« D’habitude, à cette période de l’été, il y a plein d’enfants sur les parkings qui jouent au foot. Là, il n’y a personne », lâche Ayyoub, coach sportif, depuis le local de l’association Animation, Médiation, Insertion (AMI). La structure est implantée depuis 20 ans au cœur de la maille Eleonore, l’une des plus vétustes de Hautepierre. Quand Ayyoub plonge dans ses souvenirs des étés passés, il plante son regard vers l’extérieur. Mais il n’y a rien à regarder. Il est 15 heures, le thermomètre tutoie les 40 degrés, et les volets sont fermés. La même scène se répète sur tous les bâtiments des environs.
Fenêtres fermées, ventilateurs à fond
Au centre de la place Erasme, où le béton règne en maître, une poignée d’enfants ont fui leurs appartements pour se réfugier sous l’ombre d’un arbre. Il n’y fait pas beaucoup plus frais, mais ils peuvent partager un bissap, ce jus d’hibiscus originaire d’Afrique de l’Ouest, en s’échangeant des blagues. Non loin de là, Ismail, 53 ans, sans activité depuis qu’il a connu un accident du travail, est sorti prendre l’air vers 16h30 :
« Moi ça va, je supporte. Mais quand on est huit dans un trois pièces, sous 40 degrés, sans aucune isolation ni clim, comme chez moi, c’est insupportable. On fait ce qu’on peut en fermant les fenêtres. On fait tourner les ventilateurs à fond, même si ça fait augmenter la facture d’énergie qui est de plus en plus chère, mais c’est une question de survie. On a déjà alerté le bailleur sur cette situation, mais rien n’est fait. On a l’impression d’être délaissé. »
Un quartier parmi les plus minéralisés de Strasbourg
À Hautepierre, les routes, les places bétonnées et les parkings constituent l’essentiel de l’environnement autour des barres d’immeubles de cinq à huit étages. Il y a bien quelques arbres, le long des routes, et autour des blocs, du gazon en partie brûlé l’été. Mais ces rares espaces végétalisés sont insuffisants pour constituer des ilots de fraicheur. De plus, il n’existe aucun point d’eau public sur le secteur.
Selon une évaluation commandée par la Ville, le quartier Cronenbourg-Hautepierre-Poteries-Hohberg présente le deuxième « indice de canopée » le plus faible de Strasbourg. Cet indice correspond au pourcentage du quartier qui est recouvert par la cime des arbres. Dans le cadre du plan Canopée, la municipalité écologiste cherche à végétaliser davantage l’espace public.
En 2021, un « oasis de fraîcheur » avait été installé par la Ville sur la place Léopold Sédar Senghor, en face du centre socio-culturel, lieu de vie central du quartier. Cette année, l’association Horizome a installé, du mercredi 29 juin au dimanche 8 juillet, un « café végétal » sur cette même place, où les habitants pouvaient se rendre dès le milieu d’après-midi et jusqu’au soir, de mercredi à dimanche.
Piscine ou bataille d’eau
Lorsque la chaleur atteint 38°C, comme c’était le cas mardi 19 juillet, les jeunes de tout le quartier convergent vers la piscine de Hautepierre. Accessibles contre cinq euros pour un adulte et trois euros pour un enfant, les deux bassins sont vite saturés en temps de canicule. « Il y a beaucoup d’affluence. À 17h, il y a 940 personnes à la piscine, pour une capacité totale de 1 300 personnes. Sur la journée on dénombre 1 520 entrées », affirme Steeve, agent d’accueil à la piscine de Hautepierre.
La queue devant l’établissement a découragé Loïc, un éboueur de 31 ans, d’aller se baigner avec son fils, Valentin. Ils compensent comme ils peuvent en s’adonnant à une bataille d’eau en règle, avec pistolets et courses-poursuite. « Je n’habite pas le quartier. Je suis passé voir ma mère qui habite Brigitte (l’une des mailles qui n’a pas encore été rénovée, NDLR), pour voir si tout allait bien. Il n’y a pas d’endroit pour se rafraîchir, donc les personnes âgées sont obligés de rester chez eux. C’est important d’être vigilant », relate Loïc.
Un constat que partage également Wahiba Ahmed-Yahia, médiatrice familiale à l’association AMI :
« Les personnes âgées sont enfermées dans leur appartement. Elles sortent très tôt le matin, pour faire des courses, mais après on ne les voit plus. C’est inquiétant parce qu’à Éléonore, il n’y a aucune isolation et il peut faire vraiment très chaud dans les logements. On avait le projet d’acheter des petites piscines gonflables et de les installer derrière le local de l’association pour que les gens viennent se rafraîchir, mais ça ne s’est pas fait, faute de budget. »
« Dès qu’on rentre tout est sombre »
À Hautepierre, certains habitants bénéficient d’un logement plus adapté aux canicules. Les mailles Jacqueline, Catherine et Karine ont bénéficié, entre 2009 et 2013, d’un premier programme de rénovation financé à hauteur de 155 millions d’euros. La création de pistes cyclables et d’allées piétonnes, la démolition de dix bâtiments et la réhabilitation de plusieurs immeubles – avec travaux d’isolation – ont permis à ce secteur de « respirer », selon les mots employés par plusieurs habitants du quartier. Ils décrivent des appartements qui restent frais, même quand les températures explosent, du moment que les volets sont fermés.
Les autres mailles, comme Éléonore et Brigitte, souffrent beaucoup plus de la chaleur. Waïl, 18 ans, est animateur au centre socio-culturel Le Galet. Il n’est pas habitant du quartier, mais il le connaît bien, pour l’avoir souvent arpenté :
« Quand on regarde autour de soi, ici à Catherine, les bâtiments sont blancs, gris, les couleurs sont claires. Là-bas, à Éléonore, dès qu’on rentre, tout est sombre, les immeubles sont gris et serrés les uns contre les autres. C’est étouffant. »
« Je ne peux pas me protéger »
À Éléonore, par exemple, la façade du bâtiment numéro 31 est couverte de tuiles en zinc noir. Dans la cage d’escalier aux murs vert amande, la chaleur est de plus en plus intense, amplifiée par un puits de lumière surmonté d’une simple tôle en plastique au plafond. Derrière une porte kaki, au quatrième étage, Robouanti, sans activité, 50 ans, la sueur au front et le pas lourd, déroule :
« Il n’y a pas du tout d’isolation. J’ai des volets cassés, je ne peux pas les fermer. Je ne peux pas me protéger. Dedans il fait chaud mais dehors c’est encore pire ! Si il y avait une fontaine ou quelque chose comme ça, on pourrait sortir, avec les enfants. Mais là, il n’y a rien pour les enfants, donc on ne peut pas les laisser seuls à la maison et sortir. Les lacs sont trop loin et la piscine est remplie. Il y avait bien un petit jardin à côté, mais il a été délaissé, on ne peut plus y aller. La seule chose à faire : c’est boire de l’eau, et attendre que ça passe. »
Un projet de rénovation à venir
Face à ces épisodes de chaleur qui s’intensifient chaque année, le tissu associatif local réagit et met en place des dispositifs pour adoucir le quotidien sous canicule des habitants de Hautepierre. L’association AMI, grâce à un financement municipal, a pu emmener, en bus, une cinquantaine de personnes à des plans d’eau, tous les lundis, notamment à celui de Benfeld, le 18 juillet. Les jeunes de l’AJFH (association des jeunes footballeurs de Hautepierre), ont « tourné dans le quartier toute la journée pour distribuer de l’eau à la sortie des magasins, aux arrêts de tramway », d’après Sébastien Govi, animateur.
Enfin, le centre socioculturel propose « la tournée des mailles », de 15h30 à 19h30. C’est un moment visant à proposer des activités aux enfants du coin, de la boxe au théâtre en passant par le coloriage. Le van orange et les tentes bleues ont été installés dans le seul parc aménagé de Hautepierre, situé à l’arrière du centre socio-culturel. Salimata, 24 ans, encadre l’opération :
« Ce n’est pas quelque chose de nouveau. Avec la canicule, on s’adapte juste. On évite les activités sportives et on propose du bricolage, des exercices d’expression, des jeux de société. Il y a moins de monde avec la chaleur, mais ça permet aux gens de sortir s’aérer en fin de journée. »
En mars 2020, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine a validé le second programme de rénovation du quartier. L’organisme finance une partie des 123 millions d’euros qui devraient être engagés. Selon les informations transmises par la Ville, 6 500 mètres carrés de parc et d’espaces verts seront aménagés à Hautepierre, avec l’extension du Petit Bois, situé aux abords de la maille Brigitte, et la création d’un parc central au milieu de Éleonore. Les deux mailles devraient être traversés par une « allée paysagère piétonne et cyclable » d’est en ouest. Sur le volet logement, certains bâtiments vont être détruits et d’autres seront rénovés. Les travaux dans les mailles Brigitte et Éleonore devraient débuter fin 2022 pour une « entrée en service » courant 2023.
Chargement des commentaires…