Dégrader des molécules indestructibles à court-terme, grâce à un micro-organisme que l’on ne connaît pas encore. C’est la mission que se sont fixés deux chercheurs de l’Université de Strasbourg et du CNRS, Stéphane Vuilleumier, professeur de microbiologie, et Michaël Ryckelynck, professeur de biochimie, avec les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS). Ultra-toxiques, ces molécules sont surnommées les « polluants éternels », en lien avec leur persistance dans l’environnement.
Le professeur en micro-biologie, Stéphane Vuilleumier explique la particularité de la pollution engendrée par les PFAS :
« C’est une pollution diffuse, on la retrouve partout et c’est très difficile de concentrer les molécules de PFAS de manière physique ou chimique. Les micro-organismes peuvent être une solution intéressante car ils sont capables de dégrader des choses très diffuses. »
Tout l’enjeu pour les chercheurs est donc d’identifier le micro-organisme capable de dégrader les milliers de PFAS existants. « Il y a un énorme défi et comme personne n’a vraiment de solution, il faut tester tous azimuts ce qui peut être essayé » explique le professeur Vuilleumier.
Pour les deux chercheurs, l’aventure se concrétise en 2022 lorsqu’ils remportent un appel à projets générique de l’Agence nationale de la recherche (ANR). « Sur l’ensemble des projets soumis, environ 10% obtiennent un financement. Jusqu’ici, il n’y a rien de connu en matière de dégradation micro-biologique des PFAS, » précise Michaël Ryckelynck.
Des doctorants à la manœuvre
Depuis, ils ont été rejoints par deux doctorants, Enrico Bocconetti, 27 ans, arrivé d’Italie en octobre 2022, et Radi Khodr, un étudiant libanais de 23 ans. Respectivement au travail dans les laboratoires de l’Institut de physiologie et de chimie biologique (IPCB) et de l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire (IBMC) de l’Université de Strasbourg, ils mènent les recherches sous la direction des deux professeurs dans le cadre de leurs thèses.
Enrico Bocconetti raconte son attrait pour le projet :
« Ce qui m’intéresse dans la biologie appliquée c’est qu’elle peut aider à résoudre des problèmes environnementaux à partir de ce qui existe déjà dans la nature. Dans ce cas précis, on n’invente rien, on cherche la bactérie existante qui peut nous aider à régler le problème engendré par cette pollution humaine. »
Travailler sur une thématique au cœur de l’actualité fait aussi partie des motivations de Radi Khodr :
« La contamination par les PFAS suscite de plus en plus d’intérêt avec la publication d’enquêtes journalistiques, l’identification de “hot spots” (des zones hautement contaminées, NDLR) et l’évolution des réglementations en Europe. Donc c’est tout l’aspect scientifique et environnemental autour qui m’intéresse. »
Accélérer le temps
À l’échelle du temps de l’évolution, l’introduction par les humains des molécules de PFAS dans l’environnement est très récente. La propagation d’un micro-organisme qui se nourrirait de ces molécules n’a pas le temps d’émerger, que déjà l’accumulation de cette pollution représente un risque pour l’ensemble de la chaîne alimentaire. Tout l’enjeu pour l’équipe strasbourgeoise est donc d’accélérer ce « temps de l’évolution » pour trouver le micro-organisme qui se nourrira des PFAS.
Pour y parvenir, le micro-organisme recherché — probablement une bactérie — doit être capable de rompre les nombreuses liaisons fluor-carbone qui caractérisent chacun des PFAS. Si tel est le cas, un signal fluorescent permettra d’identifier la cellule dans laquelle elle se trouve.
Michaël Ryckelynck explique le principal enjeu :
« Avec les méthodes conventionnelles, on ne peut pas tester une bactérie l’une après l’autre pour savoir si elle contient une enzyme capable de dégrader les PFAS. Il existe des millions de bactéries qui contiennent elles-mêmes des milliers d’enzymes (une molécule accélérant une réaction chimique, NDLR). Ce ne serait pas soutenable, ni d’un point de vue économique — cela coûterait bien trop cher — ni scientifique, car ce serait trop long. Ce que l’on propose, c’est une technologie qui permet d’accélérer les choses en testant des millions de bactéries par heure. »
« La question n’est pas de savoir si on va y arriver, mais combien de temps ça va prendre »
Que ce soit à partir d’un échantillon contaminé prélevé dans l’environnement ou via la manipulation d’une molécule en laboratoire, l’objectif de ces quatre scientifiques est de faire émerger le micro-organisme qui réussira à contrer l’accumulation des PFAS dans l’environnement.
Face à l’incertitude des résultats — inhérente à toute recherche scientifique — Stéphane Vuilleumier se montre lucide :
« Peut-être que ces bactéries sont très rares et que l’on arrivera pas à les détecter en trois ans. Mais la question n’est pas de savoir si on va y arriver, c’est de savoir combien de temps ça va prendre. Tous les éléments sont là pour nous indiquer que ce sera possible. Et on a envie d’accélérer le mouvement. »
Chargement des commentaires…