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Comment l’accession sociale à la propriété favorise la spéculation, exemple à Strasbourg

Dans la résidence La Saulaie du quartier Danube à Strasbourg, un appartement acquis grâce au dispositif d’accession sociale a été rapidement revendu par son propriétaire… avec une marge de plusieurs dizaines de milliers d’euros.

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Comment l’accession sociale à la propriété favorise la spéculation, exemple à Strasbourg

Un appartement acheté environ 230 000 euros grâce à des aides publiques… revendu six semaines plus tard pour 370 000 euros. La bonne affaire a eu lieu dans la résidence « La Saulaie », située à côté de la tour Elithis, dans le quartier Danube sur l’axe Deux-Rives de Strasbourg. Le bailleur social CDC Habitat y a fait construire cet ensemble livré en novembre 2020. Il comprend des habitations pour personnes handicapées, plus de 300 mètres carrés de surfaces commerciales et 24 logements en accession sociale.

TVA réduite et prix du mètre carré attractif

Ce dispositif du Prêt Social Location-Accession (PSLA) permet à des ménages aux revenus modestes d’acheter un appartement en profitant d’un tarif réglementé du mètre carré. En zone B de moyenne tension immobilière, comme à Strasbourg, un foyer de deux personnes peut profiter du PSLA si ses revenus sont inférieurs à 33 761 euros par an. Le ménage bénéficiera alors d’un prix de vente plafonné pour l’appartement, 3 861 euros par mètre carré (hors TVA) à Strasbourg. Une affaire pour le centre-ville, mais cette aide publique permet à des foyers modestes de s’installer. En contrepartie, les bénéficiaires du PSLA doivent rester et habiter dans leur bien, qui doit être leur résidence principale.

Le dispositif PSLA offre un autre avantage aux foyers modestes : une TVA réduite (5,5% au lieu de 20%). Pour l’achat d’un appartement à 230 000 euros, la TVA réduite permet ainsi une économie de plus de 33 000 euros.

Sauf qu’un appartement acheté grâce à ces conditions avantageuses en avril a été revendu en mai au prix du marché. L’information, que Rue89 Strasbourg a pu vérifier, a été déposée sur notre plateforme anonyme et sécurisée.

Résidence La Saulaie, construite par le bailleur social CDC Habitat, livré en novembre 2020 avec 14 appartements en accession-location. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Un appartement acheté 233 000 euros revendu 370 000 euros

Après deux ans d’occupation en tant que locataire, Jérôme (le prénom a été changé) a acheté son quatre pièces de 75 m² à la résidence « La Saulaie » pour 233 000 euros soit 3 107 euros du mètre carré (€/m²) grâce au dispositif d’accession sociale. Six semaines plus tard, Jérôme a mis en vente le même appartement sur LeBonCoin avec une annonce titrée « 4 pièces de 2020 début Neudorf ». Prix du bien : 370 000€ pour la même surface (soit plus de 4 900 €/m²), une augmentation de 60% ! Contacté, le propriétaire vendeur n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.

L’un des appartements de la résidence a déjà été revendu, quelques semaines à peine après avoir été acheté. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Sollicité sur cette vente, le bailleur social CDC Habitat a refusé de communiquer sur le cas précis de Jérôme en invoquant le respect de sa vie privée avant d’ajouter : « Une fois le produit vendu, nous ne pouvons légitimement intervenir sur sa cession ultérieure. » En d’autres termes, CDC Habitat n’a aucun moyen de contraindre le propriétaire de l’appartement à vendre en dessous d’un certain prix.

Concernant la TVA réduite associée au dispositif PSLA, le bailleur social a indiqué que le vendeur peut revendre son bien sans rembourser la réduction de TVA à condition de respecter l’une des exceptions énoncées par l’administration fiscale, comme le « décès d’un descendant direct faisant partie du ménage » ou la « mobilité professionnelle impliquant un trajet de plus de 70 km entre le nouveau lieu de travail et le logement en cause ». Sur son profil LinkedIn, Jérôme indique travailler à Porto, au Portugal, depuis juillet 2022.

Une autre revente à prix fort dans la même résidence

Mais le cas de Jérôme n’est pas isolé au sein de cette résidence. Au deuxième étage du bâtiment vert et orange de La Saulaie, un panneau Foncia indique un appartement vendu. De l’autre côté de la bâtisse, un écriteau Century 21 annonce un logement à vendre. Sur LeBonCoin, une offre a été publiée au début du mois de septembre pour un « appartement Quartier Danube ». Prix du bien : 370 000 euros.

Un autre appartement était indiqué à vendre au début du mois de septembre 2022. Une annonce postée sur LeBonCoin a rapidement disparu. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Très vite l’annonce a disparu du site. Sur place, nous avons aperçu un panneau de l’agence immobilière Century 21 accroché à une terrasse du deuxième étage. L’entreprise vend le trois pièces de 62,7 m² à 395 000 euros. Grâce au tarif réglementé de 3 861€/m², l’appartement a été acheté à environ 242 000 euros.

« Le risque d’effet d’aubaine est important »

Les risques liés aux contrats de PSLA sont connus des bailleurs sociaux. Ainsi, un article du magazine Union Habitat, une fédération d’organismes HLM, indiquait en septembre 2018 :

« Dans un contexte de hausse des prix de l’immobilier et de marché tendu, le risque d’effet d’aubaine est plus important et certains vendeurs souhaiteront le limiter, cette situation sera d’autant plus probable que le prix de vente des logements concernés aura été fixé à un montant inférieur à celui du marché, d’où une possibilité accrue de plus-value importante en cas de revente, y compris à court terme. »

Dès septembre 2018, ce même article conseillait les bailleurs sociaux sur « la mise en œuvre d’un dispositif anti-spéculatif » autour des contrats de PSLA.

Directeur interrégional adjoint Nord Est de CDC Habitat, Éric Troussier indique simplement que « si le cadre réglementaire est respecté, nous n’avons pas le droit de poursuite ». Ce dernier parle d’un épiphénomène parmi la cinquantaine d’appartements mis en vente en PSLA par le bailleur dans le Grand Est. Pourtant, sa collègue directrice de développement Cécile Simonin indique « ne jamais avoir été alerté sur ce phénomène ». En fin d’entretien, Éric Troussier finit par admettre : « C’est vrai que ça mériterait des outils supplémentaires, mais charge au législateur de mettre en places des gardes-fous. »


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