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Abdelkader, du rêve d’une vie en France à la détresse de l’irrégularité administrative

Orienté vers la France par l’Institut français en Algérie, Abdelkader a débarqué à Metz en 2010. Mais les étoiles ont rapidement pâli pour cet étudiant sérieux et travailleur. Diplômé, il n’obtient pas de titre de séjour et devient à la merci des profiteurs. Récit d’un parcours de migration ordinaire.

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Abdelkader, du rêve d’une vie en France à la détresse de l’irrégularité administrative

Il ne compte plus les lettres de soutien, les promesses d’embauches, les certificats, et autres documents officiels. Malgré un « dossier en béton », Abdelkader Haouaia avoue qu’il ne s’autorise plus à espérer, « de peur de subir encore une déception ». Cela fait 5 ans qu’il essaye inlassablement de régulariser son séjour en France :

« Tout ce que je demande, c’est l’autorisation de travailler. Il n’y a aucune aide sociale pour les sans papiers. Je suis condamné à vivre sans ressources, dans une précarité extrême, depuis 2015. Je n’en peux plus. »

En ce mois de février 2021, Alexandre Bucher, manager d’une agence Gezim Intérim, « n’attend plus que l’autorisation de la préfecture » de Meurthe-et-Moselle pour l’embaucher en CDI intérimaire. « Le contrat est prêt depuis des mois », ajoute t-il. La demande de titre de séjour a été envoyée en septembre. Aujourd’hui, Abdelkader n’a toujours pas de retour. Le délai réglementaire de réponse de 4 mois pour une demande de titre de séjour étant dépassé, il s’ensuit, pour le moment, une décision implicite de refus.

La France incite les jeunes algériens à venir étudier

Originaire de Mascara, au nord-ouest de l’Algérie, il ne s’attendait pas à autant de difficultés en France. En 2006, pendant sa terminale, l’enseignante de français évoque Campus France devant la classe d’Abdelkader. Cet organisme public français, présent dans 126 pays à travers le monde, incite des jeunes à venir étudier dans l’Hexagone. Il se rend alors à l’espace Campus France le plus proche de chez lui, à l’Institut français d’Oran, opérateur du ministère français des Affaires étrangères.

« C’est là qu’on m’a détaillé les démarches à suivre pour venir étudier ici, et obtenir ensuite une régularisation par le travail », se souvient-il. Devant le chômage de masse chez les jeunes et l’absence de perspective professionnelle en Algérie, il se met à rêver d’une vie « de l’autre côté de la Méditerranée ».

Avec du recul, Abdelkader analyse : « À l’Institut français, ils nous disaient tout ce qu’on voulait entendre. Ils voulaient surtout qu’on paye les cours de français et les passages d’examens. » Photo : Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas

« Si vous saviez le nombre de sacrifices que j’ai réalisé depuis… J’ai tout misé là-dessus, mais c’est aussi parce qu’on m’a encouragé à le faire. Si j’avais su que ça se passerait si mal, je ne serais pas venu », souffle t-il, la voix étouffée. Campus France exige de faire des études supérieures en Algérie d’abord. Il s’inscrit donc à la faculté de lettres à Mostaganem, à 120 km à l’est d’Oran. En même temps, pour financer ses études, il travaille en tant que plombier et animateur de colonie de vacances.

Un parcours vers la France commencé en 2006, en Algérie

Afin d’obtenir son visa étudiant, il est aussi obligé de subir le Test de connaissance du français (TCF). Pour se présenter à l’examen, suivre des cours de langue et passer un entretien obligatoire avec un psychologue, il verse « plus de 30 000 dinars » (environ 190€), une somme conséquente pour lui, à l’Institut français d’Oran, qui se finance à plus de 50% grâce à ses recettes.

En 2010, après avoir passé une maîtrise en Algérie, et obtenu le niveau B1 au TCF, il est pris à l’université Paul Verlaine de Metz, pour une licence en sciences de l’information et de la communication. Abdelkader découvre la vie étudiante française. Pour lui, c’est un choc. Il se rappelle :

« Le premier jour, dans l’amphi, tout le monde avait son ordinateur. Moi je n’osais pas sortir ma feuille et mon stylo. »

Abdelkader s’est rapidement intégré en France. Il désigne ses nouveaux amis comme sa « famille de cœur ». Photo : Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas

Rapidement, il s’adapte, crée des liens avec des camarades qui deviennent des amis, et apprécie son nouveau mode de vie. Comme il est étudiant étranger, il ne peut demander aucune aide :

« Mon père m’a prêté 1 500 euros qu’il avait réussi à économiser pour que je sois tranquille en arrivant. C’est parti en fumée en 2 mois, avec le loyer de ma chambre étudiante, ma caution, et l’inscription à l’université. Donc j’ai immédiatement cherché du travail. »

Abdelkader expose les dizaines de fiches de paie du Crous de Nancy et de ses contrats d’intérim qui lui ont permis de payer son loyer :

« Je ne dormais pas beaucoup mais au moins j’avais le droit de travailler avec mon titre de séjour étudiant. »

Une entreprise strasbourgeoise emploie Abdelkader au noir

Tout bascule en 2015. En avril, il entre en contact avec Abbou Tayeb Rachid, P-DG du groupe Astuce France, basé à Strasbourg. « Il m’a alors promis à l’oral et sur une conversation WhatsApp qu’il allait faire la démarche nécessaire pour obtenir un titre de séjour pour salarié, » explique t-il. Pour ce faire, Abdelkader doit signer un contrat de travail dans les deux mois précédents la fin de validité de sa carte de séjour d’étudiant, soit le 1er septembre :

« On a échangé pendant plusieurs mois. Il me disait qu’il allait m’embaucher pour un poste dans la communication. C’était exactement ce que je voulais faire suite à mes études. Après l’obtention de ma maîtrise, j’ai donc déménagé pendant l’été à Strasbourg, laissant derrière moi des opportunités à Metz. J’ai travaillé au noir pour les filiales Astuce Sécurité, Rayan Distri et Rayan Net. Le patron me demandait ce service. Avec l’échéance qui approchait, je lui demandais les papiers nécessaires pour ma régularisation et il me disait que c’était en cours. Fin août, juste avant que le délai soit passé, il m’a dit que ça n’était plus possible. »

Dans le regard d’Abdelkader, de l’abnégation, mais aussi de l’angoisse, et la marque d’une période trouble qui n’en finit pas. Photo : Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas

Contacté par téléphone, l’entreprise Astuce indique d’abord qu’Abdelkader n’a jamais travaillé pour le groupe. Lors d’un deuxième échange, la chargée de communication annonce cette fois-ci qu’il a signé un contrat de travail avec Rayan Net, une filiale spécialisée dans le nettoyage, pendant l’été 2015, et qu’il a été licencié pour absences injustifiées. « C’est absolument faux ! », s’exclame Abdelkader, qui assure n’avoir « jamais signé de contrat de travail » avec cette société : « Ils m’ont effectivement envoyé deux fiches de paie de Rayan Net en septembre pour se couvrir, j’étais étonné par cette manœuvre. » La communicante maintient cependant qu’il n’a jamais travaillé pour Astuce Service, une entreprise de sécurité. Elle ajoute que « le groupe respecte toujours le cadre légal et que son P-DG n’a jamais fait de fausses promesses à Abdelkader. »

En plus du témoignage d’Abdelkader, cette photo de lui avec le gilet estampillé « astuce sécurité », de la société Astuce Service, contredit la version de l’entreprise. Photo : remise

En situation irrégulière mais attaché à sa vie en France

Rue89 Strasbourg a pu consulter un mail daté d’avril 2015 envoyé par Abdelkader à l’adresse mail de Rayan Distri, une autre filiale du groupe Astuce. Le courriel contient un dossier qu’il a produit, intitulé « plan de communication ». Le jeune homme nous a aussi envoyé des photos sur lesquelles il porte un gilet portant la mention Astuce sécurité, de l’entreprise Astuce Service. Selon lui, elles ont été prises à la Fête de la musique de Nancy en juin 2015. Me Claude Berry, avocate de permanence qui a ensuite défendu Abdelkader, commente :

« Dans une démarche de régularisation, un petit pépin peut avoir des conséquences dramatiques. C’est rageant quand on voit toute la motivation et la bonne volonté d’Abdelkader. Là, c’était le début des problèmes pour lui. Plus largement, cela arrive régulièrement que des patrons se servent des sans-papiers qu’ils font travailler illégalement, en sachant qu’ils n’auront pas la possibilité de les attaquer. »

Quelques jours plus tard, le 1er septembre 2015, il est en situation irrégulière sur le territoire français. À partir de là, impossible de trouver un travail légal ou de reprendre des études pour aller jusqu’au master. Il fait appel à l’association La Cimade à Strasbourg, qui propose une aide administrative aux étrangers en difficulté. Avec Me Claude Berry, il décide de tenter l’obtention d’un titre de séjour « vie privée et familiale » auprès de la préfecture.

Il parvient à réunir une trentaine d’attestations d’amis étudiants, de collègues de travail, d’anciens employeurs, de dirigeants du Maxéville Football Club où il s’est inscrit. Son dossier est envoyé en novembre. Après 5 ans en France, « c’est inimaginable de partir » pour lui. Il a « toute sa vie, ses meilleurs amis et ses projets professionnels ici ».

Mais en février 2016, la préfecture du Bas-Rhin ne valide pas son titre de séjour et lui assigne une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sous 30 jours. Pour lui, c’est « un traumatisme grave ». Les décisions de délivrance ou non des titres de séjour sont prises dans un cadre flou. Dans certains cas, elles sont obligatoires aux yeux de la loi. Souvent, elles dépendent de la liberté d’appréciation du préfet suite à son analyse de la situation. Immédiatement, Abdelkader dépose une requête devant le tribunal administratif de Strasbourg pour contester la décision. Le tribunal lui donne raison en juillet 2016, et demande au préfet de réexaminer son cas dans un délai de 2 mois.

Comme les autres sans-papiers, il est souvent en suspens. Pendant des mois, Abdelkader attend des réponses à ses demandes, et en attendant, il angoisse et vit sans ressources. Photo : Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas

La descente aux enfers

La préfecture lui répond 8 mois plus tard, le 28 février 2018. C’est toujours non. Nous avons pu lire des mails qui prouvent que pendant cet intervalle de temps, des candidatures d’Abdelkader ont été retenues pour une formation de vendeur automobile et pour un travail dans une centrale d’appels. En situation irrégulière, il ne peut pas y donner suite :

« Tout ces délais sont très difficiles à vivre. Je suis en suspens, je fais tout ce que je peux pour améliorer ma situation, mais finalement ça ne sert à rien. Souvent, je doute de moi. Je me demande si je ne suis pas un criminel à force d’être dans des démarches juridiques visant à légaliser mon séjour. Parfois, je me dis que ça serait plus simple de mettre un terme à tout ça. Je me sens brisé. »

« Je me suis toujours bien comporté, je me bats juste pour m’en sortir, comme tout le monde. Mais aux yeux de la France, je suis hors la loi. » Photo : Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas

Des répercussions sur sa santé

Depuis son premier passage au tribunal, il a des problèmes de santé à cause du stress. Rue89 Strasbourg a pu s’entretenir avec Nicolas Dry, son médecin traitant, qui le suit depuis plus de 5 ans et qui a été autorisé par Abdelkader à nous communiquer des informations :

« Le stress lui cause régulièrement des gastrites et des remontées acides. Comme il est obligé de travailler au noir, souvent dans le bâtiment, dans des conditions plus difficiles que la normale, il a presqu’en permanence des tendinites et d’autres problèmes articulaires. Sur le plan psychologique, les échecs répétés qu’il subit dans ses démarches administratives lui causent un syndrome dépressif réactionnel sévère. Il a de grosses baisses de motivation, une sensation d’impuissance, il s’isole parfois. Tout ça l’affaiblit de plus en plus. Heureusement, c’est un battant. Mais il ne faudrait vraiment pas que cette situation s’éternise. »

Comme souvent, le médecin traitant d’Abdelkader doit lui prescrire des médicaments pour lutter contre ses problèmes d’estomac liés au stress. Photo : Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas

Françoise Poujoulet, déléguée nationale Grand Est de La Cimade, évoque les répercussions des parcours administratifs pour les demandeurs d’asile et les sans-papiers :

« De manière quasi systématique, les démarches perdurent avec de longs délais et plongent les personnes dans une précarité matérielle et psychologique importante. Souvent, en plus, ils subissent des refus qui brisent leurs espoirs d’un coup, malgré des dossiers constitués pendant des mois parfois. L’histoire d’Abdelkader raconte celle de dizaines de milliers de personnes en France. Les statistiques sur les sans-papiers sont inexistantes, mais on estime qu’ils sont environ 300 000 présents sur le territoire. »

La Cimade prône une politique d’hospitalité avec un plan constitué de 40 propositions. Il s’agit notamment de permettre plus facilement l’accès au travail. Interrogée sur les raisons du refus systématique du titre de séjour à Abdelkader et sur les délais de réponse, la préfecture du Bas-Rhin n’a pas donné suite à notre sollicitation.

Soutien d’un député et d’un vice président du conseil départemental

Suite au second refus, Abdelkader ne renonce pas et initie un nouveau recours en mars 2018. Entre temps, il obtient une promesse d’embauche de la société Strasbourg Handling qui opère à l’aéroport d’Entzheim. Le député Sylvain Waserman (Modem) et le vice-président du conseil départemental Jean-Philippe Maurer (LR) lui témoignent leurs soutiens et envoient chacun une lettre au préfet du Bas-Rhin, qui est en mesure de changer d’avis et de lui délivrer un titre de séjour à tout moment.

La préfecture ne donne pas suite. Cette fois-ci, la décision de refus est confirmée par le tribunal administratif de Strasbourg en juillet 2017, et par la Cour d’appel de Nancy en octobre 2018.

Une expulsion locative en mars 2019

Abdelkader n’a toujours pas l’intention de rentrer. Au contraire. Pendant les nombreux temps d’attente qu’il subit, ne pouvant pas obtenir de contrat de travail, il s’implique dans la vie associative. Il passe les certificats fédéraux 1, 2 et 3, pour être entraîneur de football et exerce au FC Geispolsheim, puis à l’ASLC Berstett. Il est également attaché de presse et infographiste bénévole pour les associations Céméa Alsace et l’Éveil de la Meinau.

Pour payer ses factures, Abdelkader continue à travailler au noir dans le bâtiment, fait du babysitting et du jardinage chez des particuliers. Mais cela ne suffit pas. En mars 2019, il est expulsé de son appartement avenue de Colmar :

« Ça a été très difficile. Heureusement, une bonne connaissance de Nancy était disposée à m’héberger sur le long terme. Depuis, même si je passe de temps en temps en Alsace pour rendre visite à des amis ou pour des missions au noir, j’habite à nouveau en Lorraine. J’ai recontacté l’agence Gezim Intérim de Metz pour laquelle j’avais travaillé en étant étudiant. Ils proposaient un CDI intérimaire de magasinier et préparateur de commande sur Pôle emploi. J’ai postulé et ils ont voulu m’embaucher comme j’avais déjà fait ça pour eux. Depuis, je tente d’obtenir une autorisation de travail. »

Un nouvel employeur à Metz

Alexandre Bucher, directeur de la succursale messine de Gezim Intérim, témoigne de sa volonté d’employer Abdelkader :

« Je lui fais entièrement confiance. C’était un travailleur exemplaire déjà quand il était étudiant. On n’avait que des retours positifs. On se demande combien de temps cette situation va durer. Il est très bien intégré chez nous. On fera toutes les démarches nécessaires pour l’embaucher. »

Abdelkader met plus de 4 mois à constituer sa demande d’autorisation de travail, et la dépose en juillet 2019. Mais la préfecture lui refuse rapidement son titre de séjour sous prétexte qu’il manque des éléments. Il doit alors reconstituer le dossier avec son potentiel employeur, qui est contraint de redemander des documents de son côté. « L’extrait Kbis de Gezim Intérim, à demander au tribunal de commerce et nécessaire à la demande, est arrivé un an et un mois plus tard, en août 2020, » constate Abdelkader. Il fait alors appel à un avocat, Me Sébastien Dollé, avec lequel il finalise la démarche. Il envoie le tout, plusieurs centaines de pages, en septembre 2020.

Et maintenant, « on croise les doigts »

Fin février 2021, 5 mois plus tard, la préfecture de Meurthe-et-Moselle n’a donné aucune suite à sa demande. Comme le délai de 4 mois est dépassé, ce silence signifie un refus. Me Sébastien Dollé estime qu’avec « un profil comme le sien », qui « témoigne d’une telle abnégation », Abdelkader a « toutes ses chances d’être régularisé ». Le 1er février, l’avocat a écrit à la préfecture pour connaître la motivation de la non-validation.

Comme il est sur le territoire français depuis plus de 10 ans maintenant, conformément à l’article L. 313-14 du Code du séjour des étrangers, il devrait au moins être soumis à l’avis de la commission du titre de séjour. « Cette démarche, peut durer longtemps au vu du contexte sanitaire », prévient Me Dollé : « On croise les doigts pour que la préfecture accepte enfin de lui autoriser de vivre en France. Il n’y a pas grand chose qui peut encore justifier un refus aujourd’hui. »

De son côté, Abdelkader se dit « au bord de la rupture », après « tant d’années à batailler » et la possibilité de « vivre simplement à portée de main ».


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