Bienvenue dans la « France périphérique ». Les 7 150 habitants de Soultz vivent à vingt minutes de route de Mulhouse. La voiture est omniprésente, on en croise plus que de piétons dans les rues. Un grand parking occupe la place de la mairie. Pour sortir de la ville, la départementale, à 80km/h, est un passage obligatoire.
Politiquement, la ville est indécise. Denis Meyer, le maire actuel, a été élu sur une liste Divers Gauche. Il a remplacé en 2014 Thomas Birgaentzlé, maire de centre droit qui était en place depuis 1989. À la dernière élection présidentielle, les deux gagnantes du premier tour étaient Marine Le Pen avec 28% des voix et l’abstention, 20%. Au second tour, la commune a finalement opté à 56% pour Emmanuel Macron, une majorité plus courte de 10 points que les résultats nationaux…
Pas étonnant que le rond-point du Nouveau-Monde, à la sortie de la ville,ait été parmi les premiers à connaître un blocage en novembre. Malgré une évacuation le 18 décembre, leur présence s’est maintenue aux abords du giratoire. Depuis ce jour, ils se sont installés sur le terrain d’un agriculteur, une dizaine de mètres plus loin. Mais plus de blocages, en ce mardi de janvier : ils se contentent de discuter au coin d’un feu de palettes et de saluer les véhicules qui klaxonnent depuis la route.
La mairie comme courroie de transmission
Après un an et demi de mandat d’Emmanuel Macron et un peu plus de trois mois de crise des Gilets jaunes, le Grand débat national tarde à arriver à Soultz. Avec un léger décalage : pour l’instant seul un « cahier de doléances » est proposé en mairie, une initiative de l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Mais les Soultziens participent peu et ce dernier ne compte que 20 contributions au 25 janvier.
Ainsi, Elio Rinaldi, porte-parole des Gilets jaunes de Soultz a déposé une synthèse des revendications. Une poignée d’autres membres du mouvement ont déposé des contributions. Un autre signataire a, au contraire, demandé expressément de ne pas accéder à certaines demandes politiques du mouvement (pas de démission de Macron, pas de Référendum d’initiative citoyenne, pas de nouvelle Constitution et que Macron continue en son programme « en tenant compte des doléances réalistes » comme le rétablissement de l’impôt sur la fortune, l’ISF).
En regardant les doléances, le maire de Soultz, Denis Meyer, semble rassuré :
« Tout ce qui est municipal n’est pas mis en cause par les doléances déposées ici, qu’ils soient Gilets jaunes ou non. On va bien sûr en prendre connaissance mais il s’agit surtout de les transmettre à la mission du Grand débat national. »
La plupart des maires adhérents à l’AMRF ont remis les doléances reçues à leur mairie lundi 14 janvier à Emmanuel Macron. Mais à Soultz, le maire a décidé d’attendre un peu pour collecter plus de doléances.
En voyant les doléances arriver une par une, un autre fonctionnement a été adopté : le cahier restera finalement ouvert toute la durée du grand débat, et les nouvelles doléances seront scannées et envoyées par mail chaque semaine au gouvernement.
Des réformes institutionnelles, du pouvoir d’achat…
Les réformes institutionnelles sont les plus demandées. Les contributeurs appellent à « mettre fin aux privilèges » des ministres, hauts fonctionnaires et parlementaires. En référence à la remise en cause de ceux du clergé et de la noblesse en 1789 ?
Le Sénat, qualifiée de « trop coûteux » et « superfétatoire » est aussi dans le viseur de quatre doléants sur vingt, dont le Gilet jaune Elio Rinaldi. Ils demandent sa suppression. Ils proposent de remplacer la Haute Assemblée par l’implication des citoyens via des consultations régulières ou en élisant les membres de l’Assemblée Nationale à la proportionnelle. Seuls deux textes sur 20 plaident en faveur du Référendum d’Initiative Citoyenne (le RIC), une revendication politique née en décembre, inspirée des votations suisses et portée par de nombreux Gilets jaunes en France.
L’autre sujet récurrent inscrit dans le cahier doléances de Soultz est le pouvoir d’achat. Sont demandés, une baisse des taxes sur l’essence et la consommation, ainsi que l’augmentation des retraites plutôt qu’une hausse des salaires. La fiscalité et sa redistribution concentrent les préoccupations. Seule une doléance d’Elio Rinaldi évoque une hausse du SMIC et des salaires en général. Le retour de lSF est quant à lui aussi mentionné par cinq citoyens.
Sur les vingt doléances que compte le cahier, deux d’entre elles seulement abordent le sujet de l’immigration. Pour l’une, il faudrait « privilégier l’accueil de migrants de confession non-musulmane » et « expulser les fichés S dans leur pays d’origine », pour l’autre « la fin du droit du sol, la déchéance de nationalité et la fin des aides sociales accordées aux migrants ». Des propositions inspirées par les programmes politiques de l’extrême-droite.
L’immigration a été inclue dans le Grand débat national par le Président de la République à l’occasion de sa lettre aux Français, bien que ce sujet ne soit pas toujours parmi les revendications des Gilets jaunes. Du côté de ceux installés près du rond-point du Nouveau-Monde, l’ouverture de ce débat provoque de vives réactions, comme le détaille Jeanne (prénom modifié) :
« L’immigration ? On n’en parle pas sur ce rond-point. On n’est pas là pour ça : c’est du pouvoir d’achat dont on veut parler. »
Entre méfiance et rejet du débat national
Le Grand débat national provoque d’ailleurs lui-même des réactions multiples au sein des Gilets jaunes soultziens. Elio Rinaldi fait partie de ceux ouverts à la discussion :
« Je serais prêt à participer à une réunion publique si celle-ci est rediffusée en intégralité. Ce serait une garantie que nos propos ne puissent pas être modifiés. »
Idem pour Laurent, Gilet jaune lui aussi :
« Des idées à défendre, tout le monde en a sur le rond-point. Moi je vais participer, mais c’est mon choix. Il n’y a pas de doctrine, chacun fait comme il veux. »
D’autres, comme Jeanne, sont plus pessimistes :
« Pour moi c’est de l’enfumage. Je sens qu’avec les Gilets jaunes, il y a un début de lutte des classes et que ça va plus loin que ce débat. »
La tenue d’une réunion faisant partie du grand débat a été réclamée par une partie des Gilets jaunes. Pour l’instant, le maire temporise. Il renvoie la charge de nommer un animateur à Emmanuelle Guénot, la sous-préfète du Haut-Rhin et référente dans le département pour la tenue du grand débat.
Quoiqu’il en soit les Gilets jaunes ont brûlé vendredi 19 janvier la lettre ouverte envoyée par le Président de la République. Il y a un mois leurs cartes d’électeurs étaient déjà parties en fumée. Que le dialogue soit ouvert ou non, la colère est toujours de mise.
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