L’unique allée commerçante de la cité de l’Elsau est ponctuée de rideaux de fer. La mairie de ce quartier situé à l’ouest de Strasbourg est fermée aujourd’hui. Le supermarché et l’ancien poste de police le sont aussi, définitivement. La rue Watteau est presque déserte. Il pleut en cette journée du 15 mars 2018. Le ciel détonne peu au-dessus des façades ternes. Mickaël (le prénom a été modifié) traîne avec trois potes.
« L’Elsau est devenu une prison »
Mickaël a 21 ans. Il habite ici depuis tout petit. Son discours sur le quartier de l’Elsau est empli d’amertume :
« Quand tu arrives à la station Elsau, le premier truc que tu vois, c’est un supermarché abandonné avec des caddies devant l’entrée du parking. T’imagines la vitrine ? Après, regarde l’arrêt de tram suivant dans la rue Martin Schongauer. C’est une cage en fer. On dirait que c’est une prison. Plus loin dans la même rue, il y a un arrêt de bus sans aucune indication. On parle de la prison de l’Elsau, mais c’est tout l’Elsau qui est devenu une prison. »
Mickaël est interrompu par le bruit d’un scooter qui s’approche. Son ami lui demande un euro, tout en faisant gronder le moteur. « T’as pas un euro ? », insiste-t-il. Non. Le jeune cherche dans ses poches. Une pièce de vingt centimes tombe par terre. « Reviens quand le chômage est arrivé », conclut Mickaël.
Pour ce résident de l’Elsau, les difficultés ne se limitent pas au supermarché fermé ou à l’absence de distributeurs de billets :
« Ce qui me fout le plus les nerfs, c’est cet entretien dans une boîte d’intérim. Au début, tout allait bien, le mec voit que j’ai le Bac et un BEP. Et quand il lit “rue Martin Schongauer” sur mon CV, il me demande si j’habite à l’Elsau. Là j’ai senti que c’était mort. Le quartier a juste une sale réputation. »
L’antenne de police municipale, fermée depuis 2001
Cette rancoeur, Elise l’observe au quotidien. Elle travaille ici depuis quelques années et a tenu elle aussi à garder l’anonymat :
« Les personnes âgées se plaignent d’avoir à se déplacer en ville quasiment tous les jours puisqu’il n’y a pas de supermarché. Les parents sont inquiets pour leurs enfants. Dans cette rue, les scooters passent régulièrement à vive allure et le dealers de drogues squattent souvent. Beaucoup considèrent que la présence policière est insuffisante. »
Dans le quartier de l’Elsau, il n’y a plus d’antenne locale de la police municipale depuis 2001, selon la Ville de Strasbourg. Cette année-là, tous les postes de police sont rassemblés dans le centre administratif. Une question d’efficacité pour la Ville : en réduisant le nombre d’agents affectés à l’accueil de la population, les policiers municipaux seraient plus nombreux sur le terrain.
L’insalubrité, autre problème du quartier
Le sentiment d’abandon des habitants est renforcé par l’insalubrité de la cité. Les jeunes trouvent eux-mêmes les façades des HLM « dégueulasses ». Les plus âgés, comme Mohammed (le prénom a été modifié), 60 ans, parlent des rats. Il dénonce :
« Des rats, ici, il y en a plein. Soit ils bouffent les fils électriques dans les caves, soit ils bouffent dans les poubelles ouvertes. »
L’ancien aide-contrôleur à Ostwald porte un jogging Adidas, un bonnet quechua et une longue veste noire. Mohammed continue à marcher. Avec un air de guide, il montre l’endroit où se trouvait la boulangerie, au 15 rue Watteau. Elle a fermé en 2008 pour devenir une épicerie, puis un magasin de meubles. Ce dernier est aujourd’hui fermé. Le vieillard arrive au niveau de la mairie de quartier. Il peste contre ses horaires d’ouverture :
« Elle n’est ouverte que deux fois par semaine : le mardi entre 8h et 13h30 et le jeudi entre 12h et 17h30. Et comment font ceux qui travaillent ? »
« On nous enlève tout petit à petit »
Les déchets, c’était le fer de lance de l’Association des résidents de l’Elsau (Arel) en 2016. Au mois de mars, ses adhérents apprennent que la benne verte du quartier ne sera plus mise à disposition. Joint par téléphone, son président Daniel Vidot ne mâche pas ses mots :
« Les habitants de l’Elsau ont l’impression d’être négligés. On nous enlève tout petit à petit et sans compensation. »
« Je ne crois plus en rien »
Dans ce quartier séparé de Strasbourg par l’autoroute A35, les habitants se demandent quel sera le prochain service public à déserter les lieux. Une rumeur court les rues et arrive évidemment sur la table des conférences de rédaction de Rue89 Strasbourg au Centre social et culturel de l’Elsau : La Poste pourrait bientôt fermer ses portes. La direction dément :
« La présence postale est pérenne sur le quartier de l’Elsau et aucun changement n’est prévu concernant les horaires d’ouverture du bureau de poste. »
En novembre 2016, la direction nationale de La Poste avait promis à Eric Elkouby, alors député, que ce bureau serait maintenu.
Au bout de la rue Watteau, devant le débit de tabac, ouvert, deux jeunes hommes acceptent de discuter sur l’évolution du quartier. Les langues se délient rapidement. Le même sentiment d’abandon, la même absence de perspective. Mais les deux refusent d’être interviewés. L’un d’eux explique ce choix : « À quoi ça sert tout ça ? Moi, pour l’Elsau, je ne crois plus en rien. »
Luc Gillmann, ajdoint au maire de Strasbourg, chargé des quartiers de l’Elsau, Montagne Verte et Koenigshoffen, relativise la situation :
« Il y a globalement un bon niveau d’équipement en services de proximité, entre les écoles, le collège, la médiathèque, un centre médico-social, une mairie de quartier, plusieurs associations et énormément de choses au niveau sportif. »
Les travaux de rénovation du quartier devraient commencer entre fin 2019 et début 2020. Luc Gillmann espère que le réaménagement de l’Elsau, et en particulier de son entrée, favorisera le retour des investisseurs privés, des distributeurs automatiques de billets et d’un supermarché. Espérons.
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