Prôner l’ouverture et l’altérité pour s’opposer au repli identitaire, à l’intolérance nauséeuse et au verbe nauséabond. Le combat est sans fin mais voilà certainement l’une des missions à mener contre le radicalisme qui roule à vive allure sur les autoroutes des pensées unique et simpliste. Voilà , aussi, l’ADN profond de l’Opération Salam Shalom Elsass, nouveau spectacle porté par la très militante et engagée Compagnie Mémoires Vives dont le message résonne encore un peu plus fort, près d’un mois après les attentats de Paris.
« Paix sur toi Alsace chérie ! »
Mais la mise en scène de cette Opération Salam Shalom Elsass s’inscrit également dans le contexte houleux d’une réforme territoriale qui verra naître la grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes sans forcément beaucoup de débats de fond. À la place, ce sont les discours conservateurs et les tribunes de l’effroi qui ont su s’imposer, réveillant de vieux démons que l’on espérait pourtant définitivement éteints. Habité d’une indéfectible passion pour son Alsace d’ouverture et de métissage, Yan Gilg détaille la genèse du nouveau projet de sa compagnie :
« L’Opération Salam Shalom Elsass est ancienne, j’y pense depuis trois ou quatre ans et j’ai commencé à l’écrire il y a deux ans, mais l’actualité nous a rattrapés, ce qui rend cette aventure encore plus proche. Mon idée, c’était une immersion dans l’intime de l’Alsace, tout d’abord parce que c’est ma région, j’y suis né, j’y ai grandi et elle ressemble à d’autres régions du monde auxquelles je me suis intéressé, comme le Maghreb, par exemple, avec les cigognes ou des épices identiques. Mais surtout, en mariant de l’arabe, de l’hébreu et de l’alsacien, tu montres à la fois la richesse de l’Alsace et toute sa complexité. Et derrière la boutade pour marquer les esprits, tu mets les gens face à une réalité : celle d’une région qui vit depuis des siècles avec les juifs et a vu plus récemment arriver une immigration maghrébine. Pour moi, c’est ça, l’âme alsacienne, c’est le patrimoine de notre région, avec un message tout simple : Paix sur toi Alsace chérie ! »
Ausculter et sonder la psychologie alsacienne
Yan Gilg, qui s’assume comme un « utopiste éternel », emmène donc le public à l’intérieur-même du cerveau alsacien, matérialisé sur les planches grâce à une scénographie originale signée de la compagnie Les Bâtisseurs d’Instants. Entre vaisseaux sanguins et synapses débarquent donc six experts encagoulés à l’apparence trompeuse de terroristes en opération commando. Cette équipe d’enquêteurs « à l’objectivité implacable » va ausculter, sonder, décortiquer la psychologie alsacienne pour tenter d’en « comprendre les névroses et les refoulements, d’y trouver les preuves culturelles, historiques et sociologiques du métissage ». Noble mission et vaste chantier que cette aventure musicale et théâtrale via le passé et le futur de l’Alsace.
« L’Alsacien a un sens inné de l’étranger »
Yan Gilg cite un ouvrage-référence, devenu livre de chevet : Psychanalyse de l’Alsace de Frédéric Hoffet, socle de l’Opération Salam Shalom Elsass. Il rappelle aussi l’importance des Germain Muller, Roger Siffer, Martin Graff, René Eglès, Sébastien Brant qui ont tous contribué, à leur manière, à « l’alsacianitude » au même titre que Césaire, puis Senghor, définirent et défendirent le concept de négritude :
« L’histoire de l’Alsace, ce sont des allers-retours permanents, entre l’Allemagne et la France. L’Alsacien a les mêmes trauma qu’un immigré, avec la question de la double appartenance, le fait d’être l’enfant adoptif de l’Allemagne et de la France sans pour autant être vraiment l’enfant de quelqu’un. Et là, il faut faire attention à ne pas nier ni mépriser les identités et le libre-arbitre des territoires et des individus.
Je peux donc comprendre les remontées identitaires mais quand on sort les drapeaux « rot un wiss », quand on tient certains discours haineux, quand on voit ce que diffusent certains sites internet, ça me fait franchement peur !
En Alsace, on est au centre de l’aire rhénane, avec ses valeurs d’humanisme. On est des européanistes. Strasbourg est la capitale politique de l’Europe mais c’est aussi une capitale culturelle, au-delà des clichés choucroute, gewurtz et marché de Noël. Je pense plutôt que l’Alsacien a un sens inné de l’étranger et qu’il ne faut absolument pas tomber dans le retranchement. C’est pour cela qu’avec l’Opération Salam Shalom Elsass, on organise un stammtisch « Elsass Frei », pour une Alsace libre, libérée de ses mythes et de ses démons, de ses enfermements identitaires et de ses idées nauséabondes. »
La Compagnie Mémoires Vives distille ainsi un nouveau message porteur d’optimisme et de tolérance que Yan Gilg résume ainsi :
« Une culture ne se préserve pas en montant des murs, que ce soit en Alsace ou ailleurs. Elle se défend parce qu’on y croit et parce qu’elle est belle. »
Cette ouverture culturelle passe par les textes de Yan Gilg et des comédiens-chanteurs Maeva Heitz et Hugo Roth ainsi que par les machines et les percussions de Mathieu Goust et surtout la musique métissée de Lior Blindermann (oud et saz) et Yves Beraud (accordéon). Et, dans le cas de l’Alsace, cette culture, selon le metteur en scène, « continuera à évoluer car elle est encore plus solide que nos maisons à colombages. Car l’Alsace est féconde et continue de faire vivre des enfants de la diversité ».
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