Accord, c’est fini ! L’association fondée en 1982 pour accompagner les personnes victimes de violences physiques ou de dégradations de leurs biens a été liquidée par la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg jeudi. Ses 23 employés, des juristes, des psychologues, des médiateurs pour la plupart, vont être licenciés dans les deux semaines qui viennent. Bien que conscients des difficultés financières auxquelles devait faire face l’association depuis plusieurs années, les salariés ne s’attendaient pas à cette liquidation brutale, ordonnée sans poursuite de l’activité.
Accord était une structure de médiation, elle proposait des accompagnements, s’intercalant entre les institutions judiciaires du Bas-Rhin et la société, à la fois pour les auteurs de violences comme pour les victimes. Par exemple, Accord s’occupait des réparations pénales des mineurs (des travaux d’intérêt généraux pour les jeunes condamnés), de la prévention de la récidive en aidant la réinsertion de détenus à la fin de leur détention, de la médiation familiale, etc. Dans un rapport d’activité, Accord indique avoir mené plus d’une centaine de médiations pénales en 2013, et 60% de ces litiges ont été réglés sans avoir eu recours aux tribunaux.
Décalages entre promesses et paiement des subventions
Entièrement financée à hauteur d’un million d’euros par des fonds publics (État à 61%, Département, Ville et CUS) aussi pérennes que le sont les violences dans la société, Accord n’aurait jamais dû disparaître. Alors comment en est-on arrivés là ? Secrétaire général de l’association, Christian Binetruy avance une explication :
« L’association souffrait de problèmes de trésorerie depuis plusieurs années. Les subventions qui forment l’ensemble de nos recettes ne sont versées que plusieurs mois après avoir été votées ou décidées. Mais pendant ce temps, l’activité tourne et il faut bien payer les salaires. Alors on engageait des crédits sur des recettes à venir, ce qui a occasionné des frais bancaires que les financeurs n’ont jamais voulu payer. La situation s’est dégradée jusqu’en 2005, date à laquelle nous avons été contraints d’opérer un redressement judiciaire. Nous arrivions à la fin de la période d’apuration des comptes de 10 ans. En 2014, notre exercice était même excédentaire à condition que la banque nous accorde un prêt de 300 000€ pour payer 200 000€ de charges et constituer un fonds de roulement suffisant. Mais la banque nous a lâchés en novembre. En décembre, nous n’avions d’autre choix que de nous mettre en cessation de paiements. »
Le Crédit Coopératif, la banque d’Accord, réfute totalement cette analyse via le conseiller en charge du dossier :
« On n’a jamais laissé tomber un client, et surtout pas quand ça va mal. La réalité est que nous avions alerté M. Binetruy depuis début 2014 que les comptes s’étaient franchement dégradés et qu’il devait alerter ses financeurs, suite à de lourdes pertes en 2013. J’ai passé des heures et des heures sur ce dossier, à proposer des solutions qui ont été écartées. Au final, une banque ne peut se rendre coupable d’ingérence dans les finances de ses clients, il nous était impossible d’intervenir plus. »
Très coûteux licenciement du directeur
Que s’est-il donc passé en 2013 ? En juin, le conseil d’administration découvre une situation financière catastrophique. Le directeur général est licencié pour faute grave. Mais une transaction a lieu, évitant un recours à la justice prud’homale, l’association ne pouvait pas se permettre de provisionner des sommes astronomiques à payer en cas de défaite. Reste que le montant de cette transaction a lourdement grévé l’exercice 2013, les financeurs d’Accord refusent de la payer, les comptes ne s’en sont jamais remis.
L’association n’a plus les moyens d’embaucher un directeur, c’est Christian Binetruy, policier à la retraite, qui assume ce rôle :
« C’est vrai que ce licenciement ne nous a pas aidés, mais nous avions obtenu une transaction nettement moindre que celle qu’il demandait au départ, et un étalement du paiement. Nous voyions le bout du tunnel. »
Mais en novembre 2014, la Cour d’appel de Colmar, qui finançait plusieurs programmes mis en œuvre par Accord est sollicitée pour sauver l’association. Chargée de ce dossier, Cécile Hartmann, magistrate, détaille :
« J’ai porté un dossier de dotation exceptionnelle auprès du ministère de la Justice, compte-tenu de la qualité des prestations réalisées par Accord. Une aide a été accordée même dans cette période de disette des fonds publics. Il s’agissait alors de passer les premiers mois de l’année, le temps de trouver un repreneur. Mais nous avons été de nouveau sollicités en janvier, or il était impossible d’engager plus avant le ministère de la Justice dans une structure en redressement judiciaire. Je pensais qu’une continuation d’activité serait ordonnée, nous avions rendez-vous avec tous les repreneurs potentiels le 19 février. »
Des actions toujours financées, à reprendre…
Car plusieurs associations lorgnent sur les marchés d’Accord, les financements pour ces missions continuant d’être disponibles… Sur les rangs, l’Association régionale spécialisée d’action sociale (Arsea) d’une part et Viaduq avec SOS Aide aux habitants d’autre part. L’Arsea est une structure imposante, plus de mille salariés, et s’était portée volontaire pour reprendre l’ensemble des missions d’Accord mais elle n’a pas l’agrément de l’Inavem pour l’aide aux victimes. Viaduq et SOS Aide aux habitants l’ont, mais le budget de la première structure est deux fois moins important que celui d’Accord et celui de la seconde quatre fois moins… Cécile Hartmann a maintenu la réunion du 19 février en précisant bien que « toutes les associations sont les bienvenues. »
Car pour les salariés, toutes les reprises ne se valent pas, comme le détaille l’un d’entre eux :
« On aurait clairement préféré une reprise des activités par l’Arsea. La solidité de la structure aurait rassuré les salariés et puis ils s’engageaient à reprendre toutes les missions, celles à destination des victimes comme celles à destination des auteurs. C’est une spécificité d’Accord qui faisait notre richesse, nous avions cette capacité à écouter toutes les parties, à comprendre et à trouver des solutions. Les autres associations sont plus segmentées. »
Les trois structures candidates ont produit des lettres d’intention mais la chambre commerciale n’en a pas tenu compte, considérant qu’elles ne comportaient pas d’engagements fermes. C’est aussi ce que reproche le conseil d’administration aux financeurs. Christian Binetruy :
« La CUS a refusé d’apporter sa caution pour notre dernier emprunt, la Cour d’appel a refusé de s’engager à confier nos missions à l’Arsea, la banque a brutalement décidé de ne plus nous accorder de découvert pour passer les mois de janvier et février… et voilà où on en est ! On liquide une structure pleine de professionnels de grande valeur pour un problème de fonds de roulement ! »
Alors que les lettres de licenciement sont envoyées aux 23 salariés, l’association a deux semaines pour mettre fin à ses activités. Des dossiers très simples à boucler, comme la réinsertion de détenus en fin de peine, la fin des relations conflictuelles au sein de familles et des contrôles judiciaires…
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