À la fin de la séance du film À Bras Ouverts, Dominique Steinberger aborde la dame assise devant lui, qui n’a cessé de rire d’un bout à l’autre du film :
« – Vous avez aimé ?
– Oui, j’ai bien ri. Et vous ?
– Pas trop, mais je suis Rom.
– Ah… »
Moment de gêne, elle disparaît dans la foule.
Dans À Bras Ouverts, sorti en salles le 5 avril, Christian Clavier interprète Jean-Étienne Fougerole, intellectuel « bobo » de gauche. En plein débat télévisé, il est sommé par son opposant de joindre le geste à la parole : s’il est tant en faveur des immigrés et des Roms, pourquoi ne les accueillerait-il pas chez lui ? Jean-Étienne Fougerole relève le défi, et le soir même, une famille rom frappe à sa porte. La famille de Babik est un concentré de clichés : dents en or, cochon de compagnie, appétence pour le vol et la viande de taupe.
« Je comprends mieux les cris d’alerte »
Rue89 Strasbourg a invité deux Roms, Dominique Steinberger et Axel Axmet, à visionner le film et à échanger ensuite sur l’image donnée par le film de leur communauté. Dominique Steinberger ne mâche pas ses mots à la sortie du cinéma. Le président de l’association Latcho Rom, qui défend la culture rom à Strasbourg, comprend mieux les cris d’alerte d’associations similaires. Pour lui, ce film saccage des années de travail :
« Il n’y a rien de sain. Ils montrent une image tellement clichée des Roms qu’elle n’existe même pas. Bien sûr, certains vivent encore dans des caravanes, mais si vous leur proposez une maison, ils la prennent ! Je suis Rom et je n’ai jamais vécu comme ça. Ni même mon père ou mon grand-père ! »
« Je ne vais pas attendre le mari de ma fille avec un marteau… »
Né à Benfeld, Axel Axmet, Rom à l’accent alsacien, ne se remet pas de la fin du film. Babik, interprêté par Ary Abittan, veut défigurer leur hôte avec un marteau, parce que le fils de Jean-Étienne Fougerole, interprété par Christian Clavier, a couché avec sa fille. Celle-ci aurait dû rester vierge jusqu’au mariage et aurait donc déshonoré toute sa famille. Seule solution : que le fils de l’intellectuel devienne Rom et se marie avec la fille de Babik. Il accepte.
Axel ne se reconnait pas dans ce gag, qui ne le fait même pas sourire :
« Ma fille se marie vendredi. Elle fait ce qu’elle veut, je ne vais pas attendre son futur mari avec un marteau à la sortie de l’église s’il change d’avis ! Et puis, dans le film, ils vont se marier en Roumanie… Ma fille se marie en Alsace, pas en Roumanie. Ce qui n’aurait aucun sens d’ailleurs, car si nous sommes Roms, nos origines sont en Macédoine. »
La famille rom apparait dans le film comme extrêmement misogyne
Dans A Bras Ouverts, les femmes roms n’ont pas le droit à la parole : la fille ne peut adresser la parole à personne, quand leurs hôtes proposent aux Roms de dormir dans la chambre d’ami, c’est Babik qui emménage, laissant les femmes, même avec enfants, dans la caravane. Pour Axel Axmet, la culture rom est loin d’être aussi misogyne. Au contraire, les femmes ont même une grande place au sein de la famille, aucune décision n’est prise sans leur accord.
Au cours du film, la famille de Babik invite leurs hôtes à une petite fête. Au menu : ragoût de taupe, en provenance directement du jardin de Christian Clavier. La taupe, une petite variante du cliché sur la viande de hérisson, dont se nourriraient chaque jour les Roms. Cela fait tiquer Axel Axmet, qui mange bien plus souvent du poulet ou du porc que du hérisson ou de la taupe :
« Les plats traditionnels roms peuvent se cuisiner avec plein de viandes différentes. Après, oui, certains Roms mangent du hérisson comme certains Chinois mangent du chien. »
Ou les Français mangent des grenouilles et des escargots, serait-on tenté de rajouter.
Autre cliché, bien exploité tout au long du film : les passe-temps des Roms. Voleurs au début du film, Jean-Étienne Fougerole doit leur trouver un emploi, afin de s’intégrer dans la société française. Mais là encore, les seuls petits boulots qu’ils trouvent, correspondent aux clichés sur les Roms : chasseur de taupes dans les parcs de Paris ou faire le ménage à domicile…
Axel Axmet et Dominique Steinberger auraient aimé voir une évolution des personnages dans le film :
« En réalité, plein de Roms travaillent dans le bâtiment, sont avocats ou encore médecins. C’est triste de devoir rappeler ça. Non, les Roms ne font pas la manche de père en fils. »
La communauté rom sans arrêt confrontée aux stéréotypes
Quoi qu’elle fasse, la communauté rom est ramenée à ces clichés, tous négatifs. La fille de Dominique Steinberger est kinésithérapeuthe. Lorsqu’elle a dit à un médecin avec qui elle travaille, que sa peau « typée » est due à son origine, celui-ci lui a répondu que cela « expliquait » sa façon de « prendre les choses avec tant de légèreté », en la renvoyant au stéréotype de la vie nomade.
C’est un autre aspect largement exploité dans le film de Philippe de Chauveron. La famille de Babik adore faire la fête, la musique et leur mode de vie en caravane est souvent qualifiée de « bohème » par les personnages du film.
Pour Dominique Steinberger, le problème est que ces clichés sont tellement répandus que beaucoup de Roms, français depuis plusieurs générations, cachent leur origine :
« Ma cousine est banquière. Elle ne parle jamais de ses origines. T’imagine, une Rom qui travaille à la banque ? »
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