« Je me méfie pas mal des sectes d’habitude… Mais avec du yoga organisé par la Ville, je ne me suis pas posé de question. » Le 11 août, Sophie (le prénom a été modifié) participe à une séance de méditation au Parc des Contades. Lors du cours, rien ne lui paraît suspect. C’est le flyer distribué à la fin qui suscite sa méfiance. « Des cours de yoga gratuits dans un hôtel du centre, j’ai trouvé ça louche. » En tapant le titre du tract sur internet (« Méditation Sahaj »), la jeune femme découvre une association considérée comme une secte depuis 1995 par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).
Une alerte à la Ville… sans réponse
Le 18 août, la même association était responsable d’un deuxième atelier de méditation dans le parc de l’Orangerie. Sophie veut donc alerter la Ville de Strasbourg sur le passé de l’association. Elle écrit un mail le 13 août :
« Suite à ces informations, j’espère que la Ville de Strasbourg prendra les dispositions nécessaires pour ne pas continuer à cautionner et promouvoir cette association qui est en fait une secte dans le cadre de la Tournée Pratiques douces. »
Enfants envoyés à l’étranger
Sophie n’a jamais reçu de réponse. En se renseignant sur le « Sahaja Yoga », elle a été « choquée par la vision de l’enfant au sein de cette mouvance. » Selon l’Unadfi, une association de défense des victimes de sectes, « chez Sahaja Yoga, les enfants n’appartiennent pas aux parents mais à la Mère Divine. Les parents sont encouragés à se séparer d’eux dès le plus jeune âge en les envoyant dans des ashrams et des écoles à l’étranger. »
Dans les années 90, la mouvance « Sahaja Yoga » s’est fait connaître lors de plusieurs procès liés à l’envoi d’enfants dans des « ashrams » en Inde, en Italie ou en République Tchèque. Ces lieux de spiritualité sont censés permettre à chacun de se recentrer sur soi-même. Un rapport de la Miviludes, daté de 2005, rapporte ces propos de Sri Mataji, la « Mère Divine » pour les adeptes du « Sahaja Yoga » :
« N’importe qui peut faire un enfant – même un chien peut faire un enfant (…) Aussi créer un enfant n’est pas une chose extraordinaire (…) Dire mes enfants ne vous aidera en rien, au contraire. Cela va vous enchaîner « totalement » (…) D’abord, vous avez renoncé à votre famille, renoncé à vos enfants, renoncé à tout, vous êtes parvenu à cette extrémité. maintenant vous y retournez. »
En 1995, les grands-parents de Thomas saisissaient la justice suite à l’envoi de leur petit-fils dans un « ashram » en Inde. Face au choix parental, la justice française concluait que « l’éloignement seul ne peut constituer à lui seul un abandon. » Dans un cas similaire en Belgique, trois ans plus tard, la Cour d’Appel d’Anvers en Belgique estimait « évident que la secte Sahaja Yoga a en effet comme un de ses objectifs la séparation absolue et définitive entre parents et enfants dès leur plus jeune âge. »
« Le Sahaja Yoga m’a sauvé la vie »
Contactée, la responsable strasbourgeoise du Sahaja Yoga n’a pas souhaité répondre à nos questions. Une responsable d’antenne en Picardie a rejeté en bloc les accusations de dérives sectaires. Cette enseignante retraitée défend l’association :
« Le Sahaja Yoga m’a sauvé la vie. Je n’aurais pas su me sortir de ma dépression sans la méditation. Bien sûr, elle ne guérit pas tout, mais elle va fortement améliorer les choses. Tenez, j’avais une dilatation des bronches. Depuis que je médite, j’ai guéri. J’avais aussi des spasmes dans le ventre à cause de problèmes intestinaux. Ca a commencé à diminuer trois mois après la méditation et trois ans après je suis guérie. »
Selon cette responsable locale, la pratique du Sahaja Yoga serait même capable de modifier vos gènes. D’après cette retraitée, l’exploit s’expliquerait par « l’éveil du Kundalini, une énergie sacrée. » Face à nos demandes de précision, elle invite à nous rendre à un cours : « Il n’y a pas grand chose à comprendre, quand vous êtes dans la paix, vous le comprenez. »
« Le phénomène sectaire s’est disséminé »
Selon plusieurs associations de défense contre les dérives sectaires, l’utilisation du yoga pour enrôler de nouveaux adeptes est une stratégie classique. Dans le Bas-Rhin comme le Haut-Rhin, les responsables de ces associations se souviennent de « Sahaja Yoga » mais n’en ont plus entendu parler depuis longtemps.
Gilbert Klein a rédigé une thèse en droit public, intitulée « Les sectes et le droit public ». Selon le président du Cercle Laïque pour la Prévention du Sectarisme, à Mulhouse, le phénomène sectaire a changé depuis le début des années 2000 :
« Vous savez, il y avait une période où il y avait des groupes bien identifiés comme Sahaja Yoga, la scientologie, la Nouvelle acropole, maintenant le phénomène sectaire s’est complètement disséminé. Il y a un tas de mini-groupes. »
« Un manque de vérification »
Contactée, la Ville de Strasbourg a admis « un manque de vérification » autour de l’association. Cette dernière a bénéficié de la crédulité municipale face aux propositions bénévoles. Car les offres payantes passent par une procédure de marché public, qui aurait sûrement écarté un groupe au passé aussi trouble. « L’association ne pourra plus faire de cours pour la Ville, assure l’administration, et désormais les services devront consulter le fichier de la Miviludes avant d’accepter une association. » Problème : cette institution de lutte contre les dérives sectaires est aujourd’hui menacée…
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