Rue89 Strasbourg avait rencontré Zazaï en 2017 lors d’un match de cricket de son équipe Royals Strasbourg sur le terrain de l’association US Egalitaire à Neudorf. A Strasbourg, où le jeune Afghan est arrivé en février 2014 à l’âge de 16 ans, des gens ne le croyaient pas et blaguaient sur son appartenance au mouvement taliban.
Alors le jeune réfugié a consigné le récit de son rude périple à pied à travers huit pays par l’entremisse d’un réseau de passeurs sans scrupules. Avec le soutien de Julie Ewa, écrivain rencontrée dans son foyer pour mineure en tant qu’éducatrice, ces écrits sont devenus un livre, Liberté, ma dernière frontière (éditions L’Archipel) sorti le 27 janvier en librairies après quatre ans et demi de travail.
« Je voulais changer le regard des gens », explique le jeune homme, aujourd’hui électricien et citoyen français :
« Je ne souhaite cette expérience à personne. Tous les jeunes Afghans autour de moi ont vécu la même-chose. »
Écrire pour se soigner
L’écriture a été pour lui un début de guérison :
« J’ai donné tous les détails. C’est vrai que mettre les choses sur papier m’a vidé la tête. Maintenant, il y a beaucoup de choses dont je ne me souviens plus. »
L’adolescent a fui la menace des talibans sur l’ordre de sa famille. « On ne m’a pas laissé le choix. Sur la route, j’avais la hantise de finir ma vie à la rue comme un SDF », confie-t-il. C’est son sentiment de responsabilité envers sa mère qui l’a fait tenir, assure cet aîné d’une fratrie de quatre enfants, et l’espoir de trouver un lieu d’arrivée d’où il pourrait être libre de retourner la voir.
Peut-être aussi ses deux compagnons d’infortune de 13 ans, rencontrés parmi des centaine d’autres migrants à la frontière iranienne et laissés en Italie. « Ils sont en Norvège maintenant. Ils étaient petits. J’étais le grand. Je les protégeais. On embêtait les autres le soir pendant qu’ils faisaient leurs prières dans un grand silence », rapporte-t-il au sujet de son seul bon souvenir de cette épopée.
Chaque frontière, un niveau supplémentaire
Les mots posés sur leurs défis sont cruels. Dans le jargon des passeurs, chaque passage de frontière était un game, d’un niveau de plus en plus élevé « comme à la PlayStation ». Le pire d’entre eux, la traversée de la Méditerranée en bateau depuis Izmir en Turquie, pose le jeune homme et ses amis face à leurs limites. « Je savais que c’était un cimetière et je ne savais pas nager », explique Zazaï. Quelques heures avant le départ, les trois garçons s’échappent. Ils préfèreront poursuivre le voyage par la Bulgarie.
Lors d’une promenade à Côme, en Italie, en attendant un train pour Paris, Zazaï découvre admiratif le livre de la jeune Pakistanaise résistante aux talibans et prix Nobel de la paix en 2014 Malala Yousafzai, exposé sur une affiche dans la vitrine d’une librairie. « Ce soir-là, je me suis dit, moi aussi j’écrirai un livre ! », se remémore-t-il.
À son arrivée à Paris, Zazaï se souvient de son choc de voir des couples d’hommes dans la rue :
« Je ne pouvais pas m’empêcher de les regarder. Mes copains m’ont dit d’arrêter. Maintenant, je sais que c’est normal. »
Un voyage à 13 000 euros
À Paris, ses documents falsifiés produits par les passeurs l’excluent des dispositifs d’aide pour les mineurs isolés. Sur les conseils d’une connaissance, l’adolescent part alors tenter sa chance à Strasbourg. Au total, son voyage aura duré six mois et coûté 13 000 euros.
Huit ans plus tard, Zazaï a pris goût aux séances de cinéma, aux camemberts pasteurisés et aux tartes flambées. Il se déplace régulièrement en Suisse et en Allemagne pour défendre les couleurs de Strasbourg dans les tournois de cricket. Il aimerait désormais faire des émules au sein de son club sportif l’US Egalitaire. « Les femmes intéressées ne sont pas encore assez nombreuses pour former une équipe », regrette-t-il.
« Mes copains de lycée m’ont tous dit qu’ils allaient lire mon livre », se félicite le jeune électricien, diplômé d’un bac professionnel en alternance. En 2019, Zazaï a pu rendre visite à sa famille réfugiée au Pakistan. Maintenant que sa vie en France est lancée, le jeune homme se sent la responsabilité de faire profiter son pays d’origine de son expérience ici, « sur les droits des femmes surtout ». En France, il aspire à créer sa propre entreprise d’électricité et à aider les demandeurs d’asile.
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