Raphaël Eyl-Mazzega, directeur adjoint de la MDPH du Bas-Rhin, précise :
« La composition de la CDA est définie par décret. Vous avez systématiquement quatre élus du Département, des représentants des différents services de l’État, des services d’assurance maladie, de la CAF, des représentants des usagers, des syndicats… »
Parmi ses 23 membres, on trouve, entre autres, Eric Elkouby et Michèle Eschlimann pour représenter le Département, le directeur général de l’agence régionale de santé, le directeur académique des services départementaux de l’Éducation nationale, le président du conseil d’administration de la CAF, une représentante de parents d’élèves ainsi que des représentants d’associations de personnes handicapées. Cette diversité d’acteurs est censée permettre une représentation de tous les types de handicap.
À l’aide de l’évaluation faite par l’équipe pluridisciplinaire et du dossier du demandeur, cette commission décide (ou non) d’accorder une compensation. La directrice de la MDPH du Bas-Rhin Bénédicte Autier ajoute :
« Sur demande, les familles qui le souhaitent peuvent être reçues et entendues par la commission des droits et de l’autonomie en séance plénière. »
Cette possibilité, si elle existe, n’est semble-t-il pas mise en avant auprès des usagers. Estelle Hoffer affirme qu’on ne lui a jamais indiqué qu’elle avait ce droit. Elle n’a reçu une invitation à y participer qu’après être montée sur la grue et avoir négocié avec les agents de la préfecture.
Après avoir étudié le dossier, la commission prend une décision qu’elle n’est pas tenue de justifier. Le demandeur en est simplement informé et, si la décision ne lui convient pas, il a le droit de formuler un recours.
Étape n°4 : des recours très juridiques
« Toute décision peut faire l’objet d’un recours », indique Muriel Stutzmann, responsable de la cellule recours de la MDPH. Sur les 61 351 demandes qu’elles a instruites en 2016, la MDPH du Bas-Rhin a recensé 2 180 recours, soit environ 3,5%. Selon la situation, plusieurs possibilités s’offrent au demandeur mécontent. Parmi elles, le recours gracieux et le recours pour contentieux (auprès du tribunal compétent). Dans ces deux cas de figure, la personne a la possibilité de défendre sa demande. Elle peut mettre en avant les éléments qu’elle estime insuffisamment pris en compte par la commission. Le dossier est alors réétudié par une nouvelle équipe avant d’être présenté devant la CDAPH en session plénière.
Estelle Hoffer a eu affaire à cette commission l’année dernière, lorsque sa première demande d’auxiliaire de vie scolaire pour son fils de huit ans a été rejetée. Pour expliquer cette décision, la présidente de la commission lui a déclaré, avec un certain manque de tact, que son fils n’était « pas assez handicapé. » Une explication que cette maman a toujours du mal à digérer, étant donné l’impact que cette situation a sur son quotidien. Elle déplore un manque de transparence dans le fonctionnement de l’institution, mais surtout le peu de reconnaissance des troubles de l’attention en tant que handicap.
Pour les situations les plus critiques, deux autres solutions sont possibles : la conciliation et la médiation. La MDPH propose ainsi aux demandeurs de passer par le biais d’un tiers, une personne bénévole et extérieure à l’institution, qui va jouer le rôle de médiateur en les aidant à revoir le dossier et à comprendre ce qui a pu conduire au rejet de leur demande. À partir de septembre 2017, une médiatrice, elle aussi bénévole, sera présente pour s’occuper des situations les plus litigieuses, « où la communication entre l’usager et l’administration ne se fait plus du tout. »
Étape n°5 : des compensations accordées mais pas mises en œuvre
Si la commission des droits et de l’autonomie de la MDPH est la seule compétente pour accorder les compensations, ce n’est pas la MDPH qui s’occupe de leur mise en place. Pour reprendre l’expression de son directeur adjoint, Raphaël Eyl-Mazzega, la MDPH est un « sablier » qui enregistre les demandes, les valide ou non et les redirige vers ses différents partenaires, selon les situations : l’Éducation nationale pour les auxiliaires de vie scolaire, la CAF pour certaines prestations financières, etc. La mise en place de la compensation n’est toutefois pas obligatoire, comme le souligne Bénédicte Autier :
« Quand la commission des droits et de l’autonomie (CDA) propose un droit, l’usager est dans toute sa liberté pour le mettre en œuvre ou pas. Le fait d’avoir un droit à compensation n’engage pas la mise en œuvre. La CDA notifie des droits à compensation, l’usager les met en œuvre ou pas. »
Autrement dit, le demandeur peut refuser la mise en œuvre effective de la compensation qui lui est proposée s’il le souhaite. Ce cas de figure reste toutefois assez rare dans la mesure où « la compensation répond à un besoin », explique Bénédicte Autier.
Consciente des problèmes qui émaillent son fonctionnement, la Maison de l’Autonomie (MDA, qui regroupe la Maison départementale des personnes handicapées et des personnes âgées) a lancé un programme d’amélioration, sous le slogan « Pour une MDA plus efficace et plus humaine ». Parmi les pistes envisagées : améliorer le taux de décrochage du standard, remettre le site internet à neuf et renforcer le traitement des dossiers dans une logique d’efficacité. Pour l’instant, la MDPH met en avant la réfection de l’accueil physique, au rez-de-chaussée du bâtiment, terminée il y a peu. Gageons qu’elle ne suffira pas à calmer les esprits échauffés par de longs mois d’attente et des décisions non motivées.
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