Photo de famille improbable, cet après-midi au centre administratif de Strasbourg, pour officialiser le « mariage à l’essai », dixit Yves Bur, maire de Lingolsheim, entre la droite et la gauche dans le futur exécutif de la communauté urbaine de Strasbourg (CUS). Une première depuis sa création en 1966, mais un exercice qui se pratique ailleurs, à Nantes, Lyon, Bordeaux ou Lille. Cet « essai » a une échéance, le 1er janvier 2015, date de mise en activité de l’Eurométropole. « Après cette période probatoire », selon l’expression de Roland Ries, maire (PS) de Strasbourg, les partenaires se diront stop ou encore.
A 17 heures jeudi, Robert Herrmann, candidat PS à la présidence de l’intercommunalité, et Yves Bur, ont tenu ensemble un point presse en amont du conseil, qui se tiendra vendredi matin à partir de 8h30. Ils étaient entourés de Jacques Bigot (PS), maire d’Illkirch et président de la CUS de 2008 à 2014, Roland Ries, Alain Fontanel (PS), premier adjoint à Strasbourg, Jean-Louis Hoerlé (UMP), maire de Bischheim, Vincent Debes (UMP), maire de Hœnheim et de Jean-Luc Herzog (UMP), maire de Niederhausbergen.
Pilier de l’accord, la « stabilité fiscale »
Après une semaine d’intenses négociations, ces ennemis politiques d’hier se sont retrouvés autour d’un « accord de gouvernance », dont le pilier principal repose sur la « stabilité fiscale ». Les critiques d’Yves Bur, ancien député UMP connu pour son action visant à désendetter la Sécurité sociale, à l’égard de la présidence de Jacques Bigot portaient bien souvent sur le poids accru de la dette sur les finances de la collectivité, au profit de Strasbourg dont la fiscalité est restée stable sur le mandat qui s’achève. Le maire de Lingolsheim veillera donc au resserrement des cordons de la bourse.
Autres points saillants de la « feuille de route » sur laquelle se sont entendus la plupart des 20 maires de droite de la CUS (sur 28 communes) et la majorité PS à Strasbourg : l’attractivité économique et « la dimension européenne de Strasbourg », une politique de logement « ambitieuse » et (mais ?) qui « adapte l’effort aux possibilités de chaque commune » (Yves Bur), des infrastructures de déplacement « conditions de cette attractivité économique » (le GCO !), le développement urbanistique de la métropole « dans le respect des identités communales » et « le défi de la transition énergétique ». Un dernier point qui fait aujourd’hui consensus de part et d’autre de l’échiquier politique.
Un « programme commun pour le moment squelettique »
Au-delà du « programme commun pour le moment squelettique », reconnaît Roland Ries, ce pacte devrait permettre, selon ses promoteurs, de mieux associer les petites communes, notamment celles dirigées par des maires d’un bord politique opposé à la majorité strasbourgeoise, au projet d’agglomération.
Ces maires de droite qui soutenaient Fabienne Keller
Une revendication qui avait poussé les maires, encartés ou non à l’UMP, mais tous membres de la Majorité alsacienne (droite et centre-droit), à soutenir la candidature de Fabienne Keller à la mairie de Strasbourg. Dans une tribune cosignée il y a quelques semaines par Sophie Rohfritsch, députée-maire de Lampertheim, Yves Bur, André Lobstein, maire d’Eckbolsheim, Jean-Luc Herzog, Georges Schuler, maire de Reichstett, et Eric Amiet, ils étaient assassins envers la gestion socialiste de la CUS :
« (…) L’équité entre les différents villes et villages n’a pas été respectée ces 6 dernières années. Les projets des villes socialistes ont été exagérément privilégiés au détriment de ceux des autres communes de la CUS. Nous avons assisté à un mandat « politique », où les étiquettes partisanes ont bien souvent pris le dessus sur l’intérêt général.
(…) Lors d’un grand marchandage des postes entre le maire sortant socialiste de Strasbourg et son premier adjoint [ndlr, Robert Herrmann], ce dernier a été quasiment intronisé, dès l’automne dernier, président de la communauté urbaine. C’est une nouvelle preuve que les autres communes de la CUS, qui représentent tout de même près de la moitié des habitants de l’agglomération, ne sont plus considérées. Pourtant, notre territoire, pour faire face à la crise et assurer son développement, a plus que jamais besoin de solidarité et retrouver les bases d’un travail en commun.
(…) Forts des leçons tirées de l’expérience, nous pensons que Fabienne Keller saura se montrer plus attentive pour travailler aux côtés des autres communes de la CUS dans un véritable esprit de partenariat. Elle s’est engagée notamment à ne pas appauvrir les communes y compris Strasbourg au profit de l’Eurométropole afin de leur laisser les marges de manœuvres financières pour agir sans alourdir leur fiscalité communale. »
Quand Jacques Bigot (PS) qualifiait de « faux pas » les allégations des maires UMP
Suite à cette attaque, Jacques Bigot répondait dans la foulée, le 27 mars dernier :
« (…) Les chiffres démentent totalement l’analyse [faite par les auteurs de la tribune]. Ainsi, par exemple, de 2008 à 2013, la CUS aura investi plus de 16M€ à Lingolsheim et près de 4M€ à Eckbolsheim, soit un ratio de 969€ et 612€ par habitant, à comparer, par exemple avec 439€ par habitant pour La Wantzenau ou 707 € pour Eckwersheim. Yves Bur a-t-il oublié les 6M€ de travaux en cours pour la rénovation de la piscine de Lingolsheim ?
Le maire d’Eckbolsheim passe sans doute un peu vite sur les 3M€ que sa commune a reçu de la CUS en matière d’habitat pendant le mandat de Jacques Bigot ; lui-même et son collègue de Wolfisheim auraient pu aussi ne pas passer sous silence la contribution significative apportée par la CUS à la réalisation d’équipements communs aux deux communes (300 000€ pour le cimetière par exemple).
Avant de s’exposer ainsi aussi imprudemment, nos six collègues auraient sans doute dû (…) consulter plus attentivement la partie recettes en provenance de la CUS de leurs budgets communaux. Cela leur aurait évité ce qu’on peut qualifier de sérieux faux pas. »
Éviter le « bloc contre bloc » induit par une majorité courte
Pourquoi ces adversaires décident-ils aujourd’hui de travailler ensemble ? D’abord, parce que les nouvelles règles à la CUS ne garantissent plus à l’équipe en place à Strasbourg une majorité confortable à la CUS. Un effet encore aggravé par la perte de Schiltigheim par Raphaël Nisand. Ensuite, parce qu’Yves Bur menaçait de se présenter contre Robert Herrmann, qui n’était pas assuré à 100% de l’emporter vendredi.
« Nous n’avons pas de problème de majorité, avec 47 conseillers communautaires [acquis] et une majorité qui s’établit à 48, affirmait pourtant Jacques Bigot jeudi matin, mais l’idée, avec cet accord, est d’éviter le bloc contre bloc. » Autrement dit, l’obligation de négocier ferme pour s’assurer une majorité à l’occasion du vote de nombreux projets. Le maire d’Illkirch complétait cet après-midi : « [Ce pacte] est un moment historique et intéressant ».
Selon Roland Ries, interrogé jeudi midi sur le sujet, « [la collectivité] a huit mois pour installer une gouvernance partagée de la CUS, avant l’Eurométropole. On va proposer un cadre politique général qui sera affiné avec le temps. Il en va de l’intérêt de tous que le conseil de CUS ne soit pas qu’une répétition du conseil municipal de Strasbourg, où les échanges sont devenus très politisés ».
« Otage de la droite plutôt que des écolos »
Ce pacte s’explique encore par un choix fait par Robert Herrmann de ne pas être forcé de composer avec les écologistes qui, avec 8 élus à la CUS (7 à Strasbourg et 1 à Schiltigheim), auraient usé de cette minorité de blocage sur certains sujets. Sujets sur lesquels bien souvent PS, UMP et indépendants se retrouvent : c’est le cas du GCO, du rallye de France, de la baisse des taxes aéroportuaires, du rayonnement économique et européen de l’agglomération, de la ZAC de Fegersheim, etc.
« Robert Herrmann préfère être l’otage de la droite que des écolos », regrettait ce matin un élu socialiste de Strasbourg. Comme d’autres qui, tous, refusent de s’exprimer en leur nom dans ce contexte politique ultra-tendu, cet élu rajoutait que « beaucoup de gens se sentent floués et ne comprennent pas cette incohérence politique ». À cela, Robert Herrmann a répondu d’emblée : « Ce changement de paradigme n’est pas évident. Il nécessite une grande pédagogie de part et d’autre ».
« La CUS va devenir ingouvernable ou insipide »
Alors qu’Alain Jund, adjoint au maire de Strasbourg EELV, devrait accepter une vice-présidence de la CUS demain, son colistier Éric Schultz, également adjoint de Roland Ries, a pris position contre ce pacte :
« Je ne me vois pas voter pour cet accord demain [vendredi]. La stabilité fiscale, c’est bien, mais ça peut vouloir dire deux choses, sobriété budgétaire et dépenses maîtrisées ou coupes sombres dans les services publics. C’est ce qui se passe au Conseil général : on coupe dans les subventions aux associations. Sur le plan local de l’habitat [ndlr, le PLH organise la répartition de logement social sur tout le territoire], Robert Herrmann sera otage de la droite qui n’en veut pas. Dans ces conditions, la CUS va devenir ingouvernable ou insipide… »
Cinq groupes politiques à la CUS
À droite, l’accord ne fait pas non plus l’unanimité. Georges Schuler, maire de Reichstett, notait ce matin : « J’aurais préféré qu’on négocie dossier par dossier plutôt que de s’entendre sur une gouvernance commune. Je préfère être fidèle à mes valeurs, quitte à être isolé ». Fabienne Keller, qui ne s’est pas exprimée jeudi, ne devrait pas non plus être enchantée par la configuration qui se dessine. « Elle en a été informée, mais n’y est pas associée », remarquait Yves Bur.
D’ailleurs, l’opposition strasbourgeoise ne siégera pas dans le groupe constitué autour du maire de Lingolsheim, qui prend le nom de « une Eurométropole pour tous ». Cinq groupes politiques devraient donc émerger : les socialistes et républicains, l’Eurométropole pour tous (Y. Bur), l’UMP-Modem (autour de Fabienne Keller), l’UDI (avec François Loos) et les écologistes.
Isolé, Jean-Luc Schaffhauser (RBM-FN) ne pourra pas constituer de groupe. Il devrait néanmoins profiter de la tribune communautaire pour taxer l’accord Herrmann-Bur de pacte « UMPS », renvoyant dos à dos socialistes et maires de droite. « Ce n’est pas une alliance entre l’UMP et le PS, anticipait Roland Ries cet après-midi, mais entre la ville-centre et les communes périphériques. »
Seulement 5 femmes sur 21 au bureau CUS
Les vice-présidents de la CUS seront au nombre de 20, plus le président. Roland Ries sera premier vice-président (aux transports), puis, dans le désordre, viendront les maires de droite, Yves Bur lui-même, Jean-Marie Kutner, maire de Schiltigheim qui a battu Raphaël Nisand, ancien vice-président socialiste de la CUS, Jean-Louis Hoerlé, Jean-Luc Herzog, Eric Amiet, Vincent Debes et Sébastien Zaegel (Geispolsheim).
A gauche, on retrouvera Alain Fontanel, Mathieu Cahn, Syamak Agha Babaei, Souad El Maysour, Françoise Bey, Caroline Barrière, Nicolas Matt et Alain Jund. Complèteront le bureau quatre PS et indépendants élus dans des communes périphériques, dont Béatrice Bulou, maire de Mundolsheim, et Martine Castellon. Seules 5 femmes intégreront l’exécutif, soit un quart de l’effectif.
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