L’entrée est la même depuis des années : dimanche 10 juillet, au-delà de l’artère principale de Neuenburg-am-Rhein, après les restaurants, les kebabs et les glaciers de la place de la mairie, le badaud tombe nez-à-nez avec une sorte de portail à l’allure médiévale, à l’effigie de celui qui a donné son nom à la fête : Saint Jean Népomucène, un prêtre du XIVe siècle.
Des buvettes et terrasses sont entourées de faux « remparts » et d’étendards qui rappellent les tournois de chevaliers. Cette année, seules deux rues de cette ville de 12 000 habitants située en face d’Ottmarsheim sont dédiées à la Nepomukfest.
Fondée en 1968, cette fête s’étend d’habitude sur quatre jours au début de l’été et occupe plusieurs allées. Street-food, échoppes foraines, scène musicale et dance-floor se partagent d’ordinaire la voirie, ainsi que des manèges et une grande roue. Ces derniers sont absents de cette édition… par manque de place.
Des panneaux « 10€ les 10 shots » semblent être comme des vestiges des soirées précédentes. « Il y a beaucoup plus de monde en soirée, les gens viennent pour les concerts et pour boire un verre », explique Hannah, bénévole au bar du stand de l’association Klosterkopfhexen, dédiée au carnaval. Ce dimanche, le programme consiste surtout en une succession de fanfares sur la scène au milieu de l’allée. Le matin même, la traditionnelle messe œcuménique a rassemblé des croyants catholiques et protestants.
Hannah a de quoi comparer les éditions, elle qui a fait plus de 20 ans de Nepomuk. La jeune trentenaire a commencé petite fille en servant des gaufres au stand, et maintenant, elle sert des bières ! Elle est fière de participer à cet événement très important pour son association, qui « tire presque toute sa trésorerie » de ces quatre jours de fête.
À y regarder de plus près, il est vrai que tous ceux qui servent des frites et des saucisses, qui slaloment entre les tables, qui suent devant leurs fourneaux, sont des bénévoles de clubs sportifs. Le TV Neuenburg 1926 propose des grillades, le FC Neuenburg, tout en couleur jaune criarde, sert des « Gyros box » (box kebab) et des « Schupfnudeln » (sortes de gnocchi allemands)… On déguste des bières sur des tables hautes, grâce au FC Auggen, un club de foot voisin.
Parmi le public, il y a Brigitte, suissesse exilée dans le pays de Bade, Ecki, et leurs fils Adrian et Roman. Il y a aussi Anna, la petite amie de Roman, et Cecilia, Milena et Amy, les petites-filles. Brigitte vient toujours à la Nepomukfest parce qu’elle aime y « croiser des connaissances » qu’elle n’a « pas l’occasion de voir par ailleurs ». Granités en main, toute la petite famille défend l’événement quand on s’étonne de l’absence de grande roue : « il y a quand même les stands forains, le tir à la carabine, les fléchettes… », pointe Brigitte.
Aux côtés d’Adrian, qui glisse être déjà venu la veille pour boire quelques bières avec des amis, Ecki raconte à quel point la fête est un rituel pour les habitants du coin :
« Le lundi, les gens ont l’habitude de venir entre collègues en sortant du travail pour partager une Bratwurst. Ensuite, tous les habitants se retrouvent pour le traditionnel feu d’artifice. »
Qui n’aura pas lieu cette année. Le maire, Joachim Schuster a expliqué dans la Badische Zeitung que la ville accueille une centaine de réfugiés ukrainiens, et qu’il ne serait « pas judicieux de réveiller des souvenirs de guerre avec des pétards et autres éclats lumineux ».
Des Français ravis, entre fidèles et nouveaux venus
Arnaud, sa femme et ses enfants, viennent chaque année de Morschwiller-le-Bas, une commune attenante à Mulhouse. Il est 13h et la petite famille se presse vers l’entrée pour déguster une saucisse-frites :
« On aime beaucoup l’Allemagne, l’ambiance qui y règne, la gastronomie… On n’a pas trop l’habitude de faire des fêtes de village, mais celle-ci on ne la rate jamais ! »
Giuseppe, un autre français, fait visiter le coin à sa dulcinée, Magali, venue de Besançon pour l’occasion. Lui, il aime les fêtes de villages, « surtout quand cela met en avant le folklore, la culture, quel que soit le pays ! » Pourtant, il ne savait pas qu’il y avait une fête à Neuenburg ce week-end, il passait surtout pour acheter des clopes… Tant mieux pour Magali, qui a découvert un univers « très différent » de chez elle. Avant de repartir, Giuseppe veut continuer à faire un tour de la ville pour débusquer l’influence italienne chez les Allemands, dont on lui a vanté un intérêt pour les transalpins. Ce ne sont pas les deux glaciers de la place principale, où servent des Italiens qui vont contredire la rumeur.
Plus loin, au milieu de la foule, une petite famille en tenue de cycliste floquée « Caisse d’Épargne » respire le « cocorico ». Bingo, ce sont des Parisiens, ou plutôt des Franciliens, en goguette. Ludovic, Anne et leurs enfants Sarah et Simon ont atterri là par hasard : « nous rallions Constance à vélo à partir de Colmar », explique le papa, la quarantaine. « Aujourd’hui, nous allons jusqu’à Bad Bellingen (une petite commune thermale) et Neuenburg était sur le chemin ». Ils en prennent plein les oreilles, les yeux et les papilles :
« C’est charmant, ça nous dépayse, écoutez la fanfare, on est bien en Allemagne ! On vient de déjeuner dans un restaurant traditionnel avec des serveuses en Dirndl. On a beaucoup aimé les escalopes ! »
Il est vrai que les « Harmonika Freunde » de Müllheim, une commune voisine, emportés par une version schlager de « Mon manège à moi » d’Edith Piaf, rendent la conversation difficile. Mais heureusement qu’ils sont là, ces musiciens de tous âges, pour animer la rue qui ne résonnerait sinon que de verres qui trinquent (« Prost ! », entend-on un peu partout). Au pied de la scène, Helga et Raimund sont absolument enchantés de danser sur « la Môme ».
Un symbole de l’amitié franco-allemande
Ces touristes bavarois racontent leur « amour de la France » : « j’adore la chanson “Sous le ciel de Paris” », explique Raimund :
« J’ai essayé de l’apprendre à l’accordéon mais je n’ai jamais réussi. Alors, quand on est en France, je demande aux musiciens de rue de la jouer. À chaque fois, on danse ».
Avec sa femme, il fait un petit tour de l’Alsace et du Bade-Wurtemberg. Ils ont fait le musée de l’auto à Mulhouse, la route des vins (« Riquewihr, c’était super », pointe Helga), et s’apprêtent à aller au « musée de la moto » (en fait la « Grange à bécanes » à Bantzenheim, un village à proximité de Chalampé et Ottmarsheim). Raimund ne tarit plus d’éloges sur la France, dont il connaissait surtout le sud, ayant travaillé avec Airbus. Les Alsaciens le font marrer selon ses propres mots : « ce ne sont pas les mêmes Français que dans le sud, ce sont des Français “allemands” ».
Sans le savoir, Raimund et Helga symbolisent avec leur enthousiasme et leur fan-attitude tricolore tout ce que la Nepomuk voulait être à l’origine : un pont entre les peuples et un événement dédié à l’amitié franco-allemande. Le choix du deuxième week-end de juillet se veut proche du 14, pour côtoyer la fête nationale française. Et puis, Saint Jean Nepomucène, c’est le saint patron des ponts et des bateliers, alors…
Accoudé à une table en hauteur, chacun une bière en main, Ty, Lexes et Joey viennent tout droit de l’Indiana (« en plein milieu des États-Unis », précise Joey pour nous situer). Ty blague sur sa présence ici : « Je suis venu il y a trois ans, et quand j’ai entendu que la Nepomuk revenait en 2022, j’ai sauté dans un avion pour y retourner ! ». Ce grand gaillard barbu aux verres solaires dit à moitié vrai : il avait vraiment apprécié la fête en 2019, mais il est revenu pour le travail.
Avec ses camarades, ils logent à Weil-am-Rhein (ville allemande frontalière à Bâle) pour un « work trip » de quelques semaines. Leur entreprise y a son siège européen. Aujourd’hui, ils sont venus à Neuenburg pour retrouver Phil, un collègue allemand qu’ils connaissent depuis une dizaine d’années. Pour eux, cette fête de rue est le parfait prétexte pour prendre un bain de folklore allemand : « ça ressemble un peu aux « county fairs » (foires locales) qu’on peut avoir chez nous, sauf qu’aux USA, on ne mange que des choses frites », note Joey. « Ici, on apprécie beaucoup la currywurst, les Spätzle, les merguez… ».
Ty se lance dans une diatribe contre la choucroute en boîte, « seule spécialité allemande (sic) qu’on trouve chez [nous] » : « ce n’est vraiment pas bon. Ici, on sent que c’est le vrai goût de la vraie choucroute ». Que dire du jour où il goûtera celle d’Alsace !
Chargement des commentaires…