Les aides à la conversion permettent de subventionner l’achat d’un nouveau véhicule pour les habitants de l’Eurométropole, si les nouvelles normes de la Zone à faibles émissions (ZFE) empêchent de l’utiliser. Un guichet a été ouvert auprès de l’Agence du climat, une association créée par l’Eurométropole, qui accompagne des milliers de dossiers… Témoignage d’Eurométropolitains qui ne rentrent pas dans les cases.
Médecin, Frédéric habite dans le secteur du quai Finkwiller et travaille à Strasbourg ou à Haguenau selon les jours. « J’utilise ma voiture pour mes déplacements, c’est encore le plus simple », explique t-il. Mais pour combien de temps ? Depuis décembre, le Strasbourgeois bataille avec différentes administrations pour obtenir une vignette crit’air 2, correspondant aux normes d’émissions Euro 4 de son véhicule :
« J’utilise une Volkswagen Golf 4 qui est dans la famille depuis 2001. Elle est équipée d’un moteur plutôt moderne : il venait tout juste de sortir quand ma mère a acheté la voiture. En 2017, j’ai dû aller travailler quelques temps au Luxembourg et m’immatriculer là bas en tant que résident. Mais je revenais souvent à Strasbourg, à un moment où l’on demandait à tout le monde de s’équiper d’une vignette crit’air. J’ai donc effectué cette démarche et envoyé ma carte grise luxembourgeoise. Conformément aux normes de mon véhicule, j’ai reçu une vignette crit’air 2. »
À son retour en France, Frédéric récupère son ancienne plaque d’immatriculation sans changer de vignette :
« Mais lorsque j’ai appris qu’il y allait avoir des contrôles automatisés, j’ai demandé sur le site dédié du gouvernement si ma situation n’allait pas poser de problème. On m’a indiqué qu’il fallait en effet que je demande une nouvelle vignette, ce que j’ai fait, en ligne, le 8 décembre. Quelques heures plus tard, j’ai reçu par mail mon avis et une facture avec une vignette… crit’air 3. »
Commence alors un dialogue de sourds avec l’administration :
« Je leur ai écrit pour dire que mon véhicule était aux normes Euro 4 et avait droit à une crit’air 2. La seule chose que l’on m’a répondu c’est que cette norme n’était pas indiquée sur la carte grise et qu’ils se basaient donc sur la date de la première immatriculation du véhicule. »
Frédéric leur renvoie alors le certificat de conformité de la voiture édité par le constructeur – couramment demandé par les administrations en charge de l’immatriculation des véhicules à l’étranger, et le tableau des normes d’émissions édité par la Commission européenne. Mais rien n’y fait.
Aucune contestation possible
« Certificat-air.gouv m’a de nouveau dit que ce qui comptait, c’était la carte grise. Et qu’il fallait que je fasse une demande à la préfecture pour que la norme Euro 4 apparaisse sur ce document. » Las, Frédéric finit par appeler au ministère de la Transition énergétique pour savoir de quelle autorité dépend l’agence chargée d’attribuer les vignettes crit’air :
« On m’a répondu qu’il s’agissait d’une entité indépendante. Donc pas d’autorité de recours contre ce type de dysfonctionnement. Si la préfecture refuse d’entériner ma demande, je n’ai personne vers qui me tourner pour contester le certificat qui m’a été attribué et qui ne correspond pas aux normes d’émissions de mon véhicule. »
Lequel pourrait alors être interdit de rouler dès 2025 selon le calendrier actuel. Frédéric regrette ces lourdeurs administratives. « Ils ont le numéro de série de mon véhicule, ils devraient pouvoir retrouver la norme d’émission de ma voiture, » pense-t-il. Quant à savoir pourquoi il avait obtenu la bonne vignette avec une plaque luxembourgeoise :
« Mon interlocuteur m’a dit que la procédure était purement déclarative pour les personnes immatriculées à l’étranger. J’appelle ça de la discrimination. »
Anticiper ne suffit pas…
Depuis le 1er janvier 2023, les véhicules Crit’air 5 ne peuvent plus rouler dans l’aire urbaine des 33 communes de l’Eurométropole. Paulette, 64 ans et habitante de Strasbourg, l’avait anticipé :
« J’avais une vieille voiture, une Honda 6.8. J’ai réalisé qu’elle n’allait pas pouvoir entrer dans la ZFE et que j’allais être bloquée. En mars, j’ai pris rendez-vous à la mairie pour me renseigner sur les aides disponibles. En août, j’ai mis ma voiture à la casse et j’en ai racheté une. »
Coût de l’opération : « plus de 10 000 euros », que la sexagénaire strasbourgeoise emprunte à des proches et sous forme de crédit bancaire. Et qu’elle s’imagine pouvoir rembourser rapidement. Elle reprend :
« Lors de mon rendez-vous en mars, on m’avait expliqué qu’il fallait que j’attende l’aide de la mairie pour pouvoir enclencher la demande de celle de l’État. Au moment de faire mes démarches, j’ai oublié cette précision et envoyé les deux dossiers en même temps. Mon dossier pour l’aide d’État a été traité tout de suite et on m’a dit que j’avais un mois pour envoyer le document justifiant des aides de la mairie. Le mois s’est écoulé sans nouvelle : j’ai demandé un nouveau délai qui m’a été accordé. Et j’ai rappelé la mairie pour savoir quand mon dossier serait traité. On m’a répondu que ce serait fait quand ce serait mon tour. »
Les mois passent et Paulette n’a toujours aucune nouvelle concernant les aides de l’Eurométropole :
« D’abord on m’avait dit que mon dossier serait traité d’ici 4 à 6 semaines. Puis on m’a donné un délai de 10 à 12 semaines et au final, il a été largement dépassé. »
À force d’appels, elle finit par apprendre en décembre qu’un des documents de son dossier a été mal photographié et doit le renvoyer. Ce qu’elle fait le jour même. Deux jours plus tard, elle reçoit une notification lui indiquant que son dossier a été validé et transmis à la comptabilité. Elle récupère le fameux document à envoyer pour recevoir les aides de l’État et le transmet au service compétent :
« Mais depuis j’attends. Je n’ai toujours rien reçu, s’inquiète t-elle en ce début de mois de janvier. Je me suis dit qu’il fallait laisser passer les fêtes mais financièrement cela commence à être un peu tendu. »
Plusieurs mois d’attente
Du côté de l’Eurométropole, on reconnaît que « les délais de paiement sont effectivement longs (plusieurs mois) pour des raisons techniques et de ressources humaines ainsi que la mise en place du dispositif en 2022. » Mais la collectivité indique que « les documents d’éligibilité des bénéficiaires – demandés pour bénéficier des primes de l’Etat, NDLR – sont envoyés dès que le dossier est complet et validé. »
« Le problème, c’est qu’ils mettent plusieurs mois à le valider, le dossier ! », s’indigne Paulette, qui ne s’étonne pas que peu d’aides aient été distribuées par la collectivité pour le moment au regard des lourdeurs de la démarche.
Pas de place pour les motos occasionnelles
Poids lourds, véhicules de livraison, voitures individuelles… L’Eurométropole a abondamment communiqué sur les restrictions de circulation et les dérogations attenantes avant la mise en place de la ZFE. Mais sur les motos, « pas trop », regrette Jean-Marc. Motard depuis toujours, cet habitant de Hoenheim s’est lancé il y a trois ans dans la rénovation d’une Yamaha VMAX de 2001 :
« Elle avait été laissée longtemps dans un garage et abîmée par le sel. J’ai du la démonter au moins trois fois pour nettoyer un certain nombre de pièces. J’en ai fait décaper certaines chez des professionnels. En tout, j’y ai investi 6 500 euros. Et je ne compte pas la main d’œuvre puisque j’ai tout fait moi-même. »
Passionné de motos anciennes depuis qu’il a 18 ans , le quinquagénaire pensait pouvoir flâner avec sa Yamaha aux beaux jours, pour rendre visite à sa compagne à Erstein ou aller au travail, au Neuhof, de temps en temps, comme il l’avait toujours fait avec ses deux-roues. Mais à l’été, il découvre que son véhicule était classé crit’air 4 et serait donc interdit de circulation en 2024. « Après tout cet acharnement, cet investissement, je suis dégouté… »
Propriétaire d’une voiture crit’air 1 par ailleurs, Jean-Marc ne fait pas plus de 3 000 kilomètres par an avec ses motos :
« Ce n’est pas grand chose. Je me suis renseigné sur les dérogations concernant la ZFE et j’ai découvert que ma moto ne pouvait pas été considérée comme un véhicule de collection car elle n’a que 21 ans et qu’il en faut 30 pour obtenir ce statut. La seule chose que l’on a pu me proposer, c’est de faire une demande de ticket de circulation pour 24h (utilisable 24 fois dans l’année, NDLR). Mais je ne veux pas vivre avec ce couperet là au dessus de la tête alors j’ai choisi de la vendre et de racheter une moto crit’air 1. »
Jean-Marc s’est séparé de sa moto jeudi 29 décembre, un an avant l’interdiction des véhicules crit’air 4, pour qu’elle ne perde pas trop de sa valeur. Pour la prochaine, ce Hoenheimois regarde du côté des Harley d’occasion. Ticket d’entrée : 17 000 euros. Pour une électrique, compter plutôt 40 000 euros.
Primes à la conversion, inutiles pour les jeunes conducteurs
Jeune conductrice, Morgane se sent également prise au piège par la mise en place de la ZFE :
« J’avais l’intention d’acheter un véhicule de seconde main à un prix raisonnable, comme tout le monde l’a fait par le passé, pour limiter aussi le prix de mon assurance. »
Mais les véhicules d’occasion sont en général crit’air 3 à 5, remarque t-elle :
« Je ne veux pas acheter un véhicule qui ne peut pas rouler, ou va être interdit prochainement, mais je n’ai pas les moyens d’acheter un véhicule plus récent. Surtout que plus mon véhicule est cher, plus mon assurance jeune permis va l’être. Et de surcroît je ne bénéficie d’aucune aide, car je n’ai pas de voiture… Toutes les aides, de l’État ou de la métropole sont pour la conversion, pas pour le premier achat. »
Sans solution de transports en commun pour se rendre à son lieu de travail, elle cherche encore comment se sortir de ce guêpier.
Chargement des commentaires…