La composition des listes électorales relève de l’exercice d’équilibriste. Il faut quadriller le territoire, tenir compte de la parité, s’appuyer sur l’expérience des uns et la jeunesse des autres, et respecter les différentes tendances, voire les accords électoraux. Dans le Bas-Rhin, 35 places pour 28 à 17 « éligibles » pour le vainqueur (selon le résultat et du nombre de listes au second tour) et une dizaine pour les battus.
Les ambitions des uns croisent la déceptions des autres, c’est la loi impitoyable des constitutions de liste. Voici comment s’y retrouver à un peu plus d’un mois des élections régionales en Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne (ALCA).
1. Les jeunes qui montent
L’ascension la plus fulgurante est celle d’Elsa Schalck (« Les Républicains »), 28 ans et numéro 2 sur la liste bas-rhinoise menée par Philippe Richert, actuel président d’Alsace. Suppléante à la région Alsace en 2014, elle remplace Nathalie Roos. Elle est aussi conseillère municipale à Strasbourg et déléguée nationale du parti dans le Grand Est auprès des jeunes. En tant que numéro 2, elle pourrait rafler l’une des nombreuses vice-présidences en cas de victoire de sa liste, tout comme André Reichardt (numéro 3) sénateur et donc confronté au cumul des mandats en 2017, s’il est membre de l’exécutif.
Au PS, pas de personnalités sous les 30 ans dans les 10 premiers noms, mais une moyenne d’âge plus basse : 39,9 ans contre 51 pour la droite. Derrière la nouvelle secrétaire départementale Pernelle Richardot (44 ans, adjointe au maire à Strasbourg), on retrouve Emmaunel Recht (37 ans), Séverine Magdelaine (40 ans, adjointe à Illkirch-Graffenstaden) et Paul Meyer (32 ans, adjoint à Strasbourg). Anne-Pernelle Richardot est la seule conseillère régionale sortante sur les 5 bas-rhinois élus en 2010. En trente-troisième position, Jean-Marc Willer, qui avait remplacé Jacques Bigot maire d’Illkirch et sénateur, passera la main pour se concentrer sur la commune d’Erstein dont il est maire.
Le FN mise aussi sur un rajeunissement et avec deux femmes quadragénaires comme tête de liste alsacienne, déjà candidates lors d’élections locales, bien qu’une bas-rhinoise parachutée dans le Haut-Rhin cause des remous et pose question sur le leadership dans le sud de l’Alsace depuis que la famille Binder est écartée. Plus bas sur la liste bas-rhinoise, on devrait retrouver Julia Abraham (23 ans), conseillère municipale à Strasbourg, battue au premier tour des départementales 2015 et issue d’une famille très engagée. Andréa Didelot (23 ans) incarne aussi le rajeunissement du parti.
2. Les récalés
La liste de Philippe Richert est favorite, mais devait respecter un accord avec l’UDI et le Modem, tout en laissant une petite place à la société civile (Laurence Dreyfuss-Bechmann, avocate en 10è position). Autant dire qu’il y a eu quelques moments « de tension » comme l’a lui-même souligné Philippe Richert. Le maire de Schiltigheim Jean-Marie Kutner (UDI) et vice-président du parti a découvert de nouveaux membres de son parti lors l’annonce de la liste, comme Frederic Pfliergesrdorffer (13è) et s’est ému de la mauvaise place accordée à son adjointe Patricia Huck, avant de dénoncer des méthodes qui ne « respectent pas les alliés ». Lilla Merabet vice-présidente sortante et numéro 14 en 2010 qui se revendiquait « société civile » en juin est aujourd’hui numéro 4 en tant que membre du parti UDI, formation laquelle elle était aussi candidate à Strasbourg en 2014. Le parti de centre-droit a ainsi placé 5 candidats dans les 19 premiers, pour respecter les quotas de l’accord. À part Bernard Stalter (5è), président de la Chambre des métiers et de l’Artisanat d’Alsace, et Pascal Mangin (9è, conseiller régional sortant) on compte peu de soutiens à Fabienne Keller, l’ancienne maire et candidate à la mairie de Strasbourg.
Au FN, il y aura certainement plus d’élus qu’avant, ce qui attise les ambitions. Reste qu’entre les jeunes qui montent (Abraham, Didelot), les militants historiques de la campagne (Laurent Gnaedig numéro 3), les urbains actifs mais aux scores plus faibles (Laurent Husser) et les transfuges (voir plus bas), il n’y aura pas de bonnes places pour tout le monde, ce qui explique des négociations jusqu’aux dernières minutes.
3. Les transfuges
Une recrue dans un autre camp est souvent un bon signe d’ouverture. Le FN avait d’abord approché Pierre Marmillod (ex-UDI), mais les contacts n’ont rien donné. Mais le parti tient sa « belle prise » avec Jean-Claude Bader, « le sosie alsacien de Johnny Hallyday » ancien adjoint au tourisme de Fabienne Keller. Issu d’un milieu populaire et membre de l’aile droite du parti, il était en rupture depuis quelques années avec la droite alsacienne, plutôt tournée vers le centre. Il s’était présenté sans appui politique à la mairie d’Erstein en 2014, sans succès. Il avait pourtant chanté à la grande manif anti-fusion de la droite en octobre 2014.
Dans le Bas-Rhin, le Modem pourrait placer un élu en cas de victoire, Sylvain Wasermann (18è), maire de Quatzenheim et directeur de Gaz de Strasbourg. Un destin que ne connaîtra pas la chef du file du parti dans la grande région tête de liste, l’eurodéputée Nathalie Griesbeck, 34ème et dernière de la section mosellane. Le Modem s’estime lésé, mais est trop faible pour faire sécession.
Le parti souverainiste Debout La France, conduit par le parisien Laurent Jacobelli, annonce aussi avoir récupéré un élu de la droite alsacienne, mais en fait encore mystère.
Autre transfuge notable, Andrée Buchmann (59 ans), ancienne membre d’Europe Écologie Les Verts qui comme Jean-Vincent Placé ou François de Rugy au niveau national pense que les écologistes doivent s’allier directement au PS. Elle avait perdu son mandat d’adjointe en 2014 à Schiltigheim et n’a pas d’occupation professionnelle. Déjà conseillère régionale d’opposition entre 2010 et 2015, elle figure en cinquième position sur la liste PS.
Le rassemblement écologiste peut en revanche se targuer d’avoir attiré le parti radical de gauche, certes assez embryonnaire dans l’Est, mais seul partenaire du PS au gouvernement. Moins étonnant, EELV s’allie aussi, comme en 2010, avec le mouvement écologiste indépendant (MEI) d’Antoine Waechter, dont les bastions se trouvent dans le Haut-Rhin. Certains conseillers régionaux sortants en Lorraine et Champagne-Ardenne n’ont pas souhaité suivre l’ancienne députée européenne sur une candidature autonome. Sandrine Bélier a déclaré « regretter des désistements de personnes qui ont beaucoup donnée à l’écologie, mais il n’y a pas de division. »
Enfin, il n’y a pas de mouvement entre les partis écologiste et de gauche radicale, opposés entre-autre sur le transport aérien ou la fermeture de Fessenheim.
4. Les thèmes de campagne
Plutôt que de défendre l’action de Philippe Richert en Alsace, « Unissons nos Énergies », la liste qu’il conduit veut parler surtout de « construire un projet » dont les contours restent à affiner. Le candidat insiste sur l’importance à défendre les intérêts de chaque territoire et leurs identités : « L’Alsace restera l’Alsace, la Champagne est une marque connue dans le monde entier. Pareil pour la Lorraine ».
Le PS tente de son côté à « dénationaliser » au plus possible l’élection et de comparer les politiques mises en place en Lorraine et Champagne-Ardenne (à gauche), par rapport à l’Alsace (à droite). Même François Hollande est prié de reporter sa visite annuelle à début 2016. Le parti socialiste veut aussi mettre en avant les atouts économiques de c grand regroupement décidé par son gouvernement et pointe que ceux qui l’ont combattu (PS local y compris) veulent désormais le diriger. Catherine Trautmann, ancienne eurodéputée du Grand Est et 34ème sur la liste, appuie la campagne de Pernelle Richardot, qui fut son attachée parlementaire.
Europe Écologie Les Verts axe sa campagne autour de la transition énergétique « qui pourrait créer 30 000 emplois sur la grande région pendant le mandat 2015-2021 », dixit sa tête de liste l’ancienne eurodéputée strasbourgeoise Sandrine Bélier (43 ans) et la reconversion des parcelles agricoles en production biologique « qui nécessite 2 à 3 fois plus d’emplois ». Objectif 500 implantations par an.
Comme lors des départementales, le Front national a jusqu’ici axé sa campagne sur des thèmes nationaux comme l’immigration. Parmi les propositions fantaisistes vouloir faire des économies en supprimant les aides à la future mosquée de la Meinau alors que le contribuable ne dépense pas un centime dans cette construction. Le parti oscille entre économies drastiques dans plusieurs domaines (associations, personnel) tout en s’affichant contre l’austérité. Autre enjeu, parler à certains territoires en perte de vitesse notamment dans les Ardennes ou même le Haut-Rhin. Les positions déployées (comme de taxer seulement les camions étrangers sur le GCO) seraient cohérentes si le parti dirigeait la France, objectif à plus long terme du Front national.
Le Front de gauche parlera de la défense du service public, et des questions du financement des régions, revu à la baisse par l’État, mais moins que les communes. Malgré l’échec du recours devant le Conseil d’État, Unser Land continue son combat contre la nouvelle région.
5. Les partis en attente
Avec Patrick Peron, maire communiste d’Algrange (Moselle), le rassemblement de la gauche radicale regroupera les trois partis du Front de gauche, ainsi que le Mouvement républicain et citoyen et la nouvelle gauche sociale. Dans le Bas-Rhin, la liste menée par Sylvain Brousse (parti de gauche) et Hülliya Turan (Parti communiste) doit être présentée le 5 novembre. Comme pour les départementales, le rassemblement a entamé un rajeunissement et fait place à une partie de la société civile (militants associatifs, syndicats) après la candidature de Jean-Claude Val à la mairie de Strasbourg en 2014. Le sorti concentre des militants dans les villes. Sauf surprise, Lutte Ouvrière (Julien Wostyn), Unser Land (Jean-Jacques Trouillet) et le parti anti-Europe UPR (David Wentzel) devraient compléter la liste des petits partis.
D’autre partis ont exprimé leur désir de présenter une liste, mais réunir 189 candidats dans 10 départements reste incertain à une semaine du dépôt des listes, tout en sachant que la barre des 5% qui permet de se faire rembourser les frais de campagne semble hors de portée. On pense au mouvement des dissidents du FN (Pierre-Nicolas Nups) et soutiens à Jean-Marie Le Pen ou au parti libéral démocrate de Christine Singer, qui a sa base en Lorraine.
Aller plus loin
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