La campagne des élections régionales de décembre était jusqu’à ces jours-ci un peu morne. Mais l’accueil de réfugiés en France a poussé les partis politiques à se positionner, révélant des positions diamétralement opposées selon les camps. Et pour les présidents de région, il est parfois difficile de distinguer ce qui relève de la gestion des affaires courantes de la fin de mandat ou des signaux politiques pour la campagne à venir. D’autant qu’il n’y a pas de budget à boucler dès décembre et que la nouvelle région Alsace – Lorraine – Champagne – Ardenne (ALCA) devra se mettre d’accord sur le sien entre janvier et mai 2016.
En Lorraine, Jean-Pierre Masseret débloque 200 000€
En Alsace et en Lorraine, les deux présidents Jean-Pierre Masseret (PS en Lorraine) et Philippe Richert (« Les Républicains », ex-UMP, en Alsace), tous deux candidats, ont pris des décisions opposées. Jean-Pierre Masseret a débloqué 200 000 euros pour aider les communes et associations lorraines :
« Il est indispensable de se mobiliser collectivement pour répondre à la détresse de nombreuses familles déracinées, fuyant les conflits qui règnent dans leur pays. Ce sujet doit tous nous rassembler, au-delà des échéances électorales à venir et des prises de positions tactiques et politiciennes flattant les plus bas instincts. »
D’autres régions PS ont pris des décisions similaires (les deux régions de Normandie, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon). Mais la Région Champagne-Ardenne dont le président PS n’est pas candidat ne l’a pas fait.
Comme l’explique un article du Monde, le discours du PS, jusque-là tétanisé par le FN, a très vite évolué sous impulsion de l’Allemagne (dirigée par la droite). Le sujet est presque consensuel dans les rangs socialistes et le parti a trouvé une cause commune qui lui a manqué depuis le début du quinquennat de François Hollande. Au passage, c’est aussi l’occasion de capitaliser pour les futures élections. Les conflits qui amènent des réfugiés en Europe étant amenés à durer, les solutions devront être de long terme.
Remobiliser les franges déçues du PS
Cette soudaine prise de conscience suffira-t-elle pour (re)mobiliser les militants et les sympathisants du PS qui ont été déçus par le gouvernement ? Rappelons que cet été encore, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve se targuait devant l’Assemblée nationale de réaliser plus d’expulsions que la droite, au grand désespoir d’une partie des électeurs de gauche. « Au moins maintenant on débat de ce sujet. Avant ce n’était même pas le cas », raconte un militant socialiste alsacien.
À Strasbourg, les membres les plus à gauche de la majorité socialiste, parfois critiques envers le gouvernement comme Mine Gunbay (sans étiquette), Syamak Agha Babaei (PS) ou l’écologiste Marie-Dominique Dreyssé, se sont montrés actifs aux côté de Nawel Rafik Elmrini, adjointe au maire en charge des relations internationales. Ils ont essayé de coordonner l’embryon d’action avec les associations strasbourgeoises, en attendant que le nombre de personnes accueillies soit connu ce samedi 12 septembre et que des mesures concrètes soient pilotées par la préfecture.
À l’appel de son premier secrétaire, le PS a intensément communiqué sur le sujet avec notamment des photos et des pancartes, « l’accueil, pour moi c’est oui ». Les différentes fédérations, dont celle du Bas-Rhin, se sont pliées à l’exercice sans que l’on sache si le slogan engage le pays, la commune, le parti voire directement les porteurs de l’affichette, ni dans quelle mesure.
Philippe Richert : « ce n’est pas la compétence d’une région »
Plus tôt dans la semaine, lundi 7 septembre, lors d’un déjeuner de presse, le président de la Région Alsace, Philippe Richert avait expliqué que l’aide aux réfugiés n’est pas une compétence des régions :
« Bien sûr, je suis sensible comme tout citoyen aux images et au sort de des réfugiés. On ne peut pas laisser des personnes mourir et ne rien faire. Mais les solidarités sont une compétence des départements. »
La loi NOTRe entrée en vigueur le 7 août supprime en effet la clause de compétence générale, qui permettait à toutes les collectivités d’intervenir sur tous les sujets (seules les communes gardent cette prérogative désormais). Mais les interprétations sur les marges de manœuvre des régions divergent. Pour un attaché parlementaire alsacien, cela dépend à quoi cet argent est alloué.
Par exemple, s’il finance des cours de Français, cela tombe dans le domaine de l’Éducation, qui relève entre autres des Régions. Le conseil régional lorrain nous a répondu que l’argent serait dépensé sous forme d’une dotation directe d’aide aux communes et aux associations et que « étant donné l’urgence il était parfois nécessaires d’outrepasser ses fonctions ».
Avec sa position Philippe Richert tente, lui, de parler à un électorat de droite et de centre-droit sensible à cette actualité, notamment dans les milieux chrétiens-démocrates, c’est-à-dire ses racines politiques, sans pour autant hérisser une autre frange de la droite bien moins disposée à l’accueil de réfugiés (68% des sympathisants de droite y seraient défavorables selon un sondage Odoxa pour Paris Match et iTélé).
À Rixheim, un maire sarkozyste met des logements à disposition
Le week-end précédent, sa colistière Nadine Morano a regretté lors d’un meeting que la France soit « à la remorque de l’Allemagne », mais être contre l’idée de quotas (proposition pourtant de l’Allemagne) et que « la seule solution » était de régler le conflit syrien. L’ancienne ministre s’est dit pour une intervention militaire en Syrie.
En revanche, Philipe Richert a débloqué 480 000 euros pour l’abattoir de Holtzheim – en soutien à l’agriculture régionale – auxquels s’ajoutent 150 000€ pour l’irrigation des cultures spécialisées. Là aussi, le président d’Alsace s’adresse à une frange de la population qui correspond à son électorat. Ces conventions avec l’actuelle Région Alsace courent sur 3 ans. À charge pour la future grande région de tenir cet engagement.
Inquiètes pour leur avenir, d’autres associations alsaciennes ont essayé de négocier une disposition similaire avant la fusion, mais Philippe Richert dit avoir refusé ou réduit sur un an pour ne pas trop contraindre le budget de la future région. Toujours dans l’article du Monde, le porte parole de « Les Républicains » Sébastien Huyghe explique qu’en attendant la position commune du parti le 16 septembre « le cas par cas » domine. Exemple en Alsace, le sarkozyste maire de Rixheim (Haut-Rhin) Olivier Becht a par exemple décidé d’accueillir deux familles de réfugiés dans des logements sociaux vacants de la commune.
L’extrême-droite, plus à droite que dans le passé
L’occasion était trop belle pour le Front national et, un peu plus étonnant, pour le parti souverainiste Debout la France (DLF), de s’insurger contre la décision de Jean-Pierre Masseret et de parler de son sujet favori, l’immigration, là aussi au prix de contradictions.
La tête de liste de DLF Laurent Jacobelli a dénoncé sans nuance une opération « pour aider ceux qui entrent clandestinement dans notre pays », alors même que le chef de son parti Nicolas Dupont-Aignan avait pris position pour que la France s’occupe dignement des migrants à leur arrivée en France, notamment pour se distancier du FN, par exemple lors d’une interview sur Europe 1 en février. Difficile désormais de voir la différence.
Dans un communiqué, Florian Philippot a, lui, mélangé les concepts de réfugiés, migrants et d’immigration ou s’est lancé dans des doubles suppositions (« gageons que si des travaux sont effectués, ils le seront par des travailleurs détachés comme à l’université d’été du PS »). Pourtant le 15 août, le même Florian Philippot, comme l’ensemble du FN, avait manifesté son soutien et ses « pensées » pour les chrétiens d’Orient, eux aussi victimes de Daech en Syrie et parfois membres des délégations actuelles de migrants. En 2014, son collègue Louis Alliot était favorable à ce que le droit d’asile leur soit appliqué, mais de manière « restreinte » à ces derniers. Cette fois-ci il n’y a même plus de compassion ou de « pensées » pour les victimes de Daech qui ne sont pas toutes chrétiennes.
Les autres partis ont été plus discrets. Avant la manifestation du samedi 5 septembre, les écologistes en Alsace ont appelé à ce que Strasbourg et l’Alsace participent à l’accueil des réfugiés, mais ne se sont pas agités ensuite sur la question. Le Front de gauche a toujours défendu une politique plus souple que les actions mises en place en ce moment en Europe. Mais l’institution garante de l’accueil de migrants est l’État à travers la préfecture, moins politique et plus discrète. Pour l’instant les dispositifs d’accueil en dehors de la région parisienne ne sont pas encore connues. La réunion du ministre de l’Intérieur avec les maires concernés samedi 12 septembre devrait nous en apprendre davantage.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : tous nos articles sur les réfugiés
Sur Rue89 Strasbourg : tous nos articles sur les élections régionales 2015
Sur Loractu.fr : En Lorraine, l’enveloppe de la région pour les réfugiés fait polémique
Sur Le Monde : La crise des migrants contraint les politiques français à clarifier leur discours
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