De l’électricité dans l’air, il y en a à la lecture des nouveaux statuts de la Société protectrice des animaux (SPA) par un président à la voix enrouée, Alfred Gebhart. Samedi après-midi, la cinquantaine de membres installée dans le centre culturel du Neudorf à Strasbourg sait bien que le moment important sera celui des questions. Les pancartes dénonçant les euthanasies plantées à l’entrée étaient là pour leur rappeler. Alain, cheveux grisonnants et ancien vice-président de l’association, philosophe :
« C’est commun à toutes les associations. Des luttes de pouvoir entre personnes qui ne sont pas épanouies dans leur vie, ou qui subissent au travail. A la SPA, beaucoup de gens cherchent à combler un vide affectif et c’est vrai que les animaux leur rendent bien. Ce qui est dommage, c’est quand un bénévole vient au refuge et qu’on lui dit qu’il n’est pas venu depuis trois jours… »
Les dissidentes, une dizaine de femmes assises au premier rang, bras croisés et expressions désabusées, n’avaient pas vraiment l’intention de placer le débat sur les nouveaux statuts. Sylvianne attaque d’amblée par les exclusions :
« J’ai été exclue pour avoir causé des problèmes à la SPA. Et je vois sur l’estrade qu’il y a les gens avec lesquels j’ai eu des problèmes. Pourquoi ont-ils été nommés ? »
Une vingtaine de personnes opposée à l’actuelle présidence
Ambiance. Le vote des nouveaux statuts dévoile la partition politique de l’assemblée. Une vingtaine de membres placés autour des dissidentes et acquis à leur cause, et le reste du public solidaire avec le comité d’administration sur l’estrade. En comptant les nombreuses procurations, le vote est sans appel. Sur 175 inscrits, 134 pour, 30 contre, et 11 s’abstiennent. Des résultats similaires suivront pour les autres votes à main levée. C’est le moment choisi par le président pour partager son regard sur l’année passée :
« 2014 fut une année riche en événements heureux et moins heureux… Les résultats des contrôles de la DDPP (Direction départementale de la protection des animaux) ont été comme toujours favorables. C’est pour vous que je dis ça (dit-il en regardant les dissidentes, ndlr) ! Nous déménageons fin juin dans nos nouveaux locaux de Cronenbourg, mais nous ne saurons pas avant le 10 juin si nous remportons l’appel d’offre pour la fourrière. Ce qui nous dérange pour le déménagement car une partie des animaux ne pourront aller au refuge et nous serons obligés de les donner. »
« Une association se gère comme une entreprise »
Le président arrive au bilan financier et aux créations de postes. Deux d’entre elles sont controversées. Céline, une jeune directrice générale, recrutée puis licenciée deux mois plus tard. Suivie de l’embauche d’un gestionnaire responsable du personnel Marc Wurtz, ancien bénévole. Sylviane Lenglos, ancienne responsable de la chatterie et récemment exclue, questionne la pertinence du recrutement :
« Là vous avez embaucher des gens en CDI en prévision des nouveaux locaux mais si on n’a pas la fourrière, vous allez licencier ? Bien sûr vous allez licencier d’abord les CUI… »
L’ancienne membre du comité d’administration fait référence aux 13 Contrats unique d’insertion de la SPA, subventionnés par la Ville. L’équipe est complétée de sept CDI, et d’un nouveau vétérinaire en CDD. Alfred Gebhart concède que les CUI seraient les premiers impactés :
« Oui nous serons obligés de ne pas reconduire certains CUI. Mais nous n’avons pas embauché pour la fourrière. Je peux vous dire qu’il y aura besoin de beaucoup d’administrateurs dans nos nouveaux locaux. »
Fanny Roederer, l’une des bénévoles exclue du refuge, voit dans ces recrutements de la cooptation en interne :
« Vous recrutez des personnes pour leurs formations ou parce que vous les connaissez ? »
Guy Marchive, directeur du Groupement ornithologique du refuge nord alsace (Gorna) et membre du CA, vient au secours du président :
« Les deux jouent, on ne peut pas réussir à chaque fois… Je dis souvent qu’une grosse association se gère comme une entreprise avec le petit plus qui est l’aspect social. Bon nous, nous avons favorisé les jeunes. »
Mais Christelle, ex-bénévole, s’en prend alors directement au directeur du Gorna :
« Vous m’avez dit que je n’étais pas formée pour gérer une équipe de cinq personnes, mais êtes-vous formé pour embaucher ? »
La question des euthanasie fait exploser l’assemblée générale
Une partie de l’assemblée s’agace des questions du camp des bénévoles et lui fait savoir par des invectives chaleureuses. Les deux parties se répondent et le président ramène le calme comme il peut. Guy Marchive, sûr de son CV, rappelle qu’il a du jouer le médiateur :
« Je suis issu du milieu commercial, j’ai dirigé de grosses sociétés à Strasbourg. Je n’ai pas imposé une personne, j’ai simplement débroussaillé pour le CA. Pour votre ancienne équipe, les cinq bénévoles sont venus me voir et ont menacé de partir. Donc j’ai agis à titre de médiateur. N’étant pas directement intégré à la structure, ma position est plus neutre. »
Après une interlude photo du chantier des nouveaux locaux, Alfred Gebhart a ouvert la séquence attendue des réponses aux courriers, en montrant quelques signes de stress. Sa réponse commune était préparée, et c’est sans surprise la question des euthanasies de chats qui déclenche le plus de réactions :
« Les protocoles d’euthanasie existent et nous les appliquons, surtout depuis qu’il y a le nouveau vétérinaire en CDD qui est le seul décisionnaire. Les changements en matière d’hygiène au refuge ne sont à mettre au compte que des différences de points de vue entre l’ancienne et la nouvelle responsable de chatterie. Elles ont toutes les deux des expériences hospitalières différentes mais leurs méthodes sont bonnes. Tout ce que nous faisons, c’est pour l’amour des animaux. J’espère que vous le croyez ! »
Laura, l’une des bénévoles exclues et ancienne famille d’accueil, interpelle la responsable de chatterie :
« À partir de quel poids vous gardez les chatons? 400 ou 700 grammes ? Car on en a vu partir à 700 grammes les dimanches ! »
Une autre ex-bénévole témoigne :
« Je suis venue aux portes-ouvertes et devant témoin la responsable chattrie m’a dit qu’en dessous de 700 grammes: ils euthanasiaient ! »
Visiblement émue, la responsable chatterie dément ces accusations et le président prend sa défense :
« Tu peux venir et demander au véto. Tu fais référence à l’année dernière… Il faut avancer dans la vie ! »
Les chats ? « On les a mangés ! »
L’agacement est à son comble dans l’assemblée. « On les a mangés ! » ironise l’un. Quand les dissidentes évoquent des « primes de 1 500 euros aux employés », le point de rupture est atteint par une partie du public qui quitte la salle. Alfred Gebhart clôt l’AG dans la confusion vers 17h30.
À la sortie, Joëlle Maugis et Babette Valmage, respectivement ancienne bénévole et ancienne responsable de chatterie, continuent le débat avec Fanny et Laura. Deux visions de la condition animale et de l’euthanasie s’opposent. Joëlle en a conscience :
« Je peux vous dire ce qui m’a choquée : avec l’ancienne équipe, il y avait des cages partout ! Est-ce que l’animal est plus heureux pour autant ? Je n’en sais rien. L’euthanasie est parfois la moins pire des solutions. Mais nous dire qu’on fait des “euthanasies de confort”… C’est pour ça qu’on est révoltés contre elles. Je peux vous dire que pour les chiens agressifs, c’était plusieurs personnes qui décidaient et on faisait venir un comportementaliste. Il faut poser la question : que veulent les gens quand ils prennent des animaux ? Est-ce qu’ils veulent une surpopulation ? Personne ne veut adopter un chat à qui il faut donner des comprimés tous les jours et des croquettes spécifiques. »
Face au problème de la surpopulation, notamment des chats, la SPA est confronté à un dilemme. Le camp des dissidentes soutient que par l’aide des familles d’accueil l’association peut sauver plus de chats. Mais des campagnes de stérilisation et de castration permettraient aux bénévoles de moins se poser ces questions éthiques. D’après son président, la SPA devrait pouvoir stériliser plus d’animaux dans ses nouveaux locaux, décidément très attendus.
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