L’odeur du pain tout juste sorti du four flotte sur la place centrale de Gresswiller. Dix-huit heures sonnent au clocher de ce village de la vallée de la Bruche, à une demi-heure de route de Strasbourg. Entre l’église, la mairie et les maisons à colombages de la rue principale, une tonnelle et un parquet de danse ont été dressés. Les musiciens font leurs balances en jouant du Clara Luciani sur fond de cris d’enfants heureux de sauter dans les structures gonflables installées dans la cour de l’école.
À une heure du début des festivités de ce samedi 25 juin, tout est presque prêt. Les premiers visiteurs ont déjà leur verre de bière à la main et les bretzels s’amoncellent sur les stands. Mais pendant que certains hésitent entre une version sucrée, salée, ou gratinée, les bénévoles de Gresswiller en fête courent dans tous les sens avec leurs t-shirts bleus pour régler les derniers préparatifs. Talkie-walkie à la ceinture, Julien Muller fait partie des plus sollicités.
À 38 ans, ce pompier professionnel et Gresswillerois de naissance est le président de l’association et l’un de ses fondateurs :
« Tout a commencé quand la fête du village est tombée à l’eau. Plus personne ne voulait s’en occuper. Alors on s’est rassemblés avec quelques présidents d’associations et des copains qui avaient la même énergie pour créer un comité des fêtes en 2015. On cherchait un concept et on s’est dit : quoi de mieux que la bretzel pour rassembler tout le monde ? Si vous appelez ça un messti, ça n’attire qu’une poignée de gens… »
Maintenir « le vivre ensemble »
Après deux ans de pause liés à la pandémie, la fête de la Bretzel a vu les choses en grand pour sa sixième édition. Trois jours de festivités portés par 140 bénévoles. Village des brasseurs le vendredi, kermesse et petit marché artisanal le dimanche. Et au milieu, ce samedi : soirée dansante avec orchestre. Le président de Gresswiller en fête se réjouit :
« Maintenant, la mayonnaise prend vraiment. On a réussi à créer une dynamique : c’est essentiel. Sur une fête de village comme celle-ci, si vous n’attirez pas du monde, les gens du coin ne se déplacent pas non plus. »
Or c’est là tout l’enjeu. L’objectif même de Gresswiller en fêtes lors de sa création : maintenir « le vivre ensemble » au sein de la bourgade. « À Gresswiller, on est situé tout près de la voie rapide, et du chemin de fer, pas très loin de Strasbourg. Sans vie locale, on peut vite devenir une commune dortoir », poursuit Julien Muller : « Si on fait tout ça, c’est pour transmettre l’âme du village à nos enfants. » Comprendre, un endroit où l’on se connaît entre voisins, entre habitants, et où l’on aime se retrouver plusieurs fois dans l’année, au gré des événements de la commune.
Au stand de bretzels près de l’école, ils sont d’ailleurs trois jeunes adolescents bénévoles à s’activer avec enthousiasme, plus rapides que leurs aînés lorsqu’il s’agit de tendre aux visiteurs leurs petits nœuds briochés dans une serviette en papier. Il est 19h et la file d’attente pour acheter les tickets boissons et nourriture s’allonge jusqu’à l’entrée de la place.
Une odeur de steaks saisis sur le grill et de frites chaudes taquine les papilles. Les premiers bretzels burgers apparaissent entre les mains des visiteurs et les bières se multiplient sur les petites tables rondes disposées près d’une des deux buvettes. Céline Weiss et Davy Lescornez sont posés avec leurs mousses.
Faire découvrir l’Alsace
Originaire de Valross, dans le sud de la France, Davy a rejoint Céline à Schirmeck deux jours avant le début du premier confinement. « Je lui avais vendu l’Alsace avec plein de fêtes un peu partout en lui disant que ça bougeait bien l’été, mais la pandémie a tout foutu en l’air », explique celle qui avait l’habitude de retrouver des amis dans les messtis des alentours.
C’est en passant dans le coin en voiture que le couple a eu vent de l’événement, grâce aux banderoles suspendues au dessus de la route. « On vient pour la convivialité, l’ambiance générale. La bretzel, le rock’n roll et la bière ça nous correspond bien », poursuit cette quadragénaire travaillant dans la fonction publique. « Ça permet de prendre l’air après une semaine de boulot, enchaîne Davy, ça fait du bien ! »
À une table voisine, un autre couple sirote une bière. Pour Diane-Claire Hildwein, 30 ans et son compagnon Jonathan Jullien, 29 ans, c’est aussi la première fête de la Bretzel à Gresswiller. Strasbourgeoise d’origine, la jeune femme est revenue s’installer au sein de la capitale européenne il y a un an après avoir vécu quelques années à Paris :
« Mon amoureux est parisien. Depuis qu’on a emménagé à Strasbourg, je me suis donné pour mission de lui faire découvrir l’Alsace, alors on fait pas mal de fêtes de village. C’est sympa et l’ambiance est inclusive : il y a des anciens, des jeunes, des familles… Ici les gens se parlent vachement ».
« Ce n’est pas comme à Paris ou il faut faire la queue pour aller boire une bière et où personne ne vous parle quand vous vous asseyez », renchérit Jonathan. « On en avait marre de la hype parisienne, conclut Diane-Claire. Ici c’est plus cool, on peut venir sapé comme on veut ». Conquis par l’ambiance des fêtes alsaciennes, le couple joue même les ambassadeurs. « De temps en temps, j’envoie des photos à mes parents et ils trouvent ça trop bien, sourit la jeune femme. Ils commencent à se dire qu’ils aimeraient bien venir avec nous à l’occasion ».
« Vous avez vu l’ambiance? »
20h30. Quelques danseurs se balancent doucement devant la scène en écoutant l’orchestre jouer Sur la route de Memphis tandis que les files d’attente aux tickets se sont encore allongées. Il faut compter près d’une demi-heure pour obtenir les précieux sésames et attendre à nouveau pour repartir avec son burger ou sa tarte flambée mais personne ne bronche.
Au contraire, ça discute gaiement dans la file et ça s’organise stratégiquement : pendant que l’un ou l’autre fait la queue, d’autres vont réserver une place à table. Ces dernières se font rares. Et pour la première fois, des tréteaux supplémentaires sont même rajoutés à la hâte au bord de la route principale, où la circulation a été coupée.
En cuisine, les bénévoles mettent les bouchées doubles pour servir tout le monde. Ce qui n’empêche pas le maître du grill et celui des grillades de s’apostropher pour savoir qui travaille le plus, le mieux, et le plus rapidement. Grand gaillard de 33 ans, Yannick, dit Yax, brandit sa spatule en direction d’Arnaud Chabal en riant.
Une heure plus tard, tandis que certains profitent de ce que le coup de feu soit passé pour diner à leur tour, les deux hommes se taquinent toujours. « Y a pas une seule tâche sur ton tablier ! » « Mais c’est parce que nous on sait travailler proprement ! » Yax estime avoir servi près de mille burgers pendant la soirée pour un nombre de visiteurs évalués aux alentours de 1 500. Un record. S’il donne un coup de main, c’est en raison de la convivialité de l’événement. « Ça fait bouger le village. Vous avez vu l’ambiance un peu ? »
Retrouver les copains
De l’autre côté de la place, Ces années là retentit sur la scène. Le volume de la musique a pris quelques décibels et le parquet de danse est désormais si bien rempli que certains se trémoussent devant. Suivent Tal et le célèbre Envole-moi de Jean-Jacques Goldman. Un peu à l’écart, à mi-chemin entre le stand des bretzels et celui des bières mais « loin des épouses », trois amis de longue date discutent autour d’un verre. Laurent, Joël Burger et Didier Hochwenker étaient à l’école ensemble et ont toujours vécu à Gresswiller.
Passé de 1 200 à 1 700 habitants en une dizaine d’années, la commune a « pas mal changé », selon Joël :
« Aujourd’hui, c’est l’école le cœur du village. Une fête comme celle-ci, ce sont les parents d’élèves qui la portent. Beaucoup de gens sont arrivés de la ville ces dernières années et se sont engagés dans la vie du village. C’est une bonne chose. »
Mais du côté des anciens, « le covid a un peu cassé toutes les ambiances », note aussi Laurent et certains sortent moins. Les quinquagénaires se souviennent d’une époque où les bals champêtres et les fêtes de village étaient plus nombreux. « Aujourd’hui vous allez où si vous voulez sortir ? En ville », appuie-t-il.
21h45. Un jeune couple regarde la scène et les danseurs de tous les âges en souriant. Enfant du village, David Fieng, 21 ans, vient tout juste d’arriver avec sa copine Caroline Kibort, même âge et parisienne d’origine. Étudiant à Strasbourg, le jeune homme essaie autant que possible de revenir à chaque fête du village :
« C’est le moment où l’on se retrouve entre jeunes, parce qu’on est beaucoup à s’être perdus de vue avec les études. C’est aussi là que l’on croise des gens du village que l’on ne voit pas ailleurs, des anciens qui nous ont vu tout petits et qui s’étonnent de voir qu’on a grandi. C’est convivial : tout le monde se connait. »
Caroline, de son côté, découvre les fêtes de village. « C’est cool, juge t-elle. Hier soir, il y avait du rock des années 70 : tout le monde peut s’ambiancer là-dessus. Et à côté de ça, tout le monde discute facilement ».
« J’ai jamais vu autant de monde »
22h45. Les rires se font entendre un peu plus fort sur la place. Moins de convives, mais plus de bouteilles vides sur les tables. Guillaume Bernhard est en pleine discussion, derrière la tonnelle. « Je n’ai jamais vu autant de monde que cette année, s’étonne le quadragénaire de Mutzig. Je dirais qu’il y a une fois et demi ce qu’il y avait avant le covid ». L’ambiance ? « Magique ! Tout le monde revit ! » « Ça fait du bien de sortir de chez soi, de voir des gens », abonde David Fluck.
Le groupe d’amis – 22 personnes autour de la table au plus fort de la soirée – a l’habitude de fréquenter les fêtes de village du coin. « On y croise forcément quelqu’un avec qui on peut prendre une bière », ajoute Guillaume.
Photo : Danae Corté / Rue89 Strasbourg / cc
Un peu plus loin, « Hby », de son surnom, et sa compagne Valérie profitent également de la fin de la soirée avec leur ami Christophe. Originaire de Moselle, ce militaire a découvert les fêtes de village en venant s’installer en Alsace pour le boulot. « C’est vraiment génial ! Malheureusement, ailleurs ça se fait de moins en moins », explique t-il. Et la vie locale s’en ressent. « Dans mon village d’origine, ce n’est pas la même ambiance », glisse t-il en faisant la moue.
23h30. C’est désormais Laisse moi t’aimer qui fait tanguer les danseurs, devant une tonnelle à moitié vide. Les enfants ont déserté. Mais leurs parents et des anciens poursuivent la soirée. Dans les rues, quelques jeunes se promènent encore en direction de la place. Les parfums de cuisine ont laissé place à ceux des jardins en fleurs, capiteux dans la nuit, au pied des maisons à colombages.
Chargement des commentaires…