Quartier de Hautepierre, à l’ouest de Strasbourg, 8h50, un vendredi matin. Le temps est clément pour un mois de février : il fait 6 degrés, le ciel est plutôt clair. Un petit groupe d’habitants du quartier est déjà présent devant l’Espace associatif, mis à la disposition des Restos du Cœur par la Ville de Strasbourg, qui possède les lieux. Une rangée de chaises a été installée juste devant l’entrée. À 9 heures pétantes, un bénévole des Restos du Cœur sort la tête du petit bâtiment : « Bonjour, on peut commencer. Sortez vos cartes s’il-vous-plaît ! »
Les bénéficiaires présents, sac-cabas dans une main, carte de bénéficiaire dans l’autre, pénètrent dans le bâtiment. Pas plus de sept personnes à la fois : « Pour des raisons de sécurité, on ne peut pas faire rentrer plus de sept bénéficiaires dans le local. Donc s’ils viennent à deux, un seul d’entre eux peut rentrer, l’autre doit attendre dehors », explique Françoise, bénévole depuis quatre ans aux Restos. Exception faite aux personnes handicapées et aux jeunes enfants.
Une fois dans le sas d’entrée de l’Espace associatif, chacun fait la queue et attend de pouvoir présenter sa carte de bénéficiaire. Un bénévole fait quelques vérifications sur son ordinateur… Direction l’espace de distribution, quelques pas plus loin.
Accompagnés de leur petit caddie à roulettes, les bénéficiaires rencontrent d’abord Marie : yaourts ou fromage blanc ? Combien de bouteilles de lait ? Chacun choisit, en fonction du nombre de points dont il dispose et de ses besoins.
Puis c’est l’étal des « aliments protéinés », de la viande ou du poisson. Là aussi, les bénéficiaires ont le choix, et les aliments proposés changent à chaque fois, en fonction des arrivages et des dons.
« Pas avant, pas après »
Un bénéficiaire parti, il faut déjà passer au suivant, et réapprovisionner les étals au fur et à mesure qu’ils se vident… Tout le monde s’active : il faut pouvoir distribuer les denrées à 25 familles chaque demi-heure. Et elles sont 150 chaque jour de distribution. Autant dire que l’on n’a pas le temps de fignoler…
Alors il a fallu mettre en place une organisation presque militaire : chaque famille, à son inscription, a reçu une petite carte jaune, où sont indiqués le jour et l’horaire (à la demi-heure près) où elle doit venir chercher ses denrées.
« Pas avant, pas après » : Eliane, une bénévole, insiste sur la ponctualité. C’est autant une question d’organisation pour l’équipe des bénévoles que pour éviter aux bénéficiaires d’attendre dans le froid, ou sous le soleil en été, précise-t-elle.
À l’étal « accompagnements », on retrouve Jean-Pierre, la soixantaine, avec son petit caddie à roulettes. « Des lentilles ou des pâtes ? », lui demande le bénévole chargé des boîtes de conserve et des aliments secs. Va pour une boîte de lentilles.
Prochaine étape : les légumes frais. Pour Yasmina (le prénom a été changé), ce sera chou et kiwis. Enfin, le coin sucré : du sucre, du café, de la confiture… Et le pain, un par personne, deux lors des grands jours. Aux céréales, complet, au seigle… Ce jour-là, il y a aussi du pain sans sel.
Un système de points… comme à la cantine
La carte distribuée à chaque bénéficiaire à son inscription précise le nombre de points dont il dispose ; ce nombre diffère selon la taille de la famille. Chaque repas complet « coûte » quatre points : un aliment protéiné (viande ou poisson), un accompagnement, du fromage et un dessert. « C’est le minimum que l’on donne aux bénéficiaires par repas, mais cela dépend bien sûr des arrivages et des dons. Cela peut arriver qu’on donne davantage lorsque les stocks le permettent », précise Daniel Belletier, président des Restos du Cœur dans le Bas-Rhin.
Au-delà des pâtes, du riz et des légumes, les Restos du Cœur distribuent aussi des vêtements, selon les arrivages. Françoise explique :
« Il y a quelques semaines, on a reçu plusieurs vêtements pour femmes en taille 50, donnés par une boutique du centre-ville. Donc certaines bénéficiaires ont pu recevoir des vêtements gratuits et neufs. En l’occurrence, c’étaient probablement des invendus de Noël, avec des paillettes ! »
À la fin du « parcours de distribution », ce sont des bouquets de fleurs, invendus de la Saint Valentin, qui sont proposés ce jour-là aux familles… À la sortie du petit local de l’Espace associatif, d’autres bénéficiaires attendent patiemment leur tour. Certains se saluent et échangent les nouvelles.
Marie, traînant derrière elle son petit chariot de courses rempli de nourriture, confie :
« Je viens aux Restos depuis un peu plus d’un an. C’est pénible en hiver de devoir attendre sous la pluie et dans le froid. Mais grâce au système que [les Restos] ont mis en place, on n’attend pas trop si on respecte les horaires qu’ils nous donnent. C’est assez bien organisé ! »
Des locaux trop petits, peu adaptés, voire trop chers…
Mais si tout est fait pour que ces distributions soient organisées de manière aussi précise, c’est parce que la configuration des locaux l’exige. Les lieux, mis à disposition par CUS Habitat, sont exigus : entre la dizaine de bénévoles qui distribue les denrées et fait des allers-retours pour réapprovisionner les étals, et les bénéficiaires venus avec leurs sacs-cabas, l’espace d’une quinzaine de mètres carrés est vite encombré.
D’autant que les livraisons s’enchaînent dans la matinée : les livreurs s’affairent, se faufilent entre les bénévoles et les bénéficiaires, des caisses de produits alimentaires sur les bras.
Françoise, qui gère les listes de passage des bénéficiaires depuis son ordinateur, préfère regarder le bon côté des choses :
« C’est vrai que les locaux ici sont petits : on ne peut pas proposer aux bénéficiaires d’attendre au chaud l’hiver. On n’a pas non plus d’espace de convivialité, où ils pourraient prendre un café et discuter avec nous. Mais on n’est pas mal loti ici : c’est neuf et propre et surtout c’est gratuit pour les Restos. »
Dans certains cas, l’association doit en effet verser un loyer aux propriétaires des locaux qu’ils occupent : à la Meinau, dans le nouveau centre qui vient d’être construit, le loyer mensuel s’élève à 5 500 euros… « Tout ce qu’on paie en loyer, c’est d’autant de moins qu’on peut donner aux bénéficiaires », regrette Daniel Belletier.
Mais au-delà de la question du loyer, c’est parfois l’existence même d’un local d’accueil qui pose problème… Le président des Restos dans le Bas-Rhin s’inquiète :
« Les locaux ici sont petits, mais ils ont le mérite d’exister. À Lingolsheim, on devra quitter nos locaux le 31 mars [le bâtiment dans lequel les Restos étaient installés sera détruit dans le cadre de la rénovation du quartier des Hirondelles, ndlr] sans solution de repli : la Ville me dit qu’ils n’ont pas de local à nous proposer, et nous n’avons pas de réponse pour le moment de l’Eurométropole. Donc le 31 mars, on sera à la rue… »
En dernier recours, Daniel Belletier envisage de procéder à des distributions de nourriture par camions. Mais niveau convivialité et qualité de l’accueil des bénéficiaires, on a effectivement vu mieux…
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