Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

En 1971, le gang des Lyonnais réussissait le « casse du siècle » à l’Hôtel des Postes de Strasbourg

Plus d’un milliard d’anciens francs, soit plus de 1,5 million d’euros. Le 30 juin 1971, en seulement quatre minutes, le gang des Lyonnais marquait à jamais l’histoire du grand banditisme en France. Récit du « casse du siècle » à travers les souvenirs de quatre Strasbourgeois présents ce jour-là : Alice, François, Raymond et Roger.

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9h : Alice croise un des complices sans le savoir

Le feu est rouge au croisement de la rue André Malraux et de l’Avenue de la Marseillaise. Une Estafette Renault s’arrête. Le feu piéton passe au vert. Alice traverse (son prénom a été modifié). L’étudiante de 24 ans se rend à la pharmacie de la Marseillaise où elle réalise son stage de fin d’étude :

« J’ai aperçu le conducteur de la camionnette. Il avait un drôle d’air, il regardait dans tous les sens, il ne semblait vraiment pas rassuré. »

En 1971, la pharmacie de la Marseillaise était déjà là (Photo Maxime Nauche / Rue89 Strasbourg / cc)

Au même moment, un fourgon blindé arrive rue Wencker sous escorte policière et pénètre dans la cour intérieure de l’Hôtel des Postes. Quatre postiers déchargent les sacs d’argent liquide sur des gros chariots. Ils rentrent dans le grand bâtiment néo-gothique. À cet instant, les employés de poste ne sont plus escortés.

9h05 : le milliard est déjà dans la nature

Alors qu’Alice arrive à la pharmacie, la sirène de l’Hôtel des Postes retentit. Beaucoup de monde s’amasse autour de l’entrée principale. Des postiers, des passants, et bientôt des policiers et des gendarmes. Dans cette confusion, un jeune homme descend du bus Avenue de la Marseillaise. François Burgard sort juste de l’école de journalisme de Strasbourg et vient d’être embauché aux Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA). Il remarque que ça s’agite autour de l’Hôtel des Postes. François aperçoit un collègue à lui qui l’interpelle :

« Il y a eu un braquage, viens avec moi ! »

Sans le savoir, après seulement quelques semaines dans le métier, François allait couvrir un des braquages les plus marquants de l’Histoire de France :

« En arrivant sur place, c’était la cohue, il y avait une telle sidération que la scène paraissait irréelle. Tout le monde était sous le choc et se demandait comment les gars avaient fait. »

À l’intérieur de l’Hôtel des Postes, les interrogations s’orientent sur une porte en particulier. Une porte qui permet de sortir directement dans la rue depuis le couloir de la chambre forte. Une porte normalement condamnée mais que les braqueurs ont bien empruntée.

C’est par cette porte à droite de l’image que les cinq braqueurs sont sortis avec le magot (Photo Maxime Nauche / Rue89 Strasbourg / cc)

Plus d’un an de repérage pour un braquage de quatre minutes

Une semaine avant le braquage, deux faux serruriers viennent à l’hôtel des postes pour changer la serrure de cette fameuse porte. Ils prétendent être envoyés par l’administration. Dans l’agitation permanente qui règne sur place, personne ne se doute de rien. Pour François, c’est une histoire aussi incroyable que difficile à raconter dans le journal :

« Il fallait réussir à expliquer aux lecteurs comment cinq individus ont pu dérober un milliard en seulement quatre minutes. La rédaction m’a envoyé aux studios de dessin des DNA. On devait réaliser un croquis des couloirs de l’Hôtel des postes pour montrer comment les gars ont intercepté l’argent avant qu’il n’entre dans la chambre forte. »

Pour y arriver, les braqueurs se sont simplement déguisés en électriciens. Peu avant 9h, ils ont gagné le couloir qui mène au coffre en prétendant simplement avoir des réparations à faire. Quand les quatre postiers arrivent avec les chariots chargés d’argent liquide, les gangsters n’ont plus qu’à dégainer leurs calibres cachés sous leurs blouses grises. Les employés n’opposent aucune résistance. Les braqueurs sortent tranquillement Avenue de la Marseillaise, par la porte que tout le monde pensait condamnée.

Le croquis publié dans les DNA après le hold-up (Document remis par François Burgard)

Si l’opération parait simple, elle a nécessité plus d’un an de repérage. Des mois de travail pour être le plus efficace possible. Ça a parfaitement fonctionné. À part les quatre postiers qui se sont faits braquer, personne n’a eu le temps de réaliser qu’un hold-up était en cours. À l’époque, Robert Conrath était opticien juste en face de l’hôtel des postes :

« C’est uniquement le lendemain dans la presse que j’ai découvert en détail ce qu’il s’était passé. Je n’en revenais pas de n’avoir rien remarqué sur le moment. »

9h30 : début d’une enquête sans épilogue

Le mode opératoire du « casse du siècle » rappelle celui de deux autres braquages. Ceux des postes de Chambéry, fin 1970, et de Beaune, dans les années soixante, qui trônent au palmarès du gang des Lyonnais. Voilà une piste, mais il manque de preuves.

Les enquêteurs se rendent plusieurs fois chez les commerçants en face de l’Hôtel des Postes, notamment chez Raymond Vonesch, fondateur du Snack Michel :

« Ils voulaient savoir si j’avais remarqué quelque chose mais c’est allé tellement vite que je n’ai même pas vu que des gars étaient sortis de la poste avec de l’argent. C’est uniquement quand j’ai vu la police débarquer que j’ai compris ce qu’il s’était passé. Mais je n’avais strictement aucune information. »

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La police non plus n’avait pas grand chose. Sur les lieux du hold-up, elle n’a retrouvé qu’un foulard jaune perdu par un des braqueurs, et un emballage de bonbons coincé dans la serrure de la porte par laquelle les gangsters sont sortis. Deux éléments qui n’ont rien donné.

Dans la clairière des Sept-Écluses à Plobsheim, les enquêteurs ont retrouvé l’Estafette dans laquelle avait été transporté le magot. Le véhicule était vide, exception faite d’une pièce d’un centime et d’un disque de stationnement.

Alice la jeune pharmacienne, au cœur de l’enquête

La police finit par apprendre que l’Estafette a été volée à Metz. Et après ? Pendant plusieurs mois, Raymond Vonesch est le témoin passif des difficultés de la police :

« Comme le restaurant est en face de l’Hôtel des Postes, les enquêteurs venaient souvent manger chez nous. Bien sûr ils ne nous disaient rien mais comme ils étaient là, c’est qu’ils n’avaient toujours pas résolu l’affaire. »

La police s’accrochait à ce qu’elle pouvait et notamment au témoignage d’Alice, la jeune pharmacienne qui a aperçu le conducteur de l’Estafette quelques minutes avant le braquage :

« Ils m’ont convoqué au commissariat pour faire un portrait-robot. Les techniques de l’époque étaient loin de celles d’aujourd’hui ! On me proposait des formes types de nez, de bouches, d’yeux, etc. Je devais me débrouiller avec ça mais ce n’était pas très ressemblant ! »

Au début, cela amuse Alice d’être au cœur d’une enquête policière, d’en découvrir les coulisses. Elle est plusieurs fois convoquée par la police pour tenter d’identifier des suspects derrière des vitres sans tain. Mais cela devient rapidement usant :

« Les enquêteurs n’arrêtaient pas de venir chez moi pour me poser des questions et me montrer des photos. Ils espéraient que je reconnaisse quelqu’un mais ça n’a jamais été concluant. Au bout d’un moment, je commençais même à avoir peur que les gars qui avaient fait le coup s’en prennent à moi, pour que j’arrête de parler. »

portraits robots
Les portraits robots ne sont guère concluants (image d’archives)

Malgré elle, Alice voit sa vie privée et professionnelle rythmée par les questions des policiers, puis par celles de journalistes :

« Ils n’arrêtaient pas de venir à la pharmacie. Certains, notamment ceux de Paris Match, ont complètement déformé mes propos. Ils ont même écrit que j’avais vu le chauffeur avec une Winchester à canon scié alors que je n’ai pas vu d’arme et que, si ça avait été le cas, j’aurais été incapable de dire de quel modèle il s’agissait ! »

Finalement, seul le temps permettra à Alice de retrouver sa tranquillité.

Trois ans et demi plus tard, les Lyonnais arrêtés mais toujours pas de preuves

L’épopée du gang des Lyonnais s’arrête en décembre 1974. La police coince la plupart des membres à Lyon alors qu’ils rentrent d’un énième braquage dans le Nord de la France.

Seize individus comparaissent devant les assises du Rhône en juin 1977 pour huit hold-up commis entre février 1972 et décembre 1974. La date du 30 juin 1971, celle du casse du siècle à Strasbourg, ne figure pas dans l’accusation. Un indic a mis la police sur la piste de Joanny Chavel, membre du gang des Lyonnais, mais les enquêteurs n’ont jamais réussi à faire le lien avec le braquage de l’Hôtel des Postes.

Les Lyonnais écoperont de peines allant d’un à quinze ans de prison. Aujourd’hui, il ne fait plus de doute que le gang était derrière le braquage de Strasbourg. Edmond Vidal, dit «Monmon» , un des ténors de la troupe, le revendique dans son livre Pour une poignée de cerises paru en 2011.

Deux membres du gang des Lyonnais faisaient partie du service d’action civique (SAC), une association de soutien à Charles De Gaulle, souvent qualifiée de « police parallèle » aux méthodes musclées. Joanny Chavel, présent lors du hold-up de Strasbourg, et Jean Augé, cerveau de l’opération mais absent le jour du braquage.

Après leur arrestation, lors des auditions, certains membres du gang des Lyonnais évoquent des liens avec la sphère politique. Cela fait écho au livre du journaliste Patrice Chairoff « B… comme barbouzes », publié en 1975, dans lequel plusieurs témoignages anonymes affirment que les braqueurs de Strasbourg ont bénéficié d’un soutien politique, à droite. Mais l’affaire en est restée aux stades des soupçons.


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