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A vot’ bon cœur, m’sieurs-dames, pour finir ma thèse

Olga Turcan est chercheuse en sciences du langage à l’Université de Strasbourg. Après avoir cumulé des petits boulots et des bourses, elle doit aujourd’hui faire appel à la générosité publique pour boucler sa thèse.

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Olga Turcan espère pouvoir boucler ses recherches grâce à la générosité du public (Doc remis)

Olga Turcan espère pouvoir boucler ses recherches grâce à la générosité du public (Doc remis)
Olga Turcan espère pouvoir boucler ses recherches grâce à la générosité du public (Doc remis)

3voix_internauteQui sait que le français est la première langue enseignée en Moldavie ? Et pourtant, dans ce petit pays coincé entre la Roumanie et l’Ukraine, on parle plus français qu’au Vietnam. D’où vient cet intérêt pour notre langue ? Mystère… mais plus pour longtemps. Olga Turcan, chercheuse en sciences du langage à l’Université de Strasbourg et moldave, s’apprête à retracer les origines et les logiques qui ont implanté le français dans ce pays, longtemps sous domination ottomane.

Elle travaille sur sa thèse depuis bientôt six ans mais, dans sa matière, les bourses disponibles n’assurent que trois années de recherche. Olga Turcan a toujours travaillé à côté de ses recherches : vacataire à l’université, secrétaire, assistante administrative… Des petits contrats qui lui ont permis de boucler son budget. Mais là, elle est dans une impasse :

« A la fin d’une thèse, quand on s’attelle à la rédaction, on ne peut plus être interrompu sans arrêt pour se consacrer à d’autres tâches… C’est un travail qui nécessite beaucoup de concentration, sur au moins huit mois dans mon cas. Ayant épuisé toutes les possibilités de financement public dans mon domaine, des amis m’ont convaincue d’utiliser une plate-forme de financement public. »

Olga Turcan a inscrit le financement de la dernière année de sa thèse sur Indiegogo, une plate-forme de « crowdfunding« , de financement participatif. L’objectif est de réunir 5 230$ avant le 1er mai. Les participants ont déjà rempli 35% du budget, mais il ne reste plus que 11 jours. Dix personnes ont envoyé 5$ et recevront un email de remerciement, 7 personnes ont choisi le ticket à 25$ et recevront une vidéo d’Olga Turcan jouant du violon « avec passion »… Les tickets vont jusqu’à 200$, somme pour laquelle les financeurs seront crédités sur la thèse et la recevront en PDF. Mais personne n’a encore choisi cette option.

« Pour l’amour du français »

Pour Olga Turcan, même si la démarche peut surprendre, il n’est pas question de mendicité :

« Sur Indiegogo, il y a plus de 3 000 pages pleines de projets à financer, tous très sérieux. Le crowdfunding permet de faire appel à la générosité des gens, qui peuvent ainsi choisir très précisément où va leur argent et opter pour des projets qui sont proches de leurs intérêts. C’est vraiment très bien. Moi, avec ma thèse sur le français en république moldave, je m’adresse à tous les amoureux de la langue de Molière, tous ceux qui voudraient que la recherche progresse dans ce domaine qui participe au rayonnement de la France. Je suis sûr qu’ils sont nombreux ! »

La construction de la thèse d'Olga Turcan.
La construction de la thèse d’Olga Turcan.

Le crowdfunding est certes une démarche intéressante qui a permis de financer des reportages ou des programmes humanitaires, mais est-elle adaptée à la recherche en sciences sociales ? Nicolas Dehorter, auteur de Crowdfunding, réussissez votre campagne, en doute :

« La difficulté pour financer de tels projets va être dans les retours pour les financeurs. Ils attendent quand même quelque chose, une photo, un livre, un crédit… Or être au générique d’un film peut plus facilement séduire qu’être dans les remerciements d’une thèse. L’autre possibilité est d’apporter la preuve d’un bénéfice concret pour la recherche ou le progrès humain. C’est ce qui se passe avec le Téléthon par exemple, qui est du crowdfunding de la recherche en santé. Ce sera plus difficile à démontrer en sciences sociales. »

Un financement encore jamais utilisé pour une thèse

Le crowdfunding a déjà été utilisé pour financer des voyages devant étoffer la recherche mais jamais dans le cadre d’une fin de thèse de doctorat. Olga Turcan est néanmoins déterminée à être la première à réussir ce pari. Les chercheurs en sciences sociales n’ont de toutes façons pas beaucoup de choix. Après l’allocation de recherches sur trois ans, ils n’ont pas accès aux conventions industrielles (CIFRE), qui sont surtout signées dans les sciences exactes. Même chose pour les contrats doctoraux proposés par l’université, le CNRS ou encore la Région, qui ne concernent par les sciences du langage.

Pour le président de l’Université, Alain Beretz, le financement participatif est un bon signal :

« Nous sommes bien conscients que les thèses en sciences sociales sont moins financées que les autres. Nous essayons, avec la Fondation, de pallier ce déséquilibre. Néanmoins, la Fondation est jeune (2010), encore peu dotée (500 000€ / an) et les mentalités sur les donations en France sont encore très loin de permettre une prise en charge au niveau des besoins de nos doctorants. Un financement par crowdfunding envoie un signal positif, ça indique que le public soutient une cause, une recherche. C’est important, tant que ce financement n’est pas assorti de contraintes intellectuelles, que le chercheur soit totalement libre de mener ses travaux. »

A l’Université de Strasbourg, 76% des docteurs ont déclaré avoir bénéficié d’un financement spécifique en 2008 selon l’Obervatoire régional de l’enseignement supérieur. Mais seulement 24% des docteurs du domaine de recherche en « humanités » ! Parmi eux, 71% ont dû travailler pour achever leurs recherches, ce qui allonge la durée des thèses, voire les rend impossibles à boucler.


#Alain Beretz

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